Le président Ali Abdallah Saleh, revigoré par une mobilisation de ses partisans, reste sourd aux appels à la démission et se présente même comme le dernier rempart contre une "somalisation" du Yémen. Dans une longue interview à la télévision Al-Arabiya, diffusée dans la nuit de samedi à dimanche, le chef de l'Etat yéménite, au pouvoir depuis 32 ans, a déployé tout son talent pour convaincre qu'il restait l'homme de la situation. "Nous leur disons: Venez, discutons ensemble d'une solution à feu doux consistant à transférer le pouvoir pacifiquement. Nous ne nous agrippons pas au pouvoir mais on ne peut pas le donner à n'importe qui", a déclaré M. Saleh, à propos de l'opposition qui réclame son départ immédiat. "Il est anormal qu'une minorité torde le bras à la majorité", a-t-il ajouté. Le président a affirmé sans hésitation que si l'opposition était capable de mobiliser 20.000 manifestants, il était capable d'en faire descendre deux millions dans la rue. Vendredi, les partisans de M. Saleh ont organisé une contre-manifestation massive à Sanaa pendant laquelle le chef de l'Etat a affirmé "résister" aux pressions. Je n'ai pas "pour culture de m'accrocher au pouvoir", mais j'ai l'intention de m'y "accrocher à n'importe quel prix pour le transférer de manière pacifique et aucunement sous la pression", a répété M. Saleh à Al-Arabiya. Il a accusé les islamistes de "surfer sur le mouvement des jeunes" qui agite les pays arabes et a affirmé que son pays était "une bombe à retardement" qui risquait de basculer dans une situation "à la somalienne" si les opposants persistaient à exiger son départ. M. Saleh a répété son appel au dialogue aux opposants: "Qu'on se réconcilie et qu'on transfère le pouvoir dans deux mois, dans quatre mois et même dans une heure, non pas à des personnes mais au peuple à travers ses institutions représentatives". Mais il s'est montré en même temps sceptique sur la capacité des opposants à gérer le pays. "Je les mets au défi (...) de trouver des solutions aux problèmes du Yémen, même si le président part dans deux heures". "On était deux pays il y a 22 ans", le Yémen "sera partagé en trois ou quatre entités (...) et ils (les opposants) ne pourront contrôler que Sanaa et quelques provinces", a averti le chef de l'Etat. "Cela conduira le pays vers l'inconnu et je suis responsable de la sécurité du pays que je dois conduire en eaux calmes", a-t-il encore dit. M. Saleh est confronté depuis fin janvier à un mouvement de contestation populaire réclamant son départ et qui s'est accentué après la mort le 18 mars de 52 manifestants sous des tirs attribués à ses partisans. Il a perdu le soutien d'une partie de l'armée, de puissantes tribus et d'importants dignitaires religieux. Des contacts pour organiser une sortie de M. Saleh ont échoué, selon des sources politiques à Sanaa. L'une des formules envisagées consistait en un transfert du pouvoir à un conseil présidentiel de cinq membres, dont un général de premier plan qui s'est rallié à la contestation. M. Saleh s'est engagé à nouveau à quitter le pouvoir à la fin de l'année, à ne pas le transférer à l'un de ses proches et à restaurer l'autorité de l'Etat partout dans le pays. De nombreuses informations circulent au Yémen sur la perte totale du contrôle du pouvoir central sur des régions entières comme le Nord, fief de rebelles chiites, ou l'Est où s'active le réseau Al-Qaïda. Dans une nouvelle attaque attribuée au réseau extrémistes, six militaires ont été tués dimanche dans la province de Marib, à l'est de Sanaa, selon des sources militaires et tribales.