La mini crise de Melilla, comme elle a été décrite par le président canarien M. Paulino Rivero, est une nouvelle preuve qu'il y a quelque chose qui ne marche pas et qui empêche d'arriver à créer un environnement amical entre Melilla et son voisinage. Dans les incidents de Beninsar, il s'agissait de citoyens en colère à cause du comportement réservé aux jeunes maltraités à la frontière. Ceci rappelle ce qui se produisait souvent avec les tribus d'antan. Depuis longtemps, on a tenté de mener une politique d'attraction dans la région pour arriver à gagner la sympathie des rifains. Ben Abdelkrim était un ami de l'Espagne. Dans un article paru dans Le Télégramme del Rif qu'il dirigeait, il avait salué l'ouverture d'une école élémentaire fondée par l'Espagne, où lui-même enseignait. Il était question de cueillir les fruits du XX siècle pour les enfants de la région, parmi lesquels figurait un qui allait devenir célèbre et qui portait le nom de Mizzian. Mais en fin de compte l'amitié n'a pas marché et a laissé place à ce qui est écrit dans l'histoire. Toutefois, il a été conseillé dans un manuel publié par l'Etat-major de l'armée, de l'Espagne, qu'on devait chercher à accomplir une politique de pénétration pacifique dans la région. Cette politique fut élaborée par la meilleure élite des africanistes du XIX siècle. Je me réfère à l'ouvrage publié sous le titre «Historia de las Campanas de Marruecos» Tome 3 p. 470, où on recommandait une étroite union avec les tribus limitrophes, ainsi qu'avec celles de l'intérieur, en offrant des salaires aux principaux chefs, des avantages commerciaux et même la naturalisation de quelques un, comme on a déclaré comme protégées des tribus entières. Le texte a également stipulé explicitement que «le rifain, par son état arriéré, obéit, comme tous les hommes peu cultivés, par le profit matériel et la force, il faut l'attirer et ultérieurement arriver à le soumettre». L'objectif était d'acquérir «une tranquillité absolue, une influence réelle et un commerce non négligeable comme avait fait la France en Algérie. Sommairement, le texte insistait sur la «démonstration de notre supériorité, mélangée avec l'offre de cupidité et de profit». Plusieurs années plus tard, Don Fernando Moran, un brillant intellectuel et excellent diplomate avait recommandé dans son livre «Una politica Exterior para Espana» presque la même chose, mais avec un langage raffiné, préconisant de créer une interdépendance entre Melilla et son hinterland, au lieu de la politique «d'auto isolation» pratiquée par les autorités militaires de la ville, tout en oubliant - poursuit M. Moran- qu'en 1921, ce qui a empêché la ville de tomber, c'était justement la coopération des tribus voisines. Moran avait souhaité de faire en sorte que le développement normal de Ceuta et Melilla ne gêne pas les régions voisines mais qu'il les favorise. Dans un contexte pareil, les voisins des deux villes se sentiraient lésées en cas de problème. Il préconisait alors l'extension du port de Melilla vers Beninsar, précisément l'endroit où l'incident s'est produit à la veille du Ramadan. Mais ça n'a pas marché. Deux décennies plus tard, dans un livre intitulé «La Casa» sur le travail du service de contre espionnage espagnol, devenu le CNI, son auteur, Fernando Rueda, fait un rappel des événements ayant rapport avec le cas d'Omar Dudouh durant les années quatre-vingt, mettant en exergue la trame d'une lutte entre les services d'intelligence marocains et espagnols, autour d'un plan espagnol de monter «une opération qui soit viable en vue de déstabiliser le Rif, au détriment de l'unité du Maroc» (Pag327; La Casa.) Cette histoire nous fait rappeler des épisodes plus récents (Nador, Tétouan, par exemple) qui montrent qu'en Espagne on n'a jamais réussi à gagner l'amitié du Rif. Il m'arrive souvent de me rappeler d'une scène misérable dans laquelle M. Imbroda, l'actuel président presque à vie de la ville de Melilla, devait être installé, et recevoir le bâton de la présidence de la main de son prédécesseur. Dans cette circonstance, il avait refusé de recevoir le machin de la main de Dr. Mustafa Aberchan, pour démontrer qu'il ne reconnaissait pas la légitimité de sa présidence, acquise cependant par le suffrage universel. Ce geste peu élégant était motivé uniquement par le fait que Dr. Aberchan était un Moro. Il faut rappeler aussi que pour nettoyer la «honte» d'avoir eu un moro comme président de la ville, pourtant sa ville, les deux grands partis politiques avaient collaboré ensemble, pour évincer la coalition qui avait amené un moro à la présidence tout en provoquant un scrutin anticipé. Avec ce bref rappel, je suis presque entrain de résumer l'histoire d'une série d'échecs de la politique espagnole tendant à créer «El moro amigo». Comme nous pouvons le constater, il s'agit de quelque chose qui a à voir avec des individus imbus d'une certaine culture impossible d'adapter au nécessaire aggiornamento. Il y a chez les espagnols en général une terrible désinformation à l'égard du Maroc, comme il y a un manque de sensibilité qui empêche la décolonisation une fois pour toute des rapports avec le moro. En ce qui concerne les deux villes occupées, cet état de choses est doublé d'une arrogance maladroite et d'une fermeture d'esprit nette et claire. Pourtant il est difficile d'élaborer intelligemment une interdépendance logique entre les deux villes et leur arrière-pays. Pour y arriver, il est exigé d'inculquer une certaine modernité en ce qui concerne les relations entre le sud et le nord de Tarifa. De ce coté là, je suis sûr que la vision que les marocains ont de l'Espagne est plus mesurée. Il y a une semaine, il a été décidé, à la commission de soutien au cinéma marocaine, que je préside pour cette saison, de donner la première place dans le programme d'aide de cette session à un projet basé sur une histoire réconfortante. L'histoire relate comment un enfant de la ville de Nador qui append à construire sa personnalité, est arrivée a aimer le cinéma. C'était grâce à une jeune fille espagnole qui travaillait dans une salle de cinéma dans la ville et qui le laissait entrer à la salle sans avoir à payer. Le film raconte les vicissitudes de la vie quotidienne dans le Nador des années soixante dix où une famille espagnole a vécu paisiblement en un milieu marocain ami. Un jour, après la mort de Franco, la dite famille décide de retourner en Espagne. Or, à l'heure du départ des espagnols, l'enfant a décidé, contrairement à tout le voisinage, ne pas assister à l'adieu, parce qu'il se sentait presque orphelin avec le départ de Carmen. Le film est parlé en rifain, et le titre justement est «Adios Carmen». Le premier rang a été attribué à ce projet presque à l'unanimité. C'est ainsi qu'au Maroc, il y a beaucoup de sympathie pour les Espagnols, et ce n'est pas à cause de ce que fait l'Espagne. Cette sympathie est due à la façon dont le génie espagnol est perçu par les Marocains. Gens civilisés et généralement bien informés.