Le cinéma marocain vient d'être porté au sommet de l'Afrique, avec le sacre de «Pégase» au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Ce film du jeune réalisateur Mohamed Mouftakir a décroché l'Etalon d'or de Yennegui du FESPACO, la récompense suprême de ce plus grand rendez-vous cinématographique en Afrique. Il rejoint dans le palmarès Souheil Ben Barka et Nabil Ayouch qui ont caressé le prestigieux Trophée en 1973 et 2001, avec respectivement «Les mille et une mains» et «Ali Zaoua», et permet du coup au Maroc d'égaler le Mali, jusque-là le seul pays honoré trois fois de la récompense suprême. «Pégase», premier long métrage de Mohamed Mouftakir, raconte l'histoire d'une psychiatre confrontée au cas d'une jeune fille de 20 ans, Rihana, victime d'un traumatisme aigu et qui se trouve hospitalisée dans un asile psychiatrique. Elle croit être enceinte de Zayd, un jeune homme de son village. Pour elle, cet acte est béni par le Seigneur du Cheval, un esprit vénéré par son père. Zineb est psychiatre. Son supérieur lui confie Rihana. Sa mission consiste à la faire parler et à éclaircir ce mystère. Hélas, la jeune fille ne s'avère pas très coopérante. «Pégase», qui était en compétition avec 17 autres longs métrages pour cette 22ème édition du FESPACO, avait reçu le grand Prix de la 11ème édition du Festival national du film de Tanger (janvier 2010) et le grand Prix Ousmane Sembène du 17ème Festival du cinéma africain de Khouribga (juillet 2010). Mohamed Mouftakir fait partie de cette génération de jeunes talentueux réalisateurs qui ont porté haut le flambeau du cinéma marocain, à l'image notamment de Daoud Oulad Syad, Hassan Benjelloun, Nabil Ayouch, Narjiss Nejjar, Faouzi Bensaid et autres. Ils sont en train de poursuivre le travail des précurseurs qui, dans des moments difficiles, ont donné au cinéma marocain ses lettres de noblesse comme Souhail Ben Barka, Jilali Ferhati, Mohamed Abderrahmane Tazi, Abdelkader Lagtaa ou Mustapha Derkaoui. Le sacre continental de «Pégase» vient récompenser les efforts de ces réalisateurs et acteurs talentueux, qui ont oublié les «sujets bateau», notamment la condition de la femme et le monde rural, pour se lancer dans une thématique plus originale et en phase avec la société. Le Maroc récolte par la même les fruits de sa politique de promotion du cinéma avec le Fonds d'aide à la production cinématographique (l'avance sur recettes), dont le budget a été porté à plus de 5 millions d'euros par an. Ce soutien de l'Etat a permis d'augmenter, à plus de 15 le nombre de longs métrages produits chaque année au Maroc, devant l'Afrique du Sud et l'Egypte. Mohamed Mouftakir en est conscient : Le sacré de «Pégase» au FESPACO est «le couronnement du dynamisme que connaît le cinéma marocain en ce moment», a-t-il déclaré samedi soir à Ouagadougou après l'annonce du sacre de son film. «C'est un travail dont on est fier et qui nous permet d'être les leaders dans le domaine de la production en Afrique», a-t-il ajouté. Mais l'argent ne peut pas, à lui seul, tout expliquer, car le cinéma profite aussi du vent de liberté qui souffle sur le Maroc et de l'absence de censure. «Aucun film n'est refusé au financement pour son scénario, aucun film n'est censuré, il n'y a pas d'interdiction de filmer au Maroc», a affirmé le directeur général du Centre cinématographique marocain (CCM), Noureddine Sail, lors d'un colloque sur le financement du cinéma africain, organisé en marge du FESPACO. Avec l'ouverture démocratique, le cinéma marocain est parti à l'assaut de sujets «sensibles» comme les «années de plomb», les enfants de la rue, l'émigration clandestine ou l'histoire du judaisme au Maroc. Pour cette audace, plusieurs films marocains ont été primés ou sélectionnés ces dernières années dans plusieurs festivals arabes, africains et occidentaux. Ce bon cru prouve, selon le réalisateur marocain, Fouad Souiba, que le cinéma marocain a atteint «une phase de maturité et d'esthétique que reflètent la diversité et l'excellence des films produits durant ces dernières années». Très attaché à l'Afrique, le Maroc partage son savoir-faire avec les cinéastes du continent. Ainsi, 27 films, dont quatre briguaient l'Etalon de Yennenga au Fespaco 2011, ont été coproduits, entre 1983 et 2011, avec le CCM. Mais les amateurs du 7ème art restent préoccupés par l'hémorragie de la fermeture des salles obscures qui continue de faire des ravages avec seulement une soixantaine de salles qui continuent de vivoter dans tout le Maroc, contre plusieurs centaines deux décennies auparavant.