Au moment où les ressources halieutiques du Royaume subissent une pression inédite, la Chambre des Représentants a adopté, à l'unanimité, le projet de loi n°95.21 modifiant et complétant le dahir portant loi n°1.73.255 du 27 chaoual 1393 (23 novembre 1973) formant règlement sur la pêche maritime. Détails. En dépit de ses deux façades maritimes, le Maroc subit depuis plusieurs décennies une dégradation de ses ressources halieutiques. Partiellement expliquée par les impacts des changements climatiques sur les milieux marins, mais également par la surexploitation des ressources halieutiques, cette tendance inquiétante est observée dans plusieurs régions du monde, justifiant ainsi des efforts internationaux pour adopter des politiques axées sur la durabilité. C'est dans cette perspective que les députés ont voté, lundi, le projet de loi qui s'inscrit dans le cadre de la réforme progressive du cadre juridique régissant le secteur de la pêche maritime afin d'accompagner son évolution et son développement durable.
A cette occasion, le ministre de l'Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, Mohamed Sadiki, a indiqué que ce texte vise à préserver les ressources maritimes, renforcer la recherche scientifique, améliorer le contrôle des activités de pêche maritime, et à prévenir et lutter contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée.
Il permettra de préserver les ressources maritimes et de garantir une pêche responsable, contribuant ainsi au renouvellement et à la durabilité des stocks d'espèces marines dans un contexte marqué par les changements climatiques et leurs répercussions sur l'environnement marin, en plus des facteurs humains, a ajouté le ministre. Le projet de loi comprend de nouvelles dispositions permettant à l'Institut National de Recherche Halieutique (INRH) de suivre les opérations de pêche et de prélever les échantillons nécessaires lors du débarquement ou sur les marchés aux poissons, a précisé le ministre.
Gare aux contrevenants ! Ces dispositions fixent également les conditions et modalités de délivrance d'autorisations de pêche maritime scientifique, ainsi que les conditions de pratique de la pêche de loisir avec ou sans navire de pêche et les conditions de délivrance des autorisations d'affrètement de navires. Le texte de loi prévoit aussi le renforcement des procédures de traçabilité interne des produits de la mer, notamment l'obligation pour les responsables des marchés de gros de poisson de tenir un registre de l'origine des captures. A cela s'ajoutent de nouvelles infractions, notamment en ce qui concerne le dépassement du pourcentage ou du seuil autorisé d'espèces supplémentaires, fixé pour les navires de pêche, entre autres. En plus, le texte classe les amendes selon le type d'activité de pêche maritime pratiquée et la jauge brute du navire.
Au vu de l'importance stratégique et socio-économique du secteur de la pêche, le processus du renforcement de l'arsenal juridique a par ailleurs été accompagné par la mise en place d'un système contrôle et surveillance « SCS » des activités de la pêche et un système de traçabilité des captures, permettant l'identification des produits de la pêche au cours de toutes les étapes par lesquelles ils transitent. Le Royaume s'est également doté d'une Unité d'Appui à la Coordination du Contrôle « UACC » relevant de la Direction des Pêches maritimes et de l'Aquaculture (DPMA) et ayant pour mission d'améliorer, de gérer et de coordonner le suivi et le contrôle du respect des lois, des réglementations et des mesures de conservation et de gestion des ressources halieutiques, notamment par la supervision du Centre national de surveillance des navires de pêche. Stratégie de Bali
Le 27 mai 2024, la ville de Casablanca a par ailleurs accueilli la troisième réunion de coordination régionale de l'Accord de la FAO sur « les mesures du ressort de l'Etat du port ». « L'objectif de ces réunions est de promouvoir la coordination régionale pour renforcer l'application de l'Accord et suivre les avancées de la « Stratégie de Bali » adoptée par les Parties à l'Accord en mai 2023. La réunion de Casablanca a rassemblé des délégués de plus de 28 pays et de trois organes régionaux des pêches, offrant une plateforme de discussion sur les stratégies de lutte contre la Pêche Illicite, Non-Déclarée et Non-Réglementée (INDNR) », souligne la FAO dans un récent communiqué, rappelant que « l'Accord, entré en vigueur en 2016, est le premier instrument international contraignant visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la Pêche Illicite, Non-Déclarée et Non-Réglementée (INDNR). Actuellement, l'Accord compte 78 Parties, dont l'Union Européenne qui est considérée comme une Partie au nom de ses Etats membres ». Jean Senahoun, en sa qualité de Représentant de la FAO au Maroc, a affirmé : « La FAO reconnaît les efforts remarquables du Royaume du Maroc dans la mise en œuvre de l'Accord sur les mesures du ressort de l'Etat du port. Notre collaboration vise à amplifier ces efforts et à garantir des résultats tangibles dans la lutte contre la Pêche Illicite, Non-Déclarée et Non-Réglementée ». A noter que les bonnes pratiques du Maroc en matière de lutte contre la pêche illicite ont été récompensées en marge de la conférence de haut niveau de la Commission Générale des Pêches pour la Méditerranée (CGPM) sur les initiatives MedFish4Ever, tenue en 2019 à Marrakech. Le Royaume avait été récompensé pour l'installation d'un système d'identification des barques nationales de la pêche artisanale par radiofréquence (RFID). Une dynamique nationale qui gagnerait à maintenir son cap pour que la lutte contre la pêche illégale arrive à bon port. 3 questions à Houcine Nibani, biologiste marin « Contrôler c'est bien, sauvegarder tout en contrôlant c'est mieux » * La dégradation des ressources halieutiques peut-elle être expliquée uniquement par la pêche illicite ?
La dégradation des écosystèmes marins et l'appauvrissement de la diversité biologique marine peuvent bien évidemment s'expliquer partiellement par des phénomènes naturels, notamment le changement climatique. Cela dit, il est évident que le phénomène de dégradation est directement lié aux impacts d'activités humaines comme la pollution ou encore la prolifération d'espèces invasives dont l'apparition a été facilitée par l'augmentation du trafic maritime et la faible adoption des bonnes pratiques de déballastage par exemple. Il faut cependant souligner que l'une des causes les plus conséquentes qui expliquent le phénomène de dégradation des milieux marins n'est autre que les activités de Pêche Illicite, Non déclarée et Non-Réglementée.
* Quelle est votre perspective concernant les efforts du Maroc pour lutter contre ce genre de pratiques ?
Le Maroc s'est engagé à lutter contre ce phénomène et cela a été matérialisé par plusieurs efforts que nous avons observés ces dernières années. Cette dynamique a d'ailleurs pris de l'ampleur durant ces derniers mois. Ajoutez à cela l'engagement du pays dans des initiatives comme « OceanDecade » des Nations Unies qui a proclamé la période 2021-2030 comme « Décennie des sciences océaniques au service du développement durable » pour soutenir les efforts visant à inverser le cycle de déclin de la santé des océans et à rassembler les acteurs de l'océan du monde entier derrière un cadre commun. On peut également évoquer la collaboration du Maroc avec des institutions comme le Global Fishing Watch qui est en soi indicateur d'une volonté de transparence et de constructivité. Cela dit, le défi de la pêche illicite n'en est pas moins considérable et beaucoup peut encore être fait pour améliorer la lutte contre ce phénomène.
* Quelle est, selon vous, l'action prioritaire à privilégier pour lutter contre ce phénomène ?
S'il fallait formuler une seule action prioritaire pour augmenter significativement les résultats de la lutte contre la pêche illicite au Maroc, ce serait bien l'application stricte et intransigeante de la loi. Se doter des moyens techniques et humains nécessaires, ne serait-ce que pour veiller à l'application des lois nationales, déjà existantes dans ce domaine, serait à mon avis un acquis considérable et une étape importante pour limiter la tendance de dégradation des écosystèmes et de la diversité biologique marine. Cela dit, je me permettrai d'ajouter au moins une autre action tout aussi importante, à savoir la concrétisation des engagements nationaux en termes de mise en œuvre d'Aires Marines Protégées. Contrôler c'est bien, sauvegarder tout en contrôlant c'est mieux. Pêche non durable : Une recrudescence internationale La surpêche, c'est-à-dire l'exploitation des stocks à un niveau d'abondance inférieur au seuil de rendement maximal durable, ne nuit pas seulement à la biodiversité et au fonctionnement des écosystèmes, elle entraîne également une baisse de la production halieutique, qui aura à son tour des conséquences négatives aux plans social et économique. À l'échelle mondiale, 64,6% seulement des stocks halieutiques exploités par les pêcheries maritimes étaient considérés comme étant exploités à un niveau biologiquement durable en 2019. Ce pourcentage marqué par une tendance baissière continue est une source d'inquiétude pour la communauté internationale et toutes les parties concernées, « des mesures et des plans concrets doivent être mis en place d'urgence pour favoriser une pêche durable », souligne la FAO, qui précise que « le pourcentage des stocks exploités à un niveau biologiquement non durable a augmenté depuis la fin des années 1970, passant de 10% en 1974 à 35,4% en 2019. Tous les stocks de poissons sont pris en compte de la même manière dans ces calculs ». Industrie : Vers des assises nationales Lors de la 3ème édition du Forum international de l'industrie halieutique au Maroc, Hassan Sentissi El Idrissi, Président de la Fédération Nationale des Industries de Transformation et de Valorisation des Produits de la Pêche au Maroc (FENIP), a souligné l'engagement du secteur privé à concrétiser la vision Royale pour le secteur halieutique, qui consiste à garantir un développement durable et responsable des différentes filières maritimes. « Les industries de la pêche contribuent à hauteur de 2,3% au PIB, avec un chiffre d'affaires atteignant 28 milliards de dirhams en 2023 », a noté Sentissi, ajoutant que cette industrie, levier de l'économie nationale, « est fortement menacée, ce qui nous oblige à prendre des mesures audacieuses pour renforcer sa résilience ». Le Président de la FENIP a conforté les propos de Sadiki en matière de collaboration entre les secteurs privé et public, soulignant que seul l'échange avec les professionnels du secteur « peut donner des résultats adaptés à la réalité et aux besoins du terrain ». Sentissi a noté qu'il est « impératif » de repenser le modèle économique marocain pour ouvrir de nouveaux horizons au secteur. Il a ainsi prôné l'organisation des assises nationales, réunissant tous les acteurs pour définir les objectifs de développement durable. « La FENIP, consciente de ses engagements, appelle également à une réforme de la commercialisation du poisson industriel dans le cadre d'un modèle purement marocain, innovant et performant, adapté aux spécificités de notre tissu industriel actuel », a insisté le président de la fédération. Cette réforme devra concerner la maîtrise de toute la chaîne des flux financiers de toutes les chaînes de distribution de poisson en veillant strictement au respect de la chaîne de froid.