Les cimaises de la galerie Baba Rouah à Rabat abritent jusqu'au 8 avril les œuvres récentes de Abderrahman Rahoule, peintre, sculpteur et directeur de l'Ecole supérieure des Beaux-arts de Casablanca, et ce sous le thème « Hommage à deux grandes grande passionnées d'art : Leïla Fraoui et Pauline de Mazières », la première fondatrice de la galerie Nadar à Casablanca en1974, la deuxième de celle de l'Atelier à Rabat. Rahoule est l'un des sculpteurs les plus influents du Maroc, et reconnu sur la scène artistique internationale. On lui doit, entre autre, l'animation visuelle de plusieurs agences bancaires, de l'ancien siège de la poste, du centre d'artisanat de Casablanca et de nombreuses autres institutions. Professeur émérite puis directeur de l'Ecole Supérieure des Beaux Arts de Casablanca, Rahoule est le fervent militant que toutes les associations culturelles et artistiques sollicitent. Ses fréquentations d'ateliers internationaux et ses rencontres artistiques à l'étranger renforcent son statut d'artiste vétéran modèle pour les générations à venir. Entretien. Votre exposition est dédiée aux âmes vivantes de deux grandes dames qui ont contribué judicieusement à la promotion et au développement des arts plastiques aux Maroc : Mesdames Leila Faraoui et Pauline de Mazières. Un mot sur cet acte symbolique ? Abderrahman Rahoul : A l'occasion de la journée mondiale de la femme, je tiens à exprimer ma reconnaissance à l'égard de deux grandes dames qui ont manifesté leur confiance aux artistes marocains et une authentique passion pour l'art contemporain marocain depuis les années soixante dix. Il s'agit de Mesdames Leila Faraoui et Pauline de Mazières grâce à qui de nombreux artistes de différentes régions du Maroc ont été révélés. Leurs deux galeries (Nadar et l'Atelier) ont motivé les rares collectionneurs de l'époque pour qu'ils s'intéressent à l'art contemporain marocain. Puis au fil des années, la fréquentation de Nadar et de l'Atelier a provoqué un engouement chez de nombreux amateurs d'art. Sans oublier que les architectes Abdeslam Faraoui et Patrice de Mazières ont été des pionniers qui s'étaient engagés dès les années soixante dix à intégrer des œuvres plastiques dans leurs projets de construction. Je dédie donc cette exposition à Mesdames Leila Faraoui et Pauline de Mazières. Quelle est la valeur ajoutée de votre exposition à la galerie Baba Rouah à Rabat ? J'ai travaillé profondément sur la structure dynamique de l'espace et des formes, en revisitant le paysage urbain, tout en mettant en toile les ligues architecturales à la fois apparentes et latentes. Dans mes œuvres plastiques variées, je recherche sans cesse la quintessence des espaces habités et vécus. Rien n'est livré au hasard. Chaque détail répond à un souci esthétique. Chaque courbe cache une énigme et chaque couleur exprime une émotion. Le tout exprime une impression créative chargée de sentiment et porteuse de messages et de sens. Mon approche artistique repense la question de la dimension humaine des blocs d'habitation. Mes souvenirs dans le quartier de Derb Sultan m'ont toujours accompagné et nourri mon œuvre. Que ce soit par son architecture ou par la convivialité de ses habitants, ce quartier emblématique a toujours été pour moi une source d'inspiration, que ce soit en peinture ou en sculpture. En contemplant vos toiles, on perçoit Derb Sultan ? Je suis fier de mon quartier et ses gens sont fiers de moi. Et mes toiles rappellent l'architecture du quartier qui a émerveillé mon enfance, se distinguant par un entassement urbain des logis avec des formes coniques, sphériques, rectangulaires, carrées d'habitations. Votre travail plastique vacille entre la sculpture et la peinture. Comment vous gérez cette dualité stylistique ? A l'instar de mes peintures semi abstraites, mes sculptures rendent hommage à l'être et à la matière. L'art du volume exige une certaine dextérité à traiter les matériaux et à les soumettre à ses métamorphoses esthétiques. Contrairement aux représentations classiques des formes, j'essaie de donner à mes structures formelles une profondeur et une âme, symbolisant par là l'universalité de la pensée, et liant l'exercice de l'esprit à celui du corps. La diversité technique est déterminante pour la suite de mon travail. À mon tour, j'opère une rupture dans l'histoire de la sculpture et de la peinture au Maroc, en ouvrant la voie à l'art moderne, par l'introduction dans mon œuvre de procédés techniques et de partis pris plastiques qui se trouvent au centre de mon esthétique. Comment avez-vous intégré le monde de l'art ? Je n'ai jamais pensé faire de l'art. Ce n'est qu'en me présentant au concours de l'école des beaux-arts de Casablanca que j'ai eu le déclic. C'est ainsi qu'a commencé ma formation artistique, en 1962, à l'Ecole des beaux-arts de Casablanca, avant de partir à Paris pour intégrer successivement l'Ecole nationale supérieure des arts industriels et des métiers d'art, puis l'Académie populaire des arts. Comment appréciez- vous le vrai statut de l'artiste digne de cette qualité ? L'artiste doit être un créateur hors pair et un travailleur acharné. Il doit faire preuve d'une grande habilité pour les beaux arts. C'est un potentiel créatif dont l'œuvre est la clé de notre intériorité et de notre universalité. L'intériorité, c'est-à-dire qu'il nous apprend à nous connaître, à aller chercher en nous les émotions, pourquoi nous sommes émus par telle peinture, par telle sculpture, donc aller chercher en nous ces clés-là et puis, il est universel, il nous donne ce sentiment d'universalité parce que ces émotions sont partagées, ces émotions peuvent être collectives et donc, à un moment donné, ce collectif-là devient universel et c'est ce rapport-là, entre l'universalité et l'intériorité, qui me plaît et qui m'anime. En tant que directeur de l'Ecole Supérieure des Beaux Arts de Casablanca, quelle est votre vision de l'art dans la société d'aujourd'hui ? L'art connaît aujourd'hui un printemps. Il doit être partagé. Il faut que nous prenions conscience de ça et que ce moyen culturel soit un outil indispensable de notre politique générale pour notre pays. Donc, c'est là où on se dit c'est essentiel, et c'est essentiel d'essayer de promouvoir les artistes à travers tous les supports de la médiation culturelle. En tout cas, je dirais que l'art est une nécessité. C'est l'air qu'on respire, c'est quelque chose d'éminemment nécessaire et je crois que, tout ce qui peut être fait pour l'art, est fait pour le bonheur de l'être humain. Je pense que l'être humain a besoin d'art pour, à la fois se projeter dans la vie, dans la société et peut-être, aussi et surtout, pour se retrouver soi-même. Je pense que l'art a cette vertu de vous ramener à vous-même, à ce que vous êtes vraiment, à vos émotions intimes, à cet univers intérieur qu'est l'être et puis, à devenir universel.