Une vingtaine de chercheurs marocains spécialisés dans le domaine de la migration sont actuellement engagés dans une réflexion en vue de l'élaboration d'une vision nationale concernant la gestion des affaires de migration à l'horizon 2030, a déclaré le ministre chargé des Marocains résidants à l'étranger, M. Abdellatif Maâzouz, lors de la journée des politiques publiques de la 6éme Conférence internationale sur la migration et le développement, tenue du 16 au 19 mai à Rabat et Ifrane. Si le Maroc est un pays pionnier en matière de gestion de l'épargne des émigrés, politique qu'il a promue il y a plus de trois décennies dont l'un des acquis est un coût de transfert d'argent des plus faibles au monde, beaucoup de choses ont changé depuis, mais pas la politique marocaine envers les MRE. Alors que les transferts des MRE représentaient jusqu'à 9% du PIB jusqu'en 2007, cette proportion est passée à 7% seulement au cours des dernières années. Et cette épargne, qui transite à 70% par le système bancaire marocain, est maintenant convoitée même par les pays d'accueil, indique M. Al Aïdi El Wardi, de la Banque populaire. Les MRE les plus instruits, soit plus de 400.000 émigrés marocains disposant d'un bac plus cinq sur les 4 millions de personnes que compte la diaspora marocaine, sont ceux qui transfèrent le moins leur épargne vers le Maroc, ce qui est peut être une bonne chose, estime un intervenant, dans le sens où ils vont inciter les pouvoirs publics à trouver d'autres sources de devises. Mais en attendant, ces transferts représentent 7% du PIB, couvrent 40% du déficit commercial, représentent 145% des investissements directs étrangers au Maroc et 734% de l'aide internationale perçue par le pays. Ces transferts permettent à près d'un million de marocains de vivre en dessus du seuil de la pauvreté, rappelle M. Abdelfettah Sbihi, du ministère des Marocains résidants à l'étranger. Sauf que les enjeux de la migration des marocains sont entrain de prendre une toute autre dimension. Le Conseil de la communauté marocaine à l'étranger vient de publier une étude sur les migrations marocaines intitulée «Les compétences marocaines à l'étranger : 25 ans de politique de mobilisation». Parmi les points saillants de cette étude, selon M. Driss El Yazami, président du Conseil de la communauté marocaine résident à l'étranger (CCME), la captation de ressources humaines nationales hautement qualifiées, alors que les études prospectives font toutes état du besoin croissant du Maroc en ces ressources hautement qualifiées justement. De grands groupes procèdent au recrutement des étudiants marocains à l'étranger. Ces ponctions sur les ressources humaines les plus qualifiées interviennent, en effet, au moment où le pays est engagé dans la réalisation de grands chantiers structurels. Mais fort heureusement, ces compétences MRE gardent un profond attachement pour leur mère patrie et sont prêts à participer au développement de leur pays. M. Abdelhamid El Jamri, du Comité des Nations Unies sur les droits des travailleurs migrants, estime pour sa part que le Maroc a de plus en besoin d'une partie de ses compétences expatriées, mais il n'existe pas de statistiques sur le retour des émigrés et l'accompagnement de la migration reste non maîtrisé au Maroc. D'après une étude de la Banque mondiale, le profil du nouveau migrant est un jeune, urbanisé et qualifié, la migration s'adaptant à la demande sur le marché international du travail. Maintenant, il y a des MRE qui travaillent dans les pays du Golf pour de grands groupes français. Même M. Maâzouz considère le transfert de compétences marocaines en Europe vers les pays du Golf comme une solution alternative au chômage des émigrés marocains en raison de la grave crise économique qui sévit au nord du détroit. Il est à rappeler que 80% des émigrés marocains résident en Europe. Le Pr. Hillel Rapoport, de l'Université de Lille, en France, rappelle que dans les années 70 et 80, la migration était surtout perçue négativement alors que la vision aujourd'hui est plus nuancée, en raison de l'importance des transferts de la diaspora dans la réduction de la pauvreté et le développement rural, alors que la fuite des cerveaux est considérée de manière plus contrastée, puisqu'elle crée des ponts pour la circulation des connaissances et de la culture. Plus généralement, la présence d'une diaspora réduit le coût des transactions entre pays d'accueil et pays d'origine, et renforce de la sorte la circulation des marchandises et capitaux, mais également de savoir-faire et de valeurs. Pour M. Maâzouz, il s'agit de travailler dorénavant sur l'optimisation de la chaîne de valeurs migration- développement et sur la création des meilleures conditions possibles pour accompagner le retour vers la mère patrie. De toute manière, il n'est pas question de fonder trop d'espoirs sur les émigrés, la migration ne pouvant pas résoudre les problèmes du pays d'ordre structurels. En l'absence d'une politique de réformes structurelles, la migration peut renforcer le processus de sous-développement alors que la mise en œuvre de transformations politiques et économiques permet aux migrants de s'inscrire dans la dynamique de changement. Il y a également à prendre en considération le fait que le Maroc, tout en continuant à être un pays émetteur de migration, est devenu aussi un pays d'accueil.