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Témoignage : La Marche Verte, d'hier à aujourd'hui
Publié dans L'opinion le 10 - 11 - 2011

Le 16 octobre 1975, fort de l'Avis consultatif rendu par la Cour Internationale de Justice (CIJ), reconnaissant l'existence des liens d'allégeance entre certaines tribus des provinces sahariennes et le Sultan du Maroc, le Roi Hassan II annonce dans un discours, tenu le même jour, sa décision de lancer la fameuse Marche Verte, une Marche qui devait être pacifique. Lorsque, le 5 novembre 1975, le Roi Hassan II donna l'ordre d'engager la Marche et de franchir la frontière, c'est sans aucune équivoque qu'il assigne aux marcheurs une mission pacifique. Les marcheurs étaient seulement armés du Coran et du drapeau. Ils étaient animés d'une exceptionnelle ferveur patriotique et conscients de leur participation à une action grâce à laquelle leur pays allait récupérer une partie de son territoire dont il avait été indûment privé par le colonisateur espagnol.
Pour comprendre cet élan inimaginable de 350 000 Marocains se lançant à l'assaut du sol national, il faut connaître ce qu'était à l'époque l'état d'esprit des Marocains et l'immense espoir qui les habitait de recouvrer sans doute une partie de leur espace national, mais plus certainement encore, leur dignité et le respect d'eux-mêmes que la colonisation avait mis à mal.
Ceux qui ont vécu au Maroc au cours des années qui ont suivi l'Indépendance du Royaume, ont été frappés par la volonté réitérée des responsables marocains de récupérer les territoires perdus du fait de la colonisation, ainsi que l'avait annoncé d'emblée le Roi Mohammed V dans son fameux discours de M'hamid El Ghozlane annonçant une orientation fondamentale de la politique du Royaume qui lui permettrait de retrouver son intégrité territoriale dans ses frontières authentiques.
Nombreux étaient les Marocains qui regrettaient que l'Armée de Libération ait été empêchée en 1958 de récupérer les provinces sahariennes occupées par l'Espagne par l'action combinée des Forces armées françaises et espagnoles. Si les enclaves espagnoles de Tarfaya et d'Ifni purent par la suite être rétrocédées par l'Espagne par la voie de la négociation, cela n'empêchait pas les forces politiques exprimant un sentiment national unanime, de ressentir un sentiment de frustration devant cet échec. Cette frustration fut encore avivée par un sentiment d'injustice lorsque l'Algérie refusa, en dépit des engagements du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) de restituer au Maroc les territoires spoliés par la France et notamment l'oasis de Tindouf occupée en 1934. Le Maroc aurait sans doute pu l'emporter à l'issue de la « guerre des sables » en octobre 1963 alors que le sort des armes lui était favorable ; mais Hassan II, qui était profondément un homme de paix, avait d'ailleurs déclaré dans une intervention devant les représentants de la presse le 1er novembre 1963 : « Pourquoi faire couler le sang humain, pourquoi détruire des vies humaines quand je sais que la conquête militaire que je ferai ne sera bâtie que sur l'injustice et qu'en tout état de cause ni politiquement, ni militairement, elle n'aura et ne sera suivie d'effet ». Et c'est la raison profonde pour laquelle il donna l'ordre aux Forces Armées Royales (FAR) de ne pas poursuivre leur progression en direction de Tindouf et qu'il signa le Traité de fraternité, de bon voisinage et de coopération, le 15 janvier 1969 à Ifrane, confirmé par la Convention de 1972 par lesquels le Maroc, dans un souci d'apaisement et dans une vision constructive de ce que devrait être le Maghreb uni, renonçait à ses revendications sur les territoires marocains inclus dans le périmètre de l'Algérie française dont avait hérité sans état d'âme les dirigeants de la nouvelle Algérie. « Ceux qui, comme nous, croient au Livre, savent que la paix est préférable à la guerre, la fraternité à la haine, la concertation et l'union à la discorde (…) », écrit-il encore dans le Défi. Ainsi s'explique que, dans sa volonté inébranlable de récupérer les provinces sahariennes, il ait fait preuve de la même attitude : détermination, certes, mais volonté égale de préserver le caractère pacifique de cette Marche Verte dont on célèbre en 2011, le trente-sixième anniversaire.
« La Marche Verte puise son essence et son élan dans une histoire séculaire qui a façonné l'identité du Maroc profond et dans l'histoire du Maroc contemporain, pays qui a su conjuguer son combat libérateur à une quête permanente de la Paix », écrit le Roi Hassan II dans la présentation du livre consacré à la Marche Verte. Telle est la philosophie politique de cette véritable épopée qu'a vécue le peuple marocain à travers la marche de ses 350 000 compatriotes issus de toutes les provinces du Royaume.
Mais il est un autre aspect de la Marche Verte que je voudrais évoquer, et qui concerne la préparation de cette extraordinaire expédition qui reposait sur une logistique qui devait être sans faille. Je n'ai évidemment pas participé ni de près ni de loin à ces opérations ; mais j'étais suffisamment proche de ceux qui, à divers niveaux de responsabilité, en ont été les organisateurs et les marcheurs pour dire ce qui a frappé ceux qui en étaient les témoins.
Le secret avec lequel ont été mis en place, en amont de l'événement, tous les moyens dont il faudrait disposer le jour où l'ordre serait donné. Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour imaginer l'énormité et la diversité des tâches que représentait cette préparation alors que rien n'en devait transpirer. J'ai gardé le souvenir d'un haut responsable du ministère du Commerce, un ancien étudiant, qui me confiait avoir été intrigué lorsqu'il reçut l'ordre de constituer des réserves de nourriture qui paraissaient anormales, compte tenu de la consommation nationale en temps normal ; et c'est probablement ce qu'ont pensé de nombreux hauts fonctionnaires qui devaient, chacun pour son compte, exécuter des ordres qui dépassaient ce dont ils avaient l'habitude. Mais la préparation de la Marche n'était pas seulement matérielle ; il fallait aussi prévoir l'encadrement humain, expliquent deux hauts responsables du ministère de l'Intérieur. Naturellement, ce sont les représentants de ce ministère, les Gouverneurs, qui étaient les mieux placés pour assurer cet encadrement sous l'autorité d'un état-major désigné par le Roi. Tous devaient garder le secret sur ce qui se préparait ; ils en avaient fait le serment devant le Roi. Tout le monde a pu constater la parfaite organisation et le parfait déroulement de cette Marche, dont un bon observateur du Maroc, Rémy Leveau, m'avait dit qu'il n'aurait jamais pensé, et il n'était pas le seul, que les Marocains pouvaient en être capables. Ce qui demeure le plus frappant, c'est l'enthousiasme de ceux qui ont été les « marcheurs » et qui avançaient avec le sentiment qu'ils étaient l'avant-garde du peuple marocain tout entier.
Quelque temps plus tard, en janvier 1976, j'ai eu l'occasion de me rendre à Laâyoune qui était encore El Aiún sur le fronton de l'aéroport, puis à Smara ; j'étais accompagné de trois collègues de la Faculté de droit de Rabat. Je conserve des photos de ce voyage qui sont précieuses en tant que souvenir d'amis très chers dont deux sont aujourd'hui disparus, mais surtout parce que ces photos, notamment celles où nous nous trouvons sur la terrasse de la Zaouïa de Cheikh Ma-el-Aïnine à Smara, témoignent aussi d'un moment d'intense communion avec les amis marocains qui retrouvaient le sol de leur patrie et qui renouaient avec une histoire interrompue pendant près de quatre-vingt ans.
Je puis témoigner que la population, tant à Laâyoune qu'à Smara, vaquait à ses occupations habituelles et qu'elle ne manifestait aucune inquiétude quant à sa sécurité ; contrairement à ce que les dirigeants du Polisario avaient affirmé pour inciter une partie de la population à fuir et à se réfugier à Tindouf. Les FAR et les forces de police marocaine n'ont en aucune manière menacé les populations. Bien au contraire, elles ont rapidement rétabli la sécurité compromise par l'action des agents du Polisario restés sur place. Quoi qu'il en soit, tous ceux qui sont restés ont au moins la satisfaction de ne pas figurer sur le registre des personnes déplacées émargeant au budget du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés !
Au cours des innombrables discussions auxquelles donnait lieu cet événement réellement extraordinaire que fut la Marche Verte, les divers interlocuteurs que j'ai pu rencontrer faisaient parfois preuve de quelque naïveté lorsqu'ils évoquaient les perspectives de développement de ces nouveaux territoires et de leurs ressources à mettre en valeur. L'enthousiasme qui les animait leur faisait entrevoir le Sahara comme une sorte d'eldorado quasiment à portée de main ; mais ils ne pouvaient pas imaginer l'importance des moyens qu'il faudrait mobiliser pour transformer et moderniser une région que les Espagnols avaient laissé dans un parfait état de sous-développement. Mais aujourd'hui, trente-six ans plus tard, les résultats sont là. Grâce aux efforts du Royaume et aux investissements réalisés dans tous les domaines, les provinces du Sahara disposent désormais de tout ce qui est nécessaire pour atteindre un niveau de développement comparable à celui de la plupart des autres régions du Royaume. Aujourd'hui, ce sont les perspectives de développement politique qui se profilent à un horizon que l'on voudrait proche grâce au projet de statut d'autonomie qui devrait permettre aux populations de ces provinces de prendre en main leur destin. Mais quelles que soient les circonstances et les difficultés rencontrées pour que ce futur se réalise, il est essentiel de graver dans la mémoire collective le fait que tout a commencé et que tout est devenu possible grâce au succès de la Marche Verte magistralement pensée, voulue et réalisée par le Roi Hassan II en étroite communion avec le peuple marocain.
* Le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion et d'analyse basé à Rabat. Acteur actif du débat afférent à la conflictualité saharienne et à certaines thématiques nationales fondamentales, le CEI a publié, en 2010, auprès des éditions Karthala, un ouvrage collectif intitulé : « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) ». En janvier 2011, le CEI a rendu public, auprès du même éditeur, un second ouvrage titré, « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile ». Il vient également de faire paraître, auprès des éditions précitées, un ouvrage portant sur « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies ». Outre ses revues, libellées, « ETUDES STRATEGIQUES SUR LE SAHARA » et « La Lettre du Sud marocain », le CEI compte par ailleurs à son actif plusieurs supports électroniques parmi lesquels figurent, “http://www.arsom.org”www.arsom.org,”http://www.saharadumaroc.net”www.saharadumaroc.net et “http://www.polisario.eu”www.polisario.eu.
Hassan II, Le Défi, Paris, Albin Michel, 1976, p.93.
Hassan II, « Présentation », in La Marche verte, Paris, Plon, 1989, p.11.
Hafid Benhachem et Mohamed Tricha, « Les supports logistiques civils », in La Marche verte, op.cit. p. 431. Dès la conclusion de l'accord de Madrid le 14 novembre 1975, l'administration marocaine s'est installée dans le territoire et les FAR en ont fait de même, témoignant ainsi du retour du Sahara occidental sous la souveraineté chérifienne.
Henri Védie, « De la croissance au développement économique : L'exemple des provinces du Sud », in Jean-Yves de Cara, Frédéric Rouvillois et Charles Saint-Pro (Sous la direction de), Le Maroc en Marche. Réalisations (1999-2009) et perspectives, CNRS Editions, 2009, p.217.
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Professeur honoraire à la faculté de droit de Grenoble, Conseiller auprès du Centre d'Etudes Internationales*


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