Dans un avis rendu tout dernièrement, à la demande du Chef du gouvernement, sur le projet de loi-cadre (PLC) portant sur la charte nationale de l'environnement et du développement durable (CNEDD), le Conseil économique et social a procédé à une analyse dont il a donné les conclusions et recommandations dans un récent rapport.. Cette analyse a permis d'identifier quelques points sur lesquels des amendements seraient souhaitables pour améliorer la cohérence du dispositif proposé. Elle a permis de mettre en évidence certaines contraintes prévisibles en termes de mise en œuvre ainsi que des opportunités à saisir, et de consolider les propositions du CES en faveur d'un dispositif effectif de protection de l'environnement et de développement durable. L'avis du Conseil comporte des conclusions générales et des recommandations thématiques transverses et une liste de propositions d'amendements. Selon le Conseil, PLC a fait l'objet d'une analyse SWOT 1 qui a permis d'en identifier les principaux éléments de forces, faiblesses, opportunités et risques. Les conclusions de ce diagnostic sont résumées ci-après. Le PLC a repris la majorité des principes cités dans la CNEDD et reste en ligne avec la Constitution de 2011 et les principes généraux retenus dans les dispositifs juridiques au niveau international. Il décline les orientations de la charte nationale de l'environnement et du développement durable en conférant une assise juridique globale à son contenu à travers l'explication des principes, droits et devoirs ainsi que la définition des engagements qui doivent être respectés par l'ensemble des parties prenantes dans ce domaine, à savoir : l'Etat, les collectivités locales, les entreprises publiques et privées, la société civile et les citoyens. Il doit permettre de définir les orientations globales nécessaires à la mise en place d'un dispositif juridique efficace de protection de l'environnement et de développement durable. Ainsi, ce projet de loi-cadre exige l'intégration de la protection de l'environnement et du développement durable dans l'ensemble des politiques, stratégies et plans d'action nationaux, régionaux et sectoriels. Il a également pour ambition de renforcer la protection juridique des ressources et des écosystèmes en énumérant les types d'actions et de mesures que les pouvoirs publics devraient entreprendre en vue de lutter contre la pollution. Il prévoit également des mesures d'ordre institutionnel, économique et financier en vue d'instaurer une gouvernance environnementale garantissant l'efficacité et la cohérence des actions menées. Cependant, le PLC ne mentionne pas dans « l'exposé des motifs » les nouvelles dispositions constitutionnelles en lien, spécifiquement ou non (ex : articles 6, 12, 13, 14, 15, 27, 31, etc.), avec la protection de l'environnement et le développement durable, ne définit pas tous les concepts utilisés dans le texte, ce qui pourrait induire des interprétations erronées et des abus dans l'application. Il conviendrait à ce titre de mettre en cohérence l'ensemble du cadre réglementaire et juridique. Par ailleurs, il sera nécessaire d'évaluer et de mobiliser des financements publics et privés importants pour accompagner la mise en œuvre des mesures opérationnelles prévues par le projet de loi pour assurer la transition écologique. Sur le plan social, le projet visé n'explicite pas suffisamment les mécanismes par lesquels le développement durable permettra de contribuer au respect des normes sociales, au renforcement de la cohésion sociale et à la réduction des inégalités. Le dispositif de gouvernance environnementale énoncé mériterait plus de clarification pour permettre d'une part d'assurer la cohérence des plans stratégiques nationaux et locaux avec les équilibres économiques, sociaux, culturels et environnementaux, et d'autre part, d'opérer une meilleure coordination entre les différents acteurs centraux et régionaux dans les domaines de l'environnement et du développement durable. Par ailleurs, la mise en œuvre des exigences nouvelles introduites par le PLC renforcera l'utilisation de technologies propres et développera, d'une manière plus affirmée, la fiscalité environnementale. Ces évolutions attendues constituent une opportunité réelle pour l'émergence de l'économie verte et le progrès de la recherche et du développement en matière d'environnement et de développement durable. Néanmoins, il y a lieu de souligner les risques qui seraient associés à une mise en œuvre non maîtrisée ou insuffisamment préparée du dispositif envisagé, la sur-taxation des activités économiques, l'application désorganisée du principe de participation, l'incapacité du système éducatif à former des compétences adaptées aux exigences du PLC sont autant de facteurs qui pourraient nuire à la compétitivité du tissu économique national. Les recommandations du CES S'agissant des dispositions présentées dans le PLC, certaines pistes de réflexion méritent d'être prises en considération lors de la finalisation du texte : A. Droits, devoirs et principes - Les droits et devoirs en matière d'environnement et de développement durable sont à réglementer pour une meilleure responsabilisation des citoyens. Les mécanismes d'accès à l'information environnementale doivent être réglementés. La jurisprudence en matière de droit à l'environnement au Maroc est à initier, à développer et il doit en être tenu compte, pour accompagner la diffusion de la culture d'exercice des droits et des devoirs en matière d'environnement et de développement durable. - L'application du principe de précaution doit être adossée à une autorité scientifique compétente. La définition du principe de précaution reste assujettie à plusieurs interprétations et son application risque d'être problématique si l'on ne se réfère pas à une autorité scientifique légitime et neutre. - Le principe de participation est à encadrer par la loi. Le principe de participation doit être organisé par la loi en vue de garantir, pour le public concerné, l'accès aux informations relatives à l'environnement détenues par l'Etat, les organismes publics et les entreprises privées, et le recours, le cas échéant, à la justice en matière d'environnement. Les mécanismes de consultation et de participation du public au processus de prise de décision environnementale doivent être définis et garantis, tout en permettant la prise de décision dans des délais raisonnables. - La protection de l'environnement doit être fondée sur une connaissance scientifique et une normalisation selon une approche territoriale. La protection de l'environnement doit être fondée sur un état de référence scientifique qui permet d'évaluer et de valoriser les différents paramètres environnementaux en tenant compte des spécificités territoriales. La mise en œuvre des mesures énoncées dans le titre II (Protection de l'environnement) doit se référer à des normes écologiques territorialisées, chiffrées et mesurables. Ces normes doivent être élaborées en concertation avec l'ensemble des parties prenantes et en tenant compte du coût économique et social. Il convient de regrouper l'ensemble des normes environnementales chiffrées élaborées comme composante d'un code national de l'environnement annexe à la loi-cadre. En matière de changement climatique, il convient de distinguer entre les notions d'adaptation et d'atténuation pour faire la différence entre deux types d'actions : - les actions visant l'adaptation aux effets exogènes engendrés par le changement climatique et permettant de bénéficier de financement des projets utilisant des technologies propres, de la part d'organismes internationaux ; - les actions visant la réduction des émissions de gaz à effet de serre (CO2) générées par les activités économiques de notre pays. Mettre en valeur la dimension sociale du développement durable La dimension sociale du développement durable n'est pas suffisamment mise en valeur et prise en compte dans les mesures d'accompagnement proposées. Il convient que le titre III du PLC mentionne de façon explicite : - l'objectif de lutte contre les inégalités écologiques et sociales en évitant que les catégories sociales les plus vulnérables en matière de revenus, d'habitat et d'équipements sociaux soient les plus exposées à subir les nuisances environnementales ou à les provoquer ; - l'obligation de respecter les normes sociales en vigueur ; - la promotion de la cohésion sociale et de la solidarité entre les territoires et entre les générations. - L'éducation et la sensibilisation environnementale sont primordiales et doivent être généralisées. Il apparaît nécessaire d'intégrer dans le PLC des mesures en matière de formation et de sensibilisation environnementale pour l'ensemble des acteurs (encadrants de jeunes, ONG régionales, juges, policiers et gendarmes, élus locaux, citoyens, enseignants, éducateurs, leaders d'opinion, etc.). Il serait à ce titre opportun d'adopter une approche de « transition écologique » pour mieux mener la conduite de changement comportemental et assurer une forte mobilisation de l'ensemble des catégories sociales dans la vision de développement durable. - La recherche et développement et la formation dans les métiers de l'environnement et du développement durable doivent être dynamisés. Les programmes de recherche et de développement au service du développement durable et de l'économie verte, mentionnés à l'article 18 du PLC, doivent être fondés, d'une manière explicite, sur les principes d'écoconception et de promotion de l'utilisation de matériaux et de produits durables locaux. La promotion de la formation dans les métiers de l'environnement et du développement durable est une orientation majeure pour réussir l'émergence d'un savoir-faire national et doit être inscrit dans le PLC. - Le rôle fondamental des ONG environnementales est à soutenir par un accompagnement approprié. Compte tenu de l'importance capitale des organisations non gouvernementales dans la démocratie participative, la communication, la formation, l'éducation et les actions de développement social et local, leur rôle en matière environnementale doit être soutenu et renforcé. Il convient notamment de leur assurer un accompagnement adéquat, mobilisant les moyens appropriés. De même, il serait opportun de définir un cadre réglementaire qui établisse des critères pertinents de qualification, qui clarifie les missions et les mécanismes de participation à la prise de décision environnementale, et qui précise les mécanismes de réclamation, et du pouvoir d'ester en justice. Dimension économique : de grandes opportunités - L'Economie verte constitue une grande opportunité à concrétiser. Le titre III du PLC nécessite d'ajouter un article spécifique pour mettre en place l'économie verte et mettre en exergue les opportunités de création d'emplois et de richesses engendrées par la mise en oeuvre des nouvelles exigences réglementaires du développement durable, en donnant la priorité aux investissements dans les domaines disposant d'une haute potentialité de durabilité mentionnés dans l'article 12. Cette transition économique doit tenir compte de la nécessité de mettre en oeuvre des mesures d'accompagnement sociales et économiques pour la conversion des activités impactées négativement. - Le financement vert est un levier indispensable. Le PLC ne fait pas apparaître le rôle fondamental du secteur bancaire et financier national dans l'accompagnement de la mise en oeuvre des nouvelles exigences de protection de l'environnement et du développement durable. Dans ce sens, il conviendrait d'envisager dans le PLC des partenariats entre l'Etat et le secteur bancaire pour le financement des projets relatifs au développement durable et à la préservation de l'environnement, d'intégrer les exigences environnementales et sociales dans les procédures d'octroi des crédits d'investissement par les banques et de développer des produits financiers verts à des conditions préférentielles pour financer des projets utilisant des technologies propres ou dans les secteurs à fort potentiel de durabilité. A ce titre, il est recommandé de saisir les opportunités de financement offertes par des programmes internationaux et bilatéraux visant à promouvoir et financer les projets de préservation de l'environnement et de développement durable. - La fiscalité environnementale peut aussi permettre la mise en place de mécanismes incitatifs. Le lien entre les articles 28, 29 et 30 mériterait d'être clarifié. Ainsi il conviendrait de préciser que la collecte des recettes de l'application du principe « pollueur payeur » servira à alimenter le fonds d'incitation des projets de mise à niveau environnementale et de subvention de technologies propres. Par ailleurs, il est nécessaire de développer des incitations fiscales pour encourager les contribuables à la protection de l'environnement, à la recherche et au développement et à la promotion de l'économie verte. D'autre part, le principe de « pollueur payeur » visant à dissuader les agents économiques devrait intégrer une certaine progressivité, sans pour autant compromettre la préservation des ressources naturelles et engendrer des dommages irréversibles à la santé humaine et à l'environnement. Enfin, l'élaboration de mesures d'accompagnement pour l'application effective de la législation environnementale doit être envisagée : par exemple par un transfert de la pression fiscale ou la mise en place d'un fonds dédié à l'environnement. Optimiser et contractualiser les engagements entre les parties prenantes Les engagements des cinq parties prenantes, citées dans le titre IV du PLC, en matière d'environnement et de développement durable doivent être contractualisés. Les engagements des collectivités territoriales (régions et communes) doivent être soutenus par des mécanismes de bonne gouvernance entre les différents intervenants sur le territoire, l'accélération du processus de décentralisation, la mise en cohérence des plans de développement (régionaux et communaux) prévus par la charte communale avec les nouvelles exigences du PLC, ainsi que par la mise à disposition des moyens financiers (public-privé) et de compétences humaines appropriées. La responsabilité sociale et environnementale des entreprises publiques et privées doit être encouragée par le biais de mécanismes d'incitation, dans la mesure où, en tant que système d'engagement volontaire, elle favorise la bonne gouvernance, l'amélioration continue des performances opérationnelles et in fine l'amélioration de la compétitivité à l'international.