« L'art est encore honoré » : ainsi répondit Mohammed Bajeddoub après avoir reçu sa carte d'artiste longtemps attendue et concrétisée sous le mandat de Tourya Jabrane à la tête du ministère de la Culture. Sa valeur esthétique est reconnue, son rôle culturel est récompensé. Ma dernière rencontre avec El Hajj Bajeddoub a été sous le signe de la joie et de l'euphorie. Il s'est exprimé sur un ton heureux, à cœur ouvert même. Pourquoi pas, c'est lui l'artiste-chanteur qui, après quarante cinq ans d'art andalou et de travail acharné, vient de décrocher sa dite « carte d'artiste ». Cela pourrait paraître étonnant ou même insolite pour certains lecteurs, mais il n'en demeure pas moins que cette star attendait ce « papier » des années et des années. Il s'accrochait sans relâche à son art, la musique andalouse et sacrée dont il est amoureux, en silence sans demander aucun retour. Sa personnalité d'homme soufi modeste et humble ne daignait nullement, même dans les cas de pression ou de maladie. Nous n'avons qu'à citer à titre d'illustration ses deux ans d'hospitalisation où il ne pratiquait aucune activité d'autant plus que c'est de ses cordes vocales qu'il s'agissait. C'est la première consécration qui montre que l'art demeure présent dans la culture du pays, et dans les échanges. Aujourd'hui, on consacre symboliquement un artiste marocain engagé à défendre la musique andalouse et la chanson religieuse depuis 1967. Bien que cette question de « carte d'artiste » semble simple et symbolique, et peut-être futile, elle était reçue de la part M. Bajeddoub par une grande considération et une appréciation si heureuse. 45 ans de travail d'arrache-pied ; Bajeddoub ne s'en lasse pas en dépit des écueils contre lesquels se briseraient les esprits les plus enthousiasmés. Tout ce qu'il produit et présente émane d'une seule source : la volonté et l'amour. C'est pour cette raison d'ailleurs que Soufisme et art sont pour lui des frères jumeaux ne se destinant jamais à une distinction ou à une séparation. Festivals, soirées, manifestations culturelles, tout verse dans le même sens : présenter un travail fini et une partition raffinée et innovée. Il est un homme qui travaille dur comme s'il avait des oursins dans les poches. J'ai vécu cela avec mes propres yeux. J'assistais à ses répétitions, et j'ai remarqué avec stupéfaction comment l'artiste peut être aussi enseignant et pédagogue. Dans ce sens, il reconnaît également la contribution du ministère de la Culture représenté par M. le directeur du conservatoire de Safi. « Je tiens à signaler que M. Hassan Frier a mis généreusement le conservatoire à ma disposition et n'hésite à aucun moment de m'ouvrir les grandes portes. Et que puis-je dire maintenant que de le remercier à titre personnel en saluant cet acte large avec lequel il voit encore en moi le directeur de cet établissement. Oui, j'y ai exercé en tant que tel durant 25 ans. » En considérant mes questions comme signes précurseurs de l'absence ou du retirement artistiques, Bajeddoub a eu soudainement le réflexe de me répliquer : « Il est vrai que j'ai longtemps vécu dans le silence et la solitude. Il est vrai aussi que je m'intéressais de très près à la mystique et que, pendant un certain nombre d'années, j'ai tenté avancer sur la voie de l'ascèse et de l'austérité. Mais ce que j'ai vécu et écrit est passé dans mes chants et mes refrains. Cette quête interminable touche à ses fins, heureuses, parce que je commence à vivre en tant qu'artiste par ces consécrations à bon escient. Je cite toujours ce dicton arabe : que dirais-je alors que le soleil effleure les bouts du palmier ? C'est dire tout simplement que j'ai donné de mon mieux. Or l'effort personnel et l'innovation resteront perpétuellement jusqu'à mon dernier souffle. Travail, innovation et discipline sont mes mots de combat, ma devise prisée. » Et de si Mohammed Bajeddoub de me confier modestement, mais vivement, son vœu ultime ; d'être honoré par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Un rêve personnel qu'il cultivait depuis longtemps surtout pendant les deux visites royales de la ville de Safi. D'être présenté à Sa Majesté est pour lui une consécration sans exemple tant souhaitée d'autant plus qu'il est l'enfant de la Maison Royale qui ne cesse de le pousser de l'avant, de l'encourager, depuis ses premières apparitions.