Le second tour de l'élection présidentielle française opposera le 6 mai le socialiste François Hollande, en tête dimanche à l'issue du premier tour, à Nicolas Sarkozy, qui juge que rien n'est joué malgré une réserve de voix incertaine. Le député de Corrèze était donné gagnant dimanche soir par les instituts Ifop (54,5%-45,5%) et Ipsos (54%-46%). Fait marquant de cette première manche, la candidate du Front national, Marine Le Pen, qui menait à 43 ans sa première campagne dans le sillage de son père, signe le meilleur score présidentiel de l'extrême droite sous la Ve République avec 19% des suffrages, soit près du double de Jean-Marie Le Pen en 2007. Une percée plus notable qu'attendu à rapprocher de la poussée des partis d'extrême droite dans plusieurs autres pays européens face à une crise économique aiguë. "La bataille de France ne fait que commencer. Rien ne sera plus comme avant. (...) Il ne s'agit là que d'un début", a déclaré la présidente du FN lors d'un discours à Paris. "La vague bleu marine fait trembler le système", a-t-elle souligné. Le député de Corrèze François Hollande, qui ambitionne de ramener la gauche au pouvoir en France 31 ans après la victoire de François Mitterrand, obtient 27,97% des suffrages exprimés devant Nicolas Sarkozy (26,86%), selon des résultats provisoires du ministère de l'Intérieur. "Au terme de ce premier tour, je suis le candidat du rassemblement pour le changement. Ce rassemblement doit être le plus large possible", a déclaré François Hollande dans son fief de Tulle (Corrèze), en saluant nommément Jean-Luc Mélenchon et l'écologiste Eva Joly qui ont appelé à voter en sa faveur sans négociation. C'est la première fois sous la Ve République qu'un chef de l'Etat sortant n'est pas en tête à l'issue du premier tour. Le scénario du second tour n'en est pas pour autant écrit. François Mitterrand l'avait par exemple emporté en 1981 après avoir été deuxième à l'issue du premier tour et ayant été éliminé en 1974 après avoir devancé Valéry Giscard d'Estaing. Dans le camp présidentiel, on estime que "rien n'est joué", pour reprendre les termes du Premier ministre François Fillon. "Les deux candidats sont maintenant un devoir de vérité et un devoir de courage", a déclaré Nicolas Sarkozy lors d'un discours à la Mutualité, à Paris. "Le moment crucial est venu, celui de la confrontation des projets", a-t-il poursuivi, appelant à trois débats avec son adversaire socialiste, dont il a fustigé "la fuite en avant dans les dépenses publiques sans aucun contrôle". Ce dernier a répondu depuis Tulle qu'il ne souhaitait toujours qu'un seul débat avec le président sortant. Cinq ans après un scrutin présidentiel marqué par une participation exceptionnelle au premier tour (83,77%), les 44,5 millions d'électeurs appelés aux urnes se sont fortement mobilisés, autour de 80%, démentant des enquêtes alarmantes sur l'abstention et une désaffection supposée envers la politique. Marine Le Pen réussit donc le pari d'obtenir la troisième place, dépassant le score qui avait permis à son père de se qualifier le 21 avril 2002 pour le second tour (16,86%). "Un soirée historique" pour le FN. Un temps considéré comme "le troisième homme" possible du scrutin par les instituts de sondage, le candidat du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui vivait lui aussi son baptême du feu électoral, échoue à détrôner le FN. Dans la bataille du "front contre front", le député européen recueille un peu moins de 11% des voix, une déception pour le trublion à la cravate rouge qui dispose toutefois d'un ascendant notable pour peser dans l'entre-deux-tours et au-delà. "C'est nous qui avons les clés du résultat", a lancé Jean-Luc Mélenchon devant ses militants sur la place de Stalingrad, à Paris, appelant à "tourner la page des années Sarkozy". "A cette heure, en conscience, il n'y a rien à négocier", a-t-il ajouté. Marine Le Pen se prononcera pour sa part le 1er mai lors d'un discours place de l'Opéra à Paris, à l'occasion de la fête de Jeanne d'Arc, a précisé Louis Aliot. Selon les projections, les reports de voix FN vers l'UMP au second tour sont plus mauvais qu'en 2007, ce qui obère les chances de réélection de Nicolas Sarkozy, qui avait obtenu 31,18% des voix au premier tour il y a cinq ans en captant une bonne part de l'électorat frontiste. Cette année, moins d'un électeur de Marine Le Pen sur deux serait prêt à se prononcer pour le chef de l'Etat sortant, qui avait pourtant tenté une nouvelle entreprise de séduction. Signe d'une élection dite de "crise", deux candidats "anti-système" se placent ainsi dans le quatuor de tête. Le centriste François Bayrou fait les frais de cette recomposition politique. Troisième en 2007 avec 18,57% des voix, le président du Mouvement Démocrate (MoDem) est relégué en cinquième position avec moins de 10% des voix. "C'est un résultat décevant. (...) On a vécu une campagne consternante", a commenté sur TF1 Marielle de Sarnez, sa conseillère politique. Le député béarnais, qui entend rassembler la diaspora centriste au lendemain du 6 mai, n'a pas dévoilé pour l'heure ses intentions pour l'entre-deux-tours - consigne de vote, ou pas, comme en 2007. Il a annoncé qu'il prendrait ses responsabilités après avoir écouté les réponses des deux finalistes en termes de "valeurs" et d'"action à conduire". La candidate écologiste Eva Joly ne recueille qu'environ 2% des voix, mieux que Dominique Voynet en 2007 (1,57%) mais loin du meilleur score présidentiel des Verts : Noël Mamère avec 5,25% des voix en 2002. "Le score du FN est une tache sur les valeurs de notre démocratie, un avertissement pour chaque responsable", a-t-elle estimé. Les candidats d'extrême gauche Philippe Poutou (NPA) et Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière) obtiennent près de 2% à eux deux. Le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, président de "Debout la République", est crédité d'environ 1,5%, Jacques Cheminade de 0,2 à 0,3%.