Un hommage a été rendu au journaliste et écrivain marocain Abdeljabbar Shimi, directeur du journal «Al Alam», au salon international du Livre de Casablanca le samedi 20 février. C'était à l'occasion de la parution du nouveau numéro de la revue du ministère de la Culture «Attakafa Almaghribia» contenant un dossier de témoignages consacrée à l'auteur et un recueil de nouvelles dont «Moumkin min almoustahil» et sa célèbre chronique «Bikhatti Lyad» qu'il a su tenir durant de longues années sur les colonnes du journal «Al Alam». Lors de cet hommage organisé dans la salle Mohammed El kasri, étaient intervenus Mohamed Laarbi Messari ancien directeur du journal «Al Alam», Najat Mrini professeur chercheur à l'Université Mohammed V et Abderrahim Moudden critique littéraire. Abdejabbar Shimi a été décrit par Najat Mrini comme un témoin de notre temps riche en observations méticuleuses sur le quotidien, un homme d'une grande culture, nouvelliste hors pair, chroniqueur d'une grande exigence. On sait, comme raconté dans des témoignage dans le dossier du nouveau numéro Attakafa Almaghribia, que vers la fin des années 60, Abdeljabbar Shimi, grâce à ses chroniques originales, incisives, s'était constitué beaucoup de lecteurs parmi diverses catégories et notamment de jeunes auteurs en quête d'espace pour s'exprimer à un moment où presque le seul support en arabe était le journal «Al Alam». La particulière ouverture de Shimi sans aucun esprit de chapelle dans la prise en charge du supplément culturel du journal «Al Alam», va rassembler autour de lui un ensemble de jeunes créateurs écrivains, nouvellistes, poètes romanciers, critiques littéraires de tout bord, de toutes les sensibilités qu'il encourageait et publiait. A ce propos Larbi Messari déclare: «Il était pour tous les auteurs de toutes sensibilités, gauche, droite ou autres, sa porte était grande ouverte et j'ignore si cela trouvait toujours gré aux yeux des cassiques du parti». Même les auteurs et intellectuels les plus radicaux de l'époque ont pu s'exprimer dans les colonnes du supplément culturel «Al Alam». Selon Abderrahim Moudden, Shimi doit être considéré d'abord comme nouvelliste faisant partie de la génération des nouvellistes des années 60, génération de précurseurs avec invention de l'anti-héro de la marge après le héro du nationalisme triomphant à l'avènement de l'Indépendance. Même sa chronique «Bikhatti lyad», littéralement «écrit à la main», est imprégnée de style narratif, soutient Moudden qui parle de «sentiment permanent de rêve brisé», au lendemain de l'Indépendance, dans l'écriture de Shimi avec usage d'une langue arabe inhabituelle étonnamment plongée dans l'espoir et la profondeur, avec une particulière dérision «se riant des pantins et de ceux qui tirent les ficelles, s'en prenant avec du mordant à ceux qui ont vendu le match». On a évoqué au cours de la présentation du numéro de la revue les recueils de nouvelles et chroniques «Moumkin Mina al Moustahil», «Sayydat al Maraya», «Bikhatti Lyad» et aussi un curieux premier recueil «Moulay» étrangement disparu, qui n'a pas pu être publié au Maroc et qui devait paraître au Caire selon le récit de Larbi Messari. Le manuscrit ayant été emporté par des amis égyptiens. Mais ce recueil dont on a dit qu'il était publié au Caire, on n'a jamais pu en retrouver un seul exemplaire. «Quand on demandait à nos amis égyptiens où est le recueil «Moulay» on nous répondait: «Il n'y a pas de Moulay ici, allez au Maroc c'est là-bas qu'il y a Moulay!» Abderrahim Moudden tient Shimi pour l'un des tenants de la réflexion posée non impulsive, contre toute précipitation pour une écriture calme et d'autant plus exigeante. «Bikhatti lyad» cela voudrait dire écrit à la main, par ma main, que c'est à moi, c'est sous ma responsabilité, il n'y a pas de pseudonyme, pas de masque, j'en suis le seul responsable». Pour Messari, Shimi c'est d'abord un style difficile à définir, une langue particulière. Dans le numéro de la revue, les participants du dossier consacré à Abdeljabbar Shimi sont pour l'ensemble des amis, des connaissances de Shimi, la plupart des auteurs dont beaucoup ont pu publier leurs premiers textes au supplément culturel du journal «Al Alam» et qui témoignent sur l'homme qu'est et qu'a toujours été Abdeljabbar Shimi. Les auteurs participant au dossiers sont: Najat Mrini, Moubarak Rabii, Ahmed Madini, Mohamed Azzeddine Tazi, Abdelhamid Akkar, Mohamed Boukhazzar, Abderrahim Moudden, Abdelfettah Hjomri, Larbi Messari, Najib El Oufi, Mohamed Bachkar. Certains témoignages prennent l'allure de documents de première main avec l'histoire de rencontres et de partage autour d'une notion de culture marocaine qui constituait à l'époque une passion sublime pour Shimi qui invitait ses amis chez lui avec sa petite famille pour célébrer ces moments rares d'euphorie. Ainsi Mohamed Boukhazzar dans son article de témoignage «Abdeljabbar Shimi, conscience d'une génération brisée» raconte sa rencontre avec Abdeljabbar Shimi dans les années 60, comment il a été intégré au journal «Al Alam» en traduisant des textes du français à l'arabe, décrivant au passage la personnalité de Shimi comme un chroniqueur admiré et respecté par tous même parmi les plus radicaux dans leurs relations «les plus dure avec leurs propres amis» comme el Maadaoui. Boukhazzar raconte l'histoire d'un Shimi très ouvert, très généreux, hospitalier qui le recevait chez lui avec Driss El Khouri. Le dossier de la revue est disponible sur le site: http://revue.minculture.gov.ma Pourvu qu'on le lise attentivement. Shimi s'avère un fondateur d'une sensibilité journalistique et littéraire particulière dans les années qui suivent l'indépendance. Cette sensibilité était basée sur une langue arabe, pas verbeuse du tout, plutôt d'une admirable concision, superbe par son intelligente sobriété, ambivalente car alliant ironie, dérision à un romantisme de tempérament que semble conforter une foi sans borne dans l'avenir.