Pour distribuer les richesses, il faudrait d'abord en créer et pour créer des emplois, il faudrait d'abord investir. L'amélioration du pouvoir d'achat et la résorption du chômage, attentes pressantes des citoyens et promesses électorales des partis constitutifs du nouveau gouvernement ne sont pas des politiques aisées à mettre en œuvre, mais elles ne sont pas, non plus, impossibles à réaliser. Il faudrait pour ce faire, diraient les opérateurs économiques, continuer à renforcer l'attractivité et la compétitivité du Maroc, tout en préservant les équilibres macroéconomiques. Mais il faudrait, parallèlement, soutenir le développement humain en lui consacrant les efforts et les moyens suffisants, souligneraient les militants syndicalistes et les hommes politiques. Il y a toutefois un paramètre de l'équation qu'il ne faudrait surtout pas oublier ; la situation économique internationale, surtout celle de l'UE, principal partenaire commercial du Maroc, est loin d'être favorable. Lors de sa récente visite au Maroc, Mme Rodi Kratsa-Tsagaropoulou, vice-présidente du Parlement européen, a déclaré dans un entretien accordé à un confrère de la presse nationale qu' «il est impératif que le Maroc persiste dans la mise en œuvre du document conjoint du Statut avancé et plus particulièrement concernant la libéralisation du commerce des services à fin de passer à l'étape suivante qui est le lancement des négociations sur l'Accord de libre-échange global et complet». Mais, concernant l'accord de pêche rejeté dernièrement par l'Union Européenne, Mme Rodi Kratsa-Tsagaropoulou n'avait rien d'autres à proposer que de «maintenir le dialogue et lancer les négociations avec pour objectif principal d'aboutir à un accord qui prend en considération divers aspects et sensibilités». De quels aspects et sensibilités il est question ? Si le Maroc a consenti à ouvrir ses eaux territoriales poissonneuses à la flotte de pêche européenne, c'est plutôt pour répondre à la demande des partenaires européens à ce sujet, alors qu'une réduction de l'activité de capture serait bénéfique au stock halieutique national. Quand à l'accord agricole, en suspens depuis pas mal de temps, la vice-présidente du parlement européen a eu une réponse plutôt vague. «Il faut tenir compte que dans le cadre d'un accord agricole en perspective, il y a beaucoup d'exigences des parlementaires qui sont relatives entre autres à l'harmonisation des réglementations et au respect de l'environnement». Tout semble donc indiquer qu'il y a des limites à la volonté d'ouverture des Européens, qui cherchent actuellement par tous les moyens de se sortir de la grave crise où ils ne cessent de s'enfoncer. La question de la diversification des débouchés du commerce extérieur marocain se pose ainsi avec toujours plus d'acuité. Un intérêt plus prononcé envers les pays nouvellement industrialisés et leurs marchés potentiellement porteurs offrirait bien des perspectives à moyen et long terme pour le tissu productif national. Ce qui a permis au gouvernement Abbas Fassi de tenir face à la crise internationale, c'est le petit coup de pouce donné à la demande intérieure, tout en apportant son aide aux opérateurs des secteurs d'activités exportatrices les plus touchés par cette crise. Sauf que cette solution n'est que temporaire et le Maroc ne pourrait se contenter de son marché intérieur pour stimuler la croissance. Le pays est fortement dépendant de ses importations en hydrocarbures et en céréales et se doit donc de dynamiser ses exportations pour financer ses achats à l'étranger. Mais il n'en demeure pas moins vrai que des secteurs d'activités, à l'instar de l'immobilier, détiennent un potentiel de croissance apte à dynamiser encore plus le marché intérieur. La compétitivité par le bas coût salarial est proprement intenable face à des pays d'Asie champions du moins disant social. Se risquer sur cette pente glissante, c'est en arriver à brider toujours plus les revenus et droits sociaux des travailleurs, au risque de graves tensions sociopolitiques, sans parvenir pour autant à remporter cette compétition. Miser sur la formation et les secteurs d'activités à forte valeur ajoutée, démarches les plus prometteuses en termes aussi bien économique que social, se heurtent toutefois à la triste réalité de notre système éducatif et au quasi-désintérêt pour la recherche-développement. Le gouvernement Benkirane aurait à répondre aux attentes socioéconomiques des citoyens en opérant des choix stratégiques qui exigent clairvoyance et courage. Dans un contexte économique mondial de plus en plus mouvant, où les positions acquises ne sont pas assurées de continuité et dont les principaux acteurs n'ont plus ni le même poids, ni les mêmes intérêts et politiques, il est difficile, voir suicidaire, de se contenter de faire comme avant. Et l'exploration de nouveaux sentiers de croissance économique et de redistribution des richesses devient une nécessité impérieuse. Le gouvernement Benkirane suivra-t-il en la matière l'exemple du gouvernement Erdogan en Turquie ? Beaucoup de Marocains le souhaitent en faisant le parallèle entre l'obédiance des deux gouvernements. Le contexte est, néanmoins, assez différent. Il n'en demeure pas moins que l'actuelle expérience gouvernementale sera très suivie aussi par les Marocains que par les pays partenaires et voisins et très attendue au niveau des réalisations économiques et sociales.