Face aux mutations démographiques et socio-économiques que traverse le Maroc, la demande en travailleurs sociaux compétents devient cruciale. Rencontre avec Pr Abdelfettah Zakaria Mekouar, Fondateur du Master « Ingénierie Sociale » à la Faculté des Lettres Ben M'Sik de Casablanca, pour un éclairage sur la formation de ces profils indispensables. * Quelle est la raison d'être du Master que vous venez de lancer ?
Dans un premier lieu, nous avons conçu une licence professionnelle pour les accompagnateurs sociaux, spécialité handicap et personnes âgées. Le master que nous venons de lancer s'inscrit dans la continuité de la stratégie de notre faculté, qui est celle de concevoir et multiplier les initiatives dans le domaine social en réponse aux besoins de la société marocaine dans ce domaine. Le Maroc connaît des défis importants pour établir une justice sociale, le bien-être, la protection et le soutien social, notamment pour les citoyens en situation de vulnérabilité. La valeur de l'IDH du Maroc pour 2019 s'établit à 0.686, ce qui place le pays dans la catégorie « développement humain moyen » et au 121e rang parmi 189 pays et territoires. Il s'agit d'une donnée révélatrice nécessitant un effort exceptionnel pour pallier cette problématique. En 2022, 3,2 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté (1,15 million) ou dans la vulnérabilité (2,05 millions) sous les effets combinés de la crise sanitaire liée au Covid-19 et de l'inflation, selon les chiffres du Haut-Commissariat au Plan. D'après les prévisions, la population marocaine âgée de 60 ans représentera 15% de la société à l'horizon 2030. L'autonomie limitée de cette tranche d'âge nécessite des réponses adéquates, étant donné que la structure familiale a changé. Les enfants, et particulièrement les femmes (mères, épouses, sœurs, filles), à qui étaient déléguées ces tâches, ne peuvent plus les assumer, vu le modèle économique actuel. Les pouvoirs publics seuls ne peuvent pas y faire face, ce qui rend urgent le développement du tissu associatif pour résoudre cette problématique. Cette démarche a été lancée en 2005 sous l'aile de l'INDH, mais le souci persiste, notamment en raison du manque de ressources humaines. Ce manque entraîne une inefficacité liée à l'absence de profils qualifiés pour mettre en œuvre ces actions. C'est pourquoi nous avons pensé à une formation adéquate pour encadrer ces ressources humaines et produire la main-d'œuvre nécessaire pour implémenter ces diverses actions sociales.
* Comment cette filière s'aligne-t-elle sur les besoins du marché et les initiatives nationales en matière de travail social ? Les besoins quantitatifs en matière de travail social sont clairs si l'on se réfère à la convention signée entre le ministère de la Solidarité, de l'Insertion Sociale et de la Famille et le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l'Innovation. Cette convention vise à former, à l'horizon 2030, 10.000 travailleurs sociaux de différents profils. Les dispositions de la loi 45.18, notamment dans ses articles 3, 6, 8, 9, 12 et 23, font référence aux catégories professionnelles et aux branches incluses dans chaque domaine du travail social. Notre Master répond étroitement à cette convention en formant des cadres capables de piloter des programmes et des projets dans le domaine social. Ces profils seront essentiels pour encadrer et développer les initiatives sociales, en particulier dans un contexte où la demande pour des travailleurs sociaux qualifiés est en forte augmentation.
* Quel est le taux d'employabilité attendu pour vos Lauréats ? Si l'on prend en référence la licence professionnelle pour les accompagnateurs sociaux, spécialité handicap et personnes âgées que nous avons lancée en premier lieu, une bonne partie de nos diplômés a réussi à décrocher un emploi, que ce soit dans des associations ou des organismes publics. Cependant, il est important de noter que certaines associations n'ont pas les moyens de recruter des profils Bac+3, ce qui a limité les opportunités pour certains d'entre eux. Cela dit, la demande de 10.000 travailleurs sociaux de différents profils d'ici 2030, en vertu de la convention avec le ministère de la Solidarité, ouvre des perspectives très positives. Nous avons conçu une formation en adéquation avec cette demande, ce qui laisse présager une forte insertion de nos lauréats dans le marché du travail.
* Quelle est la portée de votre programme en termes de formation de futurs professionnels, notamment en vue des objectifs nationaux fixés ? Nous avons obtenu une accréditation pour une durée de trois ans, renouvelables automatiquement chaque année, avec des promotions de 40 à 45 étudiants. Sur les trois premières années, nous prévoyons de former 135 ingénieurs sociaux. Certes, comparé à l'objectif national de former 10.000 travailleurs sociaux d'ici 2030, ce chiffre peut sembler minimal, voire négligeable. Toutefois, il est important de noter que ces 10.000 travailleurs couvrent une diversité de profils, tels que kinésithérapeutes, éducateurs spécialisés, psychologues, animateurs, accompagnateurs et assistants sociaux, entre autres. Notre formation vise à produire des cadres et des managers, ce qui explique notre approche plus sélective. Nous voulons éviter le phénomène de « surdiplômation », en veillant à ce que nos Lauréats aient des perspectives d'emploi concrètes et ne se retrouvent pas sur le marché sans opportunités.
* Quelle place occupent les soft skills dans la formation que vous proposez ? Les soft skills sont une composante fondamentale de notre programme de formation, car l'aspect humain est une qualité primordiale dans le domaine professionnel que nous visons à intégrer. Nous voulons inculquer à nos étudiants des compétences essentielles telles que l'écoute, la communication et le travail en équipe. C'est pour cette raison que nous avons dédié un module entier aux soft skills, afin de garantir que nos lauréats ne se contentent pas de maîtriser les aspects techniques, mais possèdent également les qualités humaines indispensables à leur métier. Encadrement des travailleurs sociaux : Un défi en voie de structuration Le domaine du travail social au Maroc est en passe de connaître une réforme structurelle avec l'adoption, en mars dernier, du décret N°2.22.604, destiné à réglementer la profession des travailleurs et travailleuses sociaux. Ce décret, qui découle de la loi 45.18, reflète la volonté des autorités de renforcer l'encadrement d'une profession souvent reléguée au second plan, mais dont l'importance est capitale dans une société en pleine mutation. Présenté par la ministre de la Solidarité, de l'Insertion sociale et de la Famille, Aawatif Hayar, ce texte vise à encadrer et à professionnaliser les acteurs du secteur, en définissant les critères d'accréditation et les normes d'exercice, tout en régulant l'accès des travailleurs sociaux étrangers au marché marocain. La loi 45.18 et son décret d'application répondent à des besoins pressants. En effet, avec les évolutions socio-économiques et démographiques du pays, le travail social est de plus en plus sollicité pour pallier les inégalités croissantes, offrir un soutien aux plus vulnérables et accompagner des politiques publiques de protection sociale. Toutefois, ce secteur souffrait jusqu'ici d'un manque criant de réglementation et d'un encadrement flou, laissant place à des pratiques hétérogènes et une reconnaissance professionnelle limitée. Les Articles 3, 6, 8, 9, 12 et 23 de la loi 45.18, appliqués par ce décret, précisent les catégories professionnelles et les branches incluses dans chaque domaine du travail social. Ils fixent également les conditions nécessaires pour exercer cette profession, en mettant en avant la nécessité de qualifications reconnues.