Le Maroc est le pays de l'Arganier. C'est ce qu'on a toujours dit. Aujourd'hui, il faut préciser : le Maroc est le seul pays où l'arganier existe depuis des millénaires à l'état de forêt naturelle, c'est-à-dire pas planté par l'homme. Nulle part ailleurs il n'existe à l'état naturel. Car aujourd'hui l'arganier existe dans plusieurs pays parce qu'il a été planté à partir de graine prise au Maroc : en Tunisie, en Espagne, en Israël, en Amérique latine… Depuis quelque deux décennies on a parlé beaucoup de l'arganier arbre aux multiples facettes et bienfaits pour l'homme et pour la conservation et la fertilisation des sols, jusqu'à voir en lui une incarnation du bien par excellence. L'huile extraite de son fruit, de plus en plus fabriquée grâce aux coopératives d'argane et à des entreprises privées qui s'y sont spécialisées, prend l'allure d'une panacée, à juste titre d'ailleurs, plusieurs études scientifiques le confirmant, contribuant ainsi à faire connaître l'arbre de par le monde hors des frontières nationales en Europe, en Amérique et au Japon. Pourtant, l'arbre, ami de l'homme au sens plein du terme, n'a cessé de poser des problèmes car la forêt de l'arganier n'a eu de cesse de se rétrécir comme peau de chagrin. Tout récemment, il y a une vingtaine d'années, la sauvegarde de l'arganeraie comme richesse et spécificité marocaine a commencé à faire l'objet, de manière plus ou moins permanente, de plaidoyer pendant des années. Les pionniers qui commencèrent à étudier la possibilité de replanter l'arbre pour régénérer l'arganeraie, se sont vus, comme Rachida Nouaïm, professeur universitaire chercheur, spécialiste en agroforesterie, confrontés à l'incrédulité des intervenants dans le domaine quant à la possibilité de régénérescence de l'arganier déclaré arrivé à sa limite géologique et donc voué à disparaître ! Or, aujourd'hui grâce aux recherches et expérimentations de Rachida Nouaïm, accompagnée de Remi Chaussod, l'arganier a beaucoup d'avenir devant lui. Plusieurs expériences de plantation ont réussi dans les sols même rocailleux comme c'est le cas de la région du Sahel à proximité de Jorf Lasfar, région d'El Jadida, comme c'est le cas aussi de la région aride de Massa. Et c'est l'entrée en lice de l'agroforesterie qui joint à la plantation de l'arbre en verger, la culture de plantes génératrices de revenu tout autour. Or, l'arganier est l'arbre tout indiqué pour permettre ces cultures de plantes à l'ombre de ses branchages. Il est susceptible, en étant cultivé en tant qu'arbre fruitier, de réunir les modalités de ce qu'on appelle communément le développement durable. On a toujours parlé d'une superficie occupée par l'arganier dans le sud-ouest marocain (régions d'Essaouira, Taroudant et Agadir) dans des terres semi-arides et arides évaluées à 850.000 hectares dans les années 90. Cette surface était beaucoup plus importante. Elle avait été passablement érodée par le fait de la désertification, des coupes systématiques pendant les deux guerres mondiales du siècle passé pour la fabrication du charbon de bois, ensuite coupes anarchiques pour le bois de chauffage subissant la pression de la précarité socioéconomique des populations qui vivent en milieu de l'arganeraie. Ensuite ce fut, à une époque relativement plus récente (années 80) les arrachages pour laisser la place à des plantations d'agrumes ou encore devant l'avancée inexorable des constructions. La surface occupée se rétrécit mais aussi au niveau de la densité forestière. Durant le 20ème siècle, l'arganier aura vécu sans doute la plus grande décadence de sa longue traversée du temps depuis le néolithique. Depuis la fin des années 80, le vent commence à tourner. Alors que l'arganier et les populations qui vivent dans sa région aride ou semi-aride étaient seuls, soudain un intérêt relatif commence à les concerner. Ce fut le démarrage du réseau des coopératives d'huile d'argane lancées dans le cadre du développement humain des femmes vivant dans la précarité avec d'importantes aides de la Communauté Européenne. Ce sont généralement les femmes qui ont toujours travaillé l'extraction de l'huile d'argane qui a toujours constitué une économie modeste, mais pérenne seulement pas valorisée. Au niveau international, l'arganeraie est déclarée en 1998 « Réserve de la Biosphère » par l'UNESCO en raison de son intérêt écologique exceptionnel. Pour les coopératives ce fut, en soi, une très bonne initiative du moment qu'elles prenaient naissance, comme expérience, sur un terrain vierge. Parallèlement des entreprises privées de fabrication de l'huile d'argane aussi voient le jour pour mettre sur le marché aussi bien de l'huile à consommer que des produits cosmétiques à base de cette huile. L'huile d'argane qui constituait une activité traditionnelle séculaire tout juste familiale et généralement pour la consommation de la famille, devient une activité presque industrielle avec l'invention de machines pour le concassage et une valorisation de la production grâce à un conditionnement moderne et un emballage de qualité, sans oublier surtout l'ouverture vers l'exportation. Une évaluation de ce chemin parcouru a pu être effectuée. Il fut ainsi démontré que la plus-value de l'huile d'argane profitait à beaucoup d'intermédiaires et n'allait jamais vers les populations vivant dans l'environnement de l'arganier, ce qu'on appelle les «ayants droit de l'arganeraie». Pire, l'huile exportée est vendue à plus de 20 euros les 250 centilitres (quart de litre) soit près de 80 euros le litre dans les supermarchés européens avec un bénéfice net de 5 euros pour les commerçants, alors que les femmes dans les douars marocains ne percevaient après leur très dur labeur de concassage que 25 à 30 DH (2 à 3 euros) par kilogramme d'amandons concassés. On est très loin de ce qu'on appelle le commerce équitable. Pour les spécialistes de l'arganier, au terme d'études d'évaluation du parcours effectué depuis les années 90, il est devenu nécessaire, afin de sauvegarder réellement l'arganier, que ses ayants droit, soit les populations vivant au voisinage de l'arbre, tirent profit les tout premiers de ses bienfaits pour prendre conscience encore plus de sa valeur et le protéger de manière efficace, étant les seuls à vivre au jour le jour à ses côtés. La réflexion ainsi soutenue s'agissant de l'agroforesterie est donc de faire de l'arganier un modèle de développement durable grâce à sa domestication comme un arbre fruitier pour le bien-être des populations.