Le Trajet ou Ligne à Grande Vitesse (TGV-LGV), une fois opérationnel, fera entrer le Maroc dans le cercle des pays dotés de cette technologie de pointe. Il ne s'agit pas d'un projet superflu ou inutile, loin s'en faut. Si certains observateurs expriment leur réticence pour ce genre de projet, peut-être ne l'ont-ils pas apprécié de manière globale et n'y ont vu que le côté prétendument somptueux ou «effet de mode». Or, non seulement le TGV répond à des besoins réels liés à l'augmentation du nombre des passagers, mais aussi à des considérations d'ordre géoéconomique: doter le Maroc de leviers majeurs de développement à même de lui permettre de s'affirmer dans l'économie politique internationale où puissance et richesse des nations se conjuguent. A l'image de la France dotée de 1800 kilomètres de TGV ou de l'Espagne forte de ses 1300 kilomètres, le Maroc a donc décidé, avec raison, de doter le pays de cette technologie indispensable au XXIème siècle. Certes, personne ne conteste que le Royaume doit, parallèlement à la réalisation du TGV, répondre à d'autres impératifs socioéconomiques, notamment le désenclavement rural, la lutte contre l'habitat insalubre, l'éradication de l'analphabétisme, la lutte contre la précarité. Mais ces priorités ne sauraient empêcher le pays de se lancer, parallèlement, dans des projets d'envergure à l'instar du port Tanger-Med, du complexe Jorf Lasfar, de l'usine Renault-Nissan et des tramways de Rabat et de Casablanca. De tels projets ont une dimension géoéconomique régionale, voire internationale, dans la mesure où ils ont un impact positif sur l'investissement direct étranger à destination du Royaume, directement ou indirectement. Ils ont également à coup sûr des effets d'entraînement sur d'autres secteurs comme les industries d'équipement. A cela s'ajoute l'impact psychologique du projet de TGV tendant à inscrire le pays dans l'ère de la célérité. En effet, l'accélération de l'histoire, depuis la fin de l'ère bipolaire, est devenue une réalité tangible. Les nations développées sont, depuis, entrées dans une course effrénée pour la conquête des marchés. Cette guerre géoéconomique globale ne laisse pas de place pour les indécis. Le concept de TGV permettra donc au Maroc d'ouvrir une fenêtre sur le « post-modernisme ». Le TGV partira de Tanger, une ville de dimension méditerranéenne qui connaît un essor rapide et vouée à l'avenir au rang de mégalopole. A long terme, elle sera reliée à l'Espagne, et donc à l'Europe, par une liaison fixe, si du moins ce projet d'envergure et de longue date aboutit. La ville de Tanger est aussi dotée d'un port à vocation internationale, Tanger-Med, qui est lui-même intégré au réseau ferroviaire national. Sur le plan touristique, Tanger - berceau de l'Union pour la Méditerranée - a un bel avenir en la matière. Dans un premier temps, le LGV reliera Tanger à Casablanca puis, dans une seconde phase, à Agadir. Le TGV reliera également Casablanca à Oujda en passant par Meknès et Fès, deux villes au potentiel touristique important. On pourra alors imaginer les économies considérables en termes de temps que l'usager gagnera une fois le chantier terminé. Le schéma directeur de l'Office national des chemins de fer (ONCF) envisage, à l'horizon 2030, la construction d'un réseau de 1500 km devant relier Tanger à Agadir via Rabat, Casablanca, Marrakech et Essaouira en moins de 4 heures (Ligne Atlantique) ; et Casablanca à Oujda via Meknès, Fès en moins de 3 heures (Ligne Maghrébine). L'impact socioéconomique du TGV est - ne serait-ce que de ce point de vue - incontestable. A cela s'ajoute l'insertion dudit projet dans le cadre d'une stratégie globale du développement du Maroc, catalysée par les multiples chantiers structurants lancés comme le Plan Emergence, le Plan Azur, le Plan Halieutis, le Plan Numeric et le Plan solaire. L'impact socioéconomique du projet de TGV se ressentira sûrement à long terme. Il facilitera en outre le déplacement des Marocains résidant à l'étranger, surtout dans une optique de connexion du réseau des voies ferrées du Maroc au réseau ferroviaire européen. Dans cette perspective, il y a lieu de rappeler que les projections de l'ONCF tablent à long terme sur une connexion ferroviaire entre Rabat et Madrid, en 3 heures, et entre Rabat et Paris, en 8 heures. De plus, le lancement du TGV n'est qu'un aspect de la stratégie globale de mise à niveau du transport au Royaume. Ainsi, dans le cadre du Statut avancé, la convergence réglementaire en matière de transport est l'une des conditions pour l'accès des entreprises marocaines au marché intérieur européen. Plusieurs modes de financement ont été mobilisés au titre de la réalisation du TGV. Le coût du TGV pour le trajet Tanger-Casablanca est de l'ordre de 20 milliards de dirhams. Il fait partie d'un contrat-programme global de 33 milliards de dirhams entre l'Etat et l'ONCF, sur la période située entre 2010 et 2015. La France contribue également à son financement. Récemment, le Fonds arabe pour le développement économique et social (FADES) a accordé au Maroc un prêt de 864 millions de dirhams pour sa réalisation. Le Fonds koweitien pour le développement économique arabe (FKDEA) a également consenti, dans le même sens, un prêt de 89 millions dollars. Une telle mobilisation des fonds n'a été possible que grâce à l'attractivité du projet de TGV et à son montage financier. L'ONCF aura donc accompli, à travers ce chantier d'envergure, une success story. Il s'agit, pensons-nous, d'un projet citoyen dont les retombées à long terme sont structurantes et bénéfiques à plus d'un titre. Comme pour le tramway de Rabat ou, celui en cours de réalisation de Casablanca, les contestataires de départ finissent par adhérer au concept car ils en deviennent les premiers bénéficiaires. * Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. La conflictualité structurant la zone sahélo-maghrébine constitue également l'une de ses préoccupations majeures. Outre ses revues libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. Sous sa direction ont donc été publiés, auprès des éditions Karthala, « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) » (décembre 2009), « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile » (janvier 2011) et « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies » (septembre 2011). En avril 2012, le CEI a rendu public un nouveau collectif titré, « La Constitution marocaine de 2011 - Analyses et commentaires ». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume. ----------------------------- Zakaria ABOUDDAHAB Professeur à la faculté de droit de Rabat-Agdal, Conseiller au Centre d'Etudes Internationales*