Un exécutif à deux pôles effectifs. Cette rime n'est pas gratuite. Bien au contraire, c'est ce qui se dégage de la lecture des dispositions de la Constitution marocaine de 2011 et notamment des articles relatifs aux attributions royales et ceux portant sur les compétences désormais reconnues et dévolues au chef de gouvernement. La question de la nomination des hauts fonctionnaires et des responsables des rouages administratifs et économiques de l'Etat en offre une bonne illustration. Le roi continue de gouverner, mais plus seul. Dans l'ancien régime constitutionnel, la prérogative régalienne en la matière était sans équivoque : « le Roi nomme aux emplois civils et militaires ». Il pouvait cependant déléguer cette compétence. Chose qui était souvent faite à l'exception de certains postes dont la nomination des détenteurs continuait d'être faite par Dahir, en l'absence, toutefois, de toute procédure légale formalisée. Aujourd'hui, cette situation est révolue. L'attribution est partagée entre les deux premiers responsables de l'Etat, à savoir le roi et l'ancien premier ministre, devenu par la même occasion chef du gouvernement. Les articles 49, 91 et 92 de la nouvelle Constitution redistribuent les cartes en matière des nominations. L'article 49 dispose en effet que le Conseil des ministres, tenu sous la présidence du roi, délibère, entre autres, au sujet de la nomination, sur proposition du chef du gouvernement et à l'initiative du ministre concerné, aux emplois civils de wali de Bank Al-Maghreb, des ambassadeurs, des walis et des gouverneurs, et des responsables des administrations chargées de la sécurité intérieure du royaume, ainsi que des responsables des établissements et entreprises publics stratégiques. Une loi organique précisera la liste de ces établissements et entreprises stratégiques. A la lecture de cet article, il est remarquable que le texte constitutionnel abaisse quelques prérogatives du roi. D'un côté, les candidats aux nominations royales aux postes civils doivent être proposés par le chef du gouvernement sur initiative du ministre de tutelle. D'un autre, si le roi devrait continuer à nommer à la tête des établissements et entreprises qualifiés de « stratégiques », c'est à une loi organique qu'il sera fait recours pour répertorier ces entités. Ces établissements et entreprises publics stratégiques sont au nombre de 39, dont 20 établissements publics et 19 entreprises publiques. Un projet de loi organique, adopté en Conseil des ministres le 7 février 2012 en donne la liste exhaustive. Ce qui signifie que le roi ne monopolise pas la compétence de nomination aux hauts postes de l'Etat. Cette attribution s'exerce dans un cadre démocratique de partage des pouvoirs avec le chef du gouvernement. Règle de mise dans les Etats développés. Les articles 91 et 92 sont également novateurs puisque pour la première fois, un pouvoir de nomination est reconnu au chef du gouvernement. Le premier dispose en effet que le chef du gouvernement nomme aux emplois civils dans les administrations publiques et aux hautes fonctions des établissements et entreprises publics, sans préjudice des dispositions de l'article 49 de la Constitution. Il peut déléguer ce pouvoir. Alors que l'article 92 ajoute que le Conseil de gouvernement délibère « (...) de la nomination des secrétaires généraux et des directeurs centraux des administrations publiques, des présidents d'universités, des doyens et des directeurs des écoles et instituts supérieurs ». Dans la pratique, et d'après les dispositions du projet de loi organique précité, le nombre total des nominations faisant partie des prérogatives du Conseil de gouvernement s'élèverait à plus de cinq cents dont 136 établissements et entreprises publics et l'ensemble des hautes fonctions dans l'administration publique (secrétaires généraux, directeurs centraux des ministères et autres). La reconnaissance et la constitutionnalisation d'un pouvoir de nomination au profit du chef de gouvernement, au-delà de la simple question de partage des compétences, sont un moment fort de la vie politique nationale et promettent des retombées beaucoup plus profondes. Une des premières de ces retombées est indubitablement la revalorisation du statut du chef du gouvernement. La Constitution de 1992, puis celle de 1996, avaient reconnu l'autorité du gouvernement sur son administration, « sous la responsabilité du Premier ministre ». Toutefois, cette autorité ne s'est pas traduite en pouvoirs réels tel celui de la nomination des commis de l'Etat. Or, l'administration n'est en principe que le bras du gouvernement. Il va de soi que le chef de ce dernier nomme les cadres de la première et met par la même occasion fin à leurs missions. Une deuxième conséquence est relative à la responsabilité des cadres. Considérant pendant longtemps qu'ils n'ont de compte à rendre qu'à l'autorité de leur nomination, les hauts fonctionnaires et responsables de l'Etat constituaient un quasi-gouvernement autonome. Désormais, cette dichotomie est appelée à disparaître, mais en tenant compte des dispositions de l'article 49 précité. Nommés par le gouvernement, ils seraient logiquement responsables devant lui. Cette situation confère au Parlement toute latitude de contrôler leur action à travers la déclaration gouvernementale, les budgets alloués et l'interpellation des ministres de tutelle. De ce fait, c'est l'exercice démocratique qui sort renforcé de la nouvelle configuration constitutionnelle. De ce point de vue, c'est le champ partisan qui récolterait, lui aussi, quelques avantages du système de partage. Sans pour autant virer vers un « spoil system » en vigueur aux Etats-Unis, car le modèle électoral marocain ne permet à aucune formation politique de remporter la majorité absolue des voix, les partis formant la coalition gouvernementale auraient la possibilité de mettre leurs ressources humaines au service de leurs programmes. Le nouveau mode de nomination aux postes civils, en consacrant la double compétence du roi et du chef du gouvernement, nous rappelle en quelque sorte le système constitutionnel français, celui de la Ve République, qui marie régime présidentiel et régime parlementaire. Dans le cas marocain, le défi majeur d'un tel mode serait d'asseoir un équilibre entre les exigences de stabilité et les impératifs de démocratisation. La qualité de l'institution royale, en tant que garante de la pérennité de l'Etat et de la continuité de ses institutions, ne saurait être en contradiction avec l'alternance des gouvernements, en principe porteurs de programmes politiques transparents et fiables et donc en droit d'avoir les ressources humaines à même de réaliser leurs projets et de piloter leurs stratégies. *Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. La conflictualité structurant la zone sahélo-maghrébine constitue également l'une de ses préoccupations majeures. Outre ses revues libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. Sous sa direction ont donc été publiés, auprès des éditions Karthala, « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) » (décembre 2009), « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile » (janvier 2011) et « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies » (septembre 2011). En avril 2012, le CEI a rendu public un nouveau collectif titré, « La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires ». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume. Par : Abderrahmane HADDAD Professeur à la faculté de droit de Meknès Conseiller auprès du Centre d'Etudes Internationales*