Avec l'adoption de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) par l'Union Européenne, des entreprises marocaines se trouvent face à une nouvelle réalité : un besoin croissant de transparence et d'engagement en matière de durabilité. Depuis le 1er janvier 2024, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) est entrée en vigueur. Elle vient remplacer la Non Financial Reporting Directive (NFRD) et obligera progressivement les entreprises européennes à établir un reporting extra-financier sur leurs implications RSE (Responsabilité Sociale de l'Entreprise), c'est-à-dire environnementales, sociales et sociétales. Signéele 21 juin 2022, puis votée au parlement en novembre 2022, la CSRD oblige les entreprises concernées à suivre et à publier, en plus de leur bilan financier, un bilan ESG (Environnemental, social et de gouvernance), donnant ainsi autant d'importance à la dimension durable qu'à la dimension économique de leurs activités. Comme pour la NFRD, ce reporting est donc dit "extra-financier" parce qu'il concerne le suivi des informations non monétaires, en particulier les impacts et les risques sur l'environnement, la société, les êtres humains et l'ensemble de l'écosystème de l'entreprise. Mais la nouvelle directive a pour vocation d'améliorer la précision et la fiabilité des informations qui étaient jusque-là recueillies par la NFRD, et de les uniformiser dans un rapport édité selon un standard européen.
Quelles entreprises marocaines sont concernées par la CSRD ?
Compte tenu de son caractère transfrontalier, les entreprises marocaines sont concernées par cette nouvelle réglementation européenne.«La CSRD revêt un caractère transfrontalier. Elle s'applique à un large éventail d'entreprises européennes mais également aux entreprises non-européennes qui ont des intérêts économiques dans l'UE. En particulier lorsqu'elles ont des titres cotés dans l'UE, lorsqu'elles ont des opérations substantielles au sein de l'UE (chiffre d'affaires en direct ou à travers une succursale européenne), et lorsqu'elles ont des filiales dans l'UE qui relèvent du champ d'application de la CSRD. La CSRD intègre également un «effet domino» : l'obligation de reporting de durabilité conforme à la CSRD s'étend des entreprises assujetties (européennes ou non) à leurs sociétés-mères et à toutes les autres sociétés consolidées par ces dernières, quelle que soit leur nationalité et même en l'absence de chiffre d'affaires sur le marché européen. En bref, tous les secteurs d'activité sont concernés, toutes les entreprises filiales de groupes internationaux présents dans le marché européen, tous les groupes marocains ayant des filiales ou succursales dans l'UE, toutes les entreprises marocaines ayant une forte activité sur le marché européen doivent vérifier leur obligation vis-à-vis de la CSRD», a souligné Salah Eddine Bennani, expert en stratégie et management du cabinet d'audit international Forvis Mazars.
Comment vérifier si une entreprise marocaine est soumise aux exigences de la CSRD ?
Pour vérifier si une entreprise marocaine est soumise aux exigences de la CSRD, l'expert marocain indique, dans une note de recherche consacrée aux éventuelles implications de cette directive pour le Maroc, le 5 février, que plusieurs configurations existent selon que la société est émettrice de titres cotés dans l'UE ou non, et selon les critères d'effectif, de total bilan, de chiffre d'affaires réalisé dans l'UE. Selon les cas, poursuit la même source, l'entreprise marocaine peut être tenue de publier son 1er rapport de durabilité certifié conforme à la CSRD en 2025 (portant sur l'exercice 2024), en 2026, en 2027 ou en 2029. En Europe et aux Etats-Unis, poursuit M. Bennani, différentes remises en question des orientations réglementaires sont observées en matière de durabilité, et la Commission Européenne semble viser une simplification drastique, voire la suppression du reporting de durabilité. Qu'est-ce que cela implique ? Selon l'expert de Forvis Mazars, la mise en application de la CSRD passe en premier lieu par sa transposition dans les lois de chaque pays membres de l'UE. «Plusieurs pays parmi les 27 sont en retard à ce niveau par rapport au calendrier fixé par la directive. En outre, plusieurs parties militent pour un choc de simplification des contraintes administratives et réglementaires pesant sur les entreprises européennes, notamment en matière de taxonomie verte, de reporting de durabilité (CSRD) et de devoir de vigilance (CSDDD). À ce titre, la Commission Européenne, dans la continuité de la «boussole pour la compétitivité» publiée fin janvier, prévoit un «paquet Omnibus» fin février. Son contenu est toujours en cours d'élaboration, cependant l'on sait – de ce qui a été rendu public par certains pays – que les demandes tournent principalement autour de paramètres techniques d'application de la CSRD, sans une remise en cause des fondamentaux», note-t-il. Il tient à rappeler, toutefois, que cet éventuel changement devra passer par les circuits législatifs des instances européennes (Commission, Parlement, Conseil) et des parlements nationaux, donc un calendrier qui pourrait être long. En ce qui concerne les entreprises marocaines, un changement substantiel dans les dispositions de la CSRD semble peu probable à ce stade, a-t-il estimé.
La CSRD induit-elle une nouvelle surcharge réglementaire pour les entreprises marocaines ?
Il fait remarquer, dans ce sens, que la mise en conformité avec la CSRD représente un challenge de taille pour les entreprises marocaines : «Le reporting n'est qu'un output à la fin. Plus important est le processus pour y parvenir (passant par l'analyse de double matérialité, l'analyse des activités au regard de la taxonomie verte, la justification des informations à publier, leur rédaction conforme...). En revanche, c'est cette démarche structurée qui fait l'originalité de la CSRD et qui représente, in fine, un outil pour les entreprises pour réexaminer leur stratégie business et leur mode de fonctionnement, identifier des risques qui, souvent, étaient hors radar et de nouvelles opportunités de développement».
Les entreprises européennes sont-elles préparées à l'obligation de reporting ? 83% des entreprises ne pensent pas que leurs données ESG soient prêtes à être auditées pour se conformer à la nouvelle réglementation CSRD. C'est l'un des résultats d'une étude menée pour Semarchy, leader de la gestion des données de référence (MDM) et de l'intégration des données, auprès de 1000 responsables des technologies de l'information et des données au Royaume-Uni et en France. L'étude révèle aussi que moins d'un tiers (28%) des entreprises interrogées disposent d'outils centralisés pour gouverner et contrôler efficacement les données environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) prescrites. 68% des entreprises déclarent que les responsables des données sont responsables de la conformité, ce qui renforce le rôle essentiel des outils centraux de gestion des données. Alors que 65% des organisations éligibles aspirent à être prêtes pour l'audit et à respecter les échéances de reporting imminentes dans les 12 prochains mois, un quart (25%) manque aujourd'hui de confiance dans la qualité et la fiabilité de leurs données ESG et moins d'un tiers (27%) pense disposer actuellement de la gestion des données et des systèmes nécessaires pour répondre aux exigences strictes en matière de reporting. Dans le même temps, environ une organisation sur trois (31%) déclare que l'incertitude persistante autour des lignes directrices l'incite à adopter une approche mesurée en matière de conformité. Cette réponse s'inscrit dans un contexte de rumeurs selon lesquelles l'UE annoncera un ensemble simplifié de directives sur le développement durable en février 2025. Seulement 54% des cadres supérieurs chargés des données affectés au développement durable ou à l'ESG sont concernés. Pour accélérer la préparation à l'audit des rapports CSRD, plus des deux tiers (68%) des entreprises prévoient d'allouer plus de 10% de leur budget informatique annuel à la conformité CSRD, et plus d'un quart (26%) prévoient même d'investir plus de 20%.