L'assassinat jeudi à Tunis du dirigeant d'opposition Mohamed Brahmi, abattu de plusieurs balles devant son domicile, a provoqué manifestations et incidents dans la capitale tunisienne et à Sidi Bouzid, dans le centre du pays. Dans cette ville, berceau de la «révolution de jasmin» de l'hiver 2010-2011, des bureaux du parti islamiste Ennahda, au pouvoir ont été incendiés. «Des manifestants ont mis le feu aux sièges d'Ennahda dans les quartiers de Meknassi et de Menzel Bouziane à Sidi Bouzid», a déclaré à Reuters un habitant, Mehdi Horchani. Elu à l'Assemblée nationale constituante (ANC), Mohamed Brahmi, âgé de 58 ans, était fondateur et ancien secrétaire général du Mouvement du peuple (Echaâb), une formation laïque et nationaliste. Selon des témoins, il a été abattu par deux hommes à moto devant chez lui alors qu'il descendait de voiture. «Il a été tué devant sa maison alors qu'il était avec sa fille handicapée», a déclaré Mohamed Nabki, membre lui aussi d'Echaâb. Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées devant le ministère de l'Intérieur à l'annonce de l'assassinat en exigeant la démission du gouvernement dominé par les islamistes. «À bas le pouvoir islamiste !», criait la foule. «Ce gang criminel a tué la voix libre de Brahmi», a déclaré sa veuve Mbarka Brahmi. À Sidi Bouzid, des milliers de manifestants «très en colère» sont descendus dans les rues, ont bloqué plusieurs artères de la ville et mis le feu à des pneus. Un jeune vendeur de fruits et légumes, Mohamed Bouazizi, s'était immolé par le feu en décembre 2010 à Sidi Bouzid pour protester contre la confiscation de son étal par la police. Son décès début janvier avait suscité une intense émotion et déclenché une vague de manifestations qui avaient débouché sur le renversement du président Zine Ben Ali et inspiré les «printemps arabes» dans la région. Membre de l'assemblée chargée d'élaborer la nouvelle Constitution, Mohamed Brahmi n'avait pas ménagé ses critiques envers le parti islamiste Ennahda au pouvoir. Le président de l'ANC, Mustapha Ben Djaafar, a déclaré que vendredi serait «un jour de deuil national». Rached Ghannouchi, chef du parti Ennahda, a estimé que l'assassinat de Mohamed Brahmi avait pour but de «stopper le processus démocratique en Tunisie et de tuer le seul modèle réussi dans la région, particulièrement après les violences en Egypte, en Syrie et en Libye». Le 6 février dernier, Chokri Belaïd, l'un des responsables de l'opposition laïque, avait lui aussi été abattu devant son domicile dans la capitale tunisienne, probablement par un membre d'un groupe salafiste radical, selon la police. Sa mort avait provoqué à travers le pays les plus importantes manifestations depuis la chute de Ben Ali. Hussein Abbasi, secrétaire-général de l'UGTT, la principale confédération syndicale du pays, a prédit jeudi «un bain de sang» après l'assassinat de Brahmi. L'UGTT a appelé à la grève générale vendredi. À Paris, le président François Hollande a condamné «avec la plus grande fermeté» cet assassinat et appelé «l'ensemble des forces politiques et sociales tunisiennes à faire plus que jamais preuve du nécessaire esprit de responsabilité pour préserver l'unité nationale et garantir la poursuite de la transition démocratique».