La Constitution marocaine de 2011 - Analyses et commentaires est le titre du nouveau livre initié et réalisé sous la direction du Centre d'Etudes Internationales* (CEI), paru aux éditions LGDJ le 24 avril 2012 et dont la commercialisation au Maroc aura lieu prochainement. Dans cet ouvrage collectif, Mohammed Amine Benabdallah** démontre que le bicaméralisme repris par le constituant de 2011 se caractérise désormais par une prééminence de la Chambre des représentants sur celle des conseillers. Le bicaméralisme n'est pas nouveau au Maroc. Le Maroc l'a déjà connu avec la Constitution de 1962, malgré que son expérience ait été trop courte. La Constitution de 1996 l'a adopté de nouveau, mais son fonctionnement, aux yeux de nombre d'observateurs, n'a pas été à la mesure de ce que l'on en attendait. Dans plusieurs cas, il a constitué un facteur de blocage dans la procédure d'adoption des lois, à telle enseigne que l'on pouvait fort bien parler de deux parlements en un seul. Néanmoins, la Constitution de 2011 l'a maintenu en y apportant des modifications ayant trait aux fonctions, législative et de contrôle. Bicaméralisme et fonction législative En matière législative, c'est la Chambre des représentants qui dispose du dernier mot, tant pour l'adoption des lois ordinaires et des lois organiques que des décrets-lois. 1 - A l'exception des projets de lois relatifs aux collectivités territoriales, au développement régional et aux affaires sociales qui sont déposés en priorité sur le bureau de la Chambre des conseillers, tous les autres projets de lois sont d'abord étudiés par la Chambre des représentants à laquelle revient leur adoption en dernier ressort. Cependant, l'adoption des textes relatifs aux collectivités territoriales, au développement régional et aux affaires sociales, a lieu en dernier ressort par la Chambre des représentants à la majorité absolue des membres présents. 2 - L'adoption des lois organiques qui sont au nombre de dix-neuf, se fait dans les mêmes conditions que celles de la loi ordinaire, à la différence que les projets ou les propositions de lois organiques ne peuvent être soumis à délibération par la Chambre des représentants qu'à l'issue d'un délai de dix jours après leur dépôt et qu'avant leur promulgation, ils doivent être déclarés conformes à la Constitution par la Cour constitutionnelle. Le plus important au plan du bicaméralisme, c'est qu'ils doivent obligatoirement être présentés en priorité à la Chambre des représentants. Néanmoins, la loi organique relative à la Chambre des conseillers doit être votée dans les mêmes termes par les deux chambres. 3 - En matière des décrets-lois, si la Constitution de 1996 plaçait les deux chambres sur un pied d'égalité en ce sens qu'à défaut d'accord entre leurs commissions concernées, il pouvait être procédé à la constitution d'une commission paritaire en vue de proposer une décision commune à leur soumettre et que si celle-ci n'est pas adoptée, l'accord des commissions est réputé avoir été refusé, le constituant de 2011 a institué, en amont et en aval, la primauté de la Chambre des représentants. En amont, la primauté de cette dernière se manifeste par le fait que le projet de décret-loi est déposé sur son bureau et non, comme cela était le cas, sur le bureau de l'une des deux chambres. En aval, cette primauté s'illustre par le fait que si les commissions concernées des deux chambres ne parviennent pas à une décision commune dans un délai de six jours, celle-ci revient à la commission concernée de la Chambre des représentants. Bicaméralisme et fonction de contrôle Le constituant de 2011 a complètement réduit le rôle de la Chambre des conseillers en faveur de la Chambre des représentants. Cette nouvelle configuration bicamérale ressort des trois moments cruciaux du contrôle parlementaire : la présentation du programme par le gouvernement, l'engagement de la responsabilité de celui-ci par la question de confiance, et sa mise en difficulté par des motions de censure et d'interpellation. 1 - Après la désignation du gouvernement par le roi, son chef expose devant les deux chambres réunies, le programme qu'il compte appliquer. Un débat est engagé devant chacune des deux chambres, mais le vote n'a lieu qu'à la Chambre des représentants qui, à la majorité absolue de ses membres, investit le gouvernement. 2 - Actuellement, la Constitution de 2011 précise que la responsabilité du gouvernement peut être engagée devant la Chambre des représentants, sur une déclaration de politique générale ou sur le vote d'un texte. Il y est ajouté que la question de confiance ne peut être refusée qu'à la majorité des membres composant la Chambre des représentants - c'est à dire une majorité négative - et que le refus de confiance entraîne la démission collective du gouvernement. Par ces procédures, c'est la Chambre des représentants qui est concernée et non point la Chambre des conseillers. 3 - Par les moyens de censure et d'interpellation, le parlement dispose d'armes importantes à l'égard du gouvernement ; mais dans la Constitution de 2011, la motion de censure est désormais l'apanage de la seule Chambre des représentants et les conditions de sa mise en œuvre n'ont guère changé par rapport à ce qui était prévu dans les anciens textes constitutionnels. Quant à la motion d'interpellation, le constituant semble ne l'avoir consentie à la Chambre des conseillers que pour la munir d'une procédure certes emprunte de signification politique, mais, somme toute, sans effets sur le plan pratique. En comparant les deux moyens de contrôle et l'usage qui peut en être fait, il apparaît clairement que dans la Constitution de 2011, c'est la Chambre des représentants qui détient la « part du lion ». En conclusion, le nouveau bicaméralisme se distingue par un ensemble de facteurs qui le rapprochent du bicaméralisme inégalitaire où la Chambre des représentants bénéficie d'une prééminence incontestable tant dans le processus législatif que dans le contrôle du gouvernement. * Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. La conflictualité structurant la zone sahélo-maghrébine constitue également l'une de ses préoccupations majeures. Outre ses revues libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. ** Mohammed Amine BENABDALLAH est titulaire d'un doctorat d'Etat en droit public à l'université de Paris II - Panthéon-Assas. Il enseigne le droit public à l'université Mohammed V de Rabat-Agdal. Auteur de plusieurs ouvrages, il a également publié des articles et notes de jurisprudence.