Quatre ans après l'encadrement de la médecine légale, la profession semble condamnée à la pénurie de ressources humaines, faute d'attractivité. Décryptage. C'est un chiffre alarmant qu'a annoncé il y a trois jours le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Khalid Ait Taleb, au Parlement. Actuellement, le Maroc ne dispose que de six médecins légistes ayant une formation alors que 76 médecins ont des compétences dans ce domaine. Sans tenter de trouver de justifications ou d'enfumer les députés par la langue de bois, le ministre a reconnu clairement qu'il s'agit d'un véritable problème, en réponse à une question du groupe istiqlalien « Pour l'Unité et l'Egalitarisme » à la Chambre des Représentants. Cette profession est si peu développée au Royaume qu'elle risque de disparaître si on ne remédie pas à cette situation.
Une profession désertée ! De quoi parle-t-on ? Le travail d'un médecin légiste, bien qu'on n'entende pas souvent parler de lui, est si vital, surtout pour la Justice dont il est l'auxiliaire. Il opère soit au niveau des bureaux communaux d'hygiène des services sanitaires, soit dans des établissements privés créés conformément à la législation en vigueur. En plus des actes d'autopsie qui contribuent à identifier les causes et les circonstances de décès, notamment dans les affaires criminelles, il est souvent sollicité pour les expertises médicales lors des enquêtes policières ou judiciaires. Aussi, ses apports sont indispensables pour élucider les cas inextricables, dont ceux liés aux agressions et notamment aux violences faites aux femmes et aux enfants.
Une spécialité peu attractive Aujourd'hui, si la médecine légale dans notre pays manque cruellement de ressources humaines, les causes sont nombreuses et connues. La tutelle, comme les professionnels, sait très bien que le problème réside dans l'attractivité de cette spécialité qui ne séduit pas les blouses blanches. Khalid Ait Taleb l'a lui-même dit lors de son passage à l'hémicycle. Pourtant, il semble à court d'idées. "Nous n'avons pas de solutions radicales", a-t-il confessé à l'hémicycle. Khalid Ait Taleb a évoqué la nécessité d'inciter les médecins à investir cette spécialité sans préciser comment. Au manque d'intérêt que suscite ce domaine s'ajoute la question du temps. Pour former un cadre en médecine légale, il faut au minimum 4 ans de formation, après la médecine générale. L'enjeu est de convaincre un médecin fraîchement diplômé d'abandonner les spécialités "juteuses" et prometteuses en termes de carrière en faveur de la médecine légale. Comme le défi est de taille, on peine à trouver les arguments. En termes de rémunération, on peut dire que la rétribution est tout sauf alléchante. Les médecins légistes perçoivent 100 dirhams par acte d'autopsie dans le cadre de l'assistance judiciaire. D'où les appels récurrents à améliorer le paiement à l'acte.
Peut-on se contenter des "experts" ? Par ailleurs, on parle de 76 cadres ayant "des compétences", mais ils ne sauraient être considérés comme médecins légistes à part entière. "Cela se fait sentir surtout lors des conclusions des autopsies", nous explique un professionnel sous couvert d'anonymat, ajoutant que cette catégorie peut faire correctement des actes d'autopsie sans être suffisamment aptes à en tirer des conclusions pertinentes, ce qui porte, selon notre interlocuteur, préjudice à la qualité des rapports, faute d'une formation solide en matière d'évaluation du dommage corporel. Parfois, quand il y a des interprétations ou des données erronées, leurs conséquences peuvent s'avérer irréversibles, ajoute-t-il. Ce problème suscite l'inquiétude chez les professionnels de la Justice. Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, en a parlé il y a quelques mois au Parlement. Il a souligné le danger des travaux de médecins non-spécialistes dans le cadre des actes supervisés par les autorités judiciaires.
La rémunération, l'enjeu essentiel Aujourd'hui, l'accent est mis sur l'attractivité et l'incitation salariale. Actuellement, le ministère de la Justice tente de convaincre le ministère de l'Economie et des Finances de revaloriser les salaires, apprend-on de sources bien informées. L'enjeu est de pousser les étudiants en médecine à opter pour ce domaine dans leur choix de spécialité. Le ministère de la Justice aspire à atteindre 250 médecins dûment formés dans les prochaines années. Or, le problème c'est que ce domaine relève de la compétence du ministère de la Santé en tant que département de tutelle. Si le département de Ouahbi se mêle si passionnément de ce dossier, c'est pour une raison légitime. Le besoin est d'autant plus grand que les médecins légistes sont de plus en plus sollicités par les autorités judiciaires dans un contexte d'augmentation des procédures et des affaires criminelles. Quand le gouvernement précédent a encadré la profession par la loi n°77-17, il a donné plus d'importance aux volets techniques et judiciaires de la profession sans accorder assez d'attention à l'attractivité. Il n'y a aucune mention de l'attractivité ou de l'importance de développer cette spécialité. Le législateur s'est contenté de renforcer les droits du médecin légiste en lui attribuant des droits fondamentaux tels que l'autonomie et en protégeant le secret professionnel. Il ne fait aucun doute que le métier demeure sous-payé. Le Conseil National des Droits de l'Homme l'a souligné dans ses rapports, dont celui de 2013 où il fait état d'une tarification insuffisante des prestations médico-légales. Le Conseil va jusqu'à souligner que certains ne sont tout simplement pas rémunérés. Force est de constater que les actes de médecine légale faits sous l'autorité de la Justice sont rémunérés à hauteur de 100 dirhams l'acte. Raison pour laquelle l'instance présidée par Amina Bouayach plaide pour "une revalorisation des tarifs" en ce qui concerne les frais de justice. En outre, le Conseil va plus loin en appelant à concevoir une meilleure rétribution au niveau des établissements hospitaliers qui abritent des structures de médecine légale, à savoir les morgues ou les laboratoires. Pour ce faire, il est recommandé de leur fournir une dotation annuelle, avec une revalorisation des prestations.
Trois questions à Tayeb Hamdi "L'intérêt pour cette carrière reste faible"
Quelles sont les principales raisons derrière la pénurie de médecins légistes au Maroc ? Le faible nombre de médecins légistes découle de divers facteurs, tels que le manque d'attrait des étudiants pour cette spécialité et le déficit de formations adéquates. Il est impératif que les autorités reconnaissent l'importance de la médecine légale et prennent des mesures pour former et soutenir davantage de professionnels dans ce domaine. Parallèlement, les conditions de travail des médecins légistes nécessitent une amélioration, notamment en termes de salaire et de reconnaissance de la charge de travail stressante qu'ils assument, souvent sur un horaire exigeant de 24 h/24 et 7j/7.
De plus, le rôle de la médecine légale ne se limite pas aux autopsies de cadavres, mais concerne également des cas impliquant des personnes vivantes dans 9 cas sur 10. L'insuffisance en médecine légale peut engendrer des injustices pénales, des violations des droits humains et compliquer l'indemnisation des victimes. Des aspects tels que l'âge, l'hérédité et les liens de parenté sont également pris en compte dans cette discipline. Quels sont les défis et contraintes spécifiques rencontrés par les médecins légistes exerçant au Maroc, et quelles solutions sont-elles envisagées pour améliorer leurs conditions ? Au Maroc, où seulement un nombre dérisoire de médecins légistes sont en fonction, la surcharge de travail est écrasante, amplifiant le stress inhérent à cette profession. Pourtant, malgré l'importance cruciale d'un médecin légiste compétent pour produire des rapports de qualité, l'intérêt pour cette carrière reste faible. Comparativement à la Tunisie, qui compte le tiers de la population du Maroc mais dispose de plus de 200 médecins légistes, la disparité est frappante. Les défis incluent un salaire peu incitatif, l'absence d'indemnités et un coût d'autopsie décourageant, à seulement 110 Dirhams par cadavre. Pour réformer cette situation, une révision des conditions de travail s'avère impérative. Quelles sont les perspectives de développement pour le domaine de la médecine légale ? Les médecins légistes sont confrontés à plusieurs défis. D'une part, ils ont besoin de services de médecine légale bien équipés avec un personnel qualifié et des outils spécialisés, mais cette infrastructure fait défaut. D'autre part, les salaires et les indemnités sont insuffisants, et les perspectives de carrière sont limitées, décourageant ainsi les étudiants et les médecins de se spécialiser en médecine légale. Pour l'avenir, il est crucial d'améliorer les salaires, les indemnités et la formation, ainsi que de créer des services de médecine légale dignes de ce nom. En offrant des perspectives de carrière, le Maroc pourra répondre à ses besoins en médecins légistes.
Recueillis par Yousra RHARDOUD Centres d'autopsie : Suffit-il de les généraliser ? En plus du déficit de ressources humaines, il y a également un manque d'infrastructures. Les centres d'autopsie et les morgues sont si peu nombreux et si concentrés dans les centres urbains que les services d'autopsie sont peu inaccessibles dans plusieurs régions. Lors de la séance plénière consacrée aux questions orales à la Chambre des Représentants, le député du Parti ce l'Istiqlal, Mimoun Aamiri, a cité l'exemple de la province de Zagoura, où les cadavres faisant l'objet d'autopsie sont transférés à Marrakech dans des conditions difficiles. Pour cela, le député a demandé à ce que les établissements hospitaliers régionaux soient pourvus de morgues et de centres d'autopsie pour alléger la pression sur la cité ocre. Une revendication à laquelle le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, ne s'est pas montré réceptif. Il a jugé qu'il est plus prioritaire d'investir dans les ressources humaines avant de penser aux morgues, ajoutant que son département n'a aucune difficulté à les mettre en place partout dans le Royaume. Les fonctions d'un médecin légiste : Ce que prévoit la loi En vertu de la loi n°77-17 relative à l'organisation de l'exercice des missions de la médecine légale, le médecin doit assurer l'examen clinique des personnes atteintes physiquement ou mentalement en vue de décrire les lésions, déterminer leur nature et leurs causes, estimer les dommages corporels qui en résultent, déterminer la date de survenance desdites lésions et le moyen utilisé pour les produire ainsi que d'en rédiger des rapports ou des certificats médicaux, selon le cas.
Il peut également donner son avis technique sur les faits soumis à la Justice entrant dans le domaine de sa compétence, notamment en ce qui concerne l'examen et la détermination des traces relevées sur les corps des victimes et résultant des infractions.
Lors des procédures pénales, le parquet sollicite souvent les services du médecin légiste pour examiner ou effectuer des prélèvements chez les personnes mises en garde à vue, retenues ou mises dans un établissement d'exécution des peines, afin de déterminer la nature des lésions subies, leur cause et leur date.
Lorsqu'il s'agit d'autopsie, le travail du médecin légiste consiste à identifier la victime, déterminer la nature du décès, et à donner la description des blessures subies et leurs causes. Il lui incombe aussi d'assister à l'exhumation des cadavres des personnes dont la cause du décès est suspecte et en faire un constat. En plus de tout cela, le médecin doit effectuer toute autre mission dont il peut être chargé par les autorités judiciaires compétentes en liaison avec la nature de ses missions