Si Zoubir et Bahya forment un couple qui se complète. Ils vivent en harmonie et se respectent mutuellement. Si Zoubir est commerçant et vend du tissu à la kissarya. Un signe extérieur de richesse mais évidemment avant que ces commerçants « maline el kala » ne partent à Casablanca et ne constituent une nouvelle vague de riches au sens réel du terme, c'est-à-dire des milliardaires qui ont investi dans le commerce de tous genres, mais aussi dans l'industrie, le textile, l'agro-alimentaire et l'import-export. Si Zoubir est de cette classe moyenne qui vit sur la nostalgie du passé. Par contre, sa femme Bahya a choisi une carrière moderne qui lui assure des profits substantiels. Elle confectionne des caftans à la demande et emploie des artisans habiles qui innovent et suivent la mode. Elle a tissé un réseau de connaissances, non seulement à Fès mais aussi à Casablanca et à Rabat. Ses prix moins chers, par rapport à ceux pratiqués dans ces deux grandes villes, font en sorte que des commandes lui parviennent de ces deux agglomérations. La maison dans laquelle ils habitent est un Ryad hérité du père de Si Zoubir. Située en médina, dans un quartier qui était autrefois habité par des bourgeois, la demeure est un grand Ryad avec trois étages, une grande cuisine (kechina), deux grands salons marocains avec un toit très élevé en bois sculpté. L'un des salons constitue à la fois une chambre à coucher et une réception. A l'extrémité, une sorte de « dakhchoucha » avec des rideaux brodés. De l'autre côté, Si Zoubir a aménagé un coin pour y construire une petite salle de bain avec une douche, des toilettes et un lavabo… L'autre salon, c'est pour recevoir des invités. Les enfants étaient logés au 1er étage qui disposait aussi d'une chambre pour les provisions (seklabya). Certains Fassis ont perpétué cette tradition de l'autosuffisance alimentaire. Chaque saison donnait lieu à des achats de produits largement consommés. Ainsi, l'été est l'occasion pour s'approvisionner en charbon, en oignons, ails, pois chiches, lentilles, fèves sèches. L'automne, c'est la période idéale pour préparer la viande séchée (« lakhlië »). Les vaches ont été engraissées après avoir brouté ce qui restait de la moisson de blé ou d'orge (évidemment, c'était avant l'entrée en fonction de la moissonneuse-batteuse. Le printemps était aussi indiqué pour « lakhlië ». Dans cette chambre à provisions, il y avait aussi des jarres de beurre salé (acheté au printemps et préparé à la maison), du sel, des amandes, des raisins secs, de l'huile d'olives (parfois on met cette dernière dans une grande jarre appelée « zire »). Pour ce qui est du blé et des autres provisions, notamment l'huile, les olives noires et rouges « m'hamdine », c'est la consommation d'une année. Les jarres remplies de « khlië » étaient la cible des enfants qui, en cachette, et avec un morceau de pain à la main, consommaient quelques « khliyâtes » à la hâte et oubliaient souvent de refermer la jarre, donnant ainsi la preuve qu'ils sont passés par là.