"Le peuple vient faire tomber le gouvernement": près d'un millier de jeunes Tunisiens venus du centre frondeur et déshérité du pays sont entrés dans Tunis dimanche matin, brandissant les portraits des "martyrs" de la "révolution du jasmin". Menzel Bouzaiane, Sidi Bouzib, Regueb: les manifestants arrivent de ces foyers considérés comme les plus actifs du soulèvement populaire qui a provoqué le 14 janvier au bout d'un mois la chute du régime honni du président Zine El Abidine Ben Ali. "Nous sommes venus pour faire tomber les derniers restes de la dictature", explique Mohammed Layani, un vieil homme drapé dans un drapeau tunisien, alors que la rue tunisienne défile quotidiennement pour demander la démission du gouvernement de transition, dominé par des caciques de l'ancien régime. La "caravane de la libération", comme l'ont baptisée les manifestants, est partie samedi du centre du pays. Elle a rejoint dimanche matin la capitale, en dépit du couvre-feu, en alternant marche et trajets en véhicules, un convoi hétéroclite de dizaines de camions, voitures, motos, camionnettes... Les manifestants, très majoritairement des jeunes, certains se protégeant du froid sous une large kachabia, viennent de la même région rocailleuse, où poussent oliviers et amandiers, une terre d'ouvriers agricoles et d'employés du bâtiment, très éloignée de la Tunisie des stations balnéaires de carte postale. "Mohammed Bouazizi nous a laissé un testament: nous n'abandonnerons pas notre cause", proclamait une banderole déployée devant le ministère de l'Intérieur, dans le centre encore déserté de Tunis en cette heure matinale. "Nous voulons que ce gouvernement dégage, que le RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique, parti de Ben Ali) soit dissout, que la population puisse travailler et vivre dans la dignité", témoigne Ameri Hatem, la tête entourée d'un keffieh blanc. "On vient de régions lointaines à 340 km d'ici, on a marché dans le froid, pour venir dire au gouvernement: +laissez-nous choisir ceux qui doivent nous diriger+. On ne partira pas tant que nos demandes ne seront pas satisfaites", promet-il. "Jusqu'à la chute du régime!", scandent des jeunes réunis autour de lui, poing levé. Alors que samedi, les policiers avaient rejoint en masse les manifestations en Tunisie, bras dessus bras dessous avec des militants qu'ils matraquaient quelques jours plus tôt, le climat est plus tendu avec ces provinciaux. "Il n'y a pas de gaz lacrymogène aujourd'hui?", ironise un jeune au front ceint d'un bandeau vert en mémoire des victimes de la répression, devant un policier en faction devant le ministère. "Pourquoi vous nous avez fait cela?", demande aux policiers, larmes aux yeux, Mohamed Massoudi, qui porte sur une pancarte les photos de deux de ses cousins tués par balles par la police pendant les manifestations. Le soulèvement tunisien a été violemment réprimé par la police, qui n'a pas hésité à tirer à balles réelles sur les manifestants. Selon l'ONU, au moins 100 personnes ont été tuées pendant la "révolution du jasmin". "Ce n'est pas la révolution du jasmin, c'est la révolution du sang, et elle n'est pas terminée. Nous sommes venus pour venger le sang de nos martyrs tombés pendant l'Intifada", lance un jeune homme, cheveux courts, brandissant une photo de Mohammed Laamari, premier manifestant tombé le 24 décembre 2010 sous les balles de la police à Menzel Bouzaiane. "On appelle toutes les provinces à rejoindre notre caravane, nous étions la première étincelle de la révolution, nous sommes venus faire tomber les derniers restes de la dictature", promet Mohammed Layani.