Le renforcement des liens diplomatiques entre le Maroc et l'Inde a été favorisé par l'importance des phosphates et de leurs dérivés, essentiels pour l'agriculture en Inde. New Delhi considère le Maroc comme un partenaire fiable capable de contribuer à la sécurisation de ses approvisionnements et de réduire sa dépendance vis-à-vis de pays tels que la Chine. Du 10 au 12 janvier dernier, s'est tenu à Gandhinagar, dans l'Ouest de l'Inde, le "Vibrant Gujarat", un Sommet biannuel réunissant des investisseurs du monde entier dans le but de mettre en réseau des entreprises, partager des connaissances et nouer des partenariats stratégiques. Pour cette 10ème édition, le Maroc était représenté par une importante délégation, comprenant le ministre de l'Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour. Devant le Premier ministre indien Narendra Modi, Mezzour a rappelé les solides liens économiques qui unissent Rabat et New Delhi. En effet, depuis la signature du partenariat stratégique en 2015 entre Sa Majesté le Roi Mohammed VI et Narendra Modi, les échanges commerciaux entre les deux pays n'ont cessé de croître, passant de 1,2 milliard de dollars américains en 2015 à près de 4,3 milliards de dollars en 2022.
Ressource vitale Côté marocain, ce rapprochement ouvre la porte à des investissements indiens au Royaume (le nombre d'entreprises présentes sur le territoire est passé de 12 en 2015 à 44 actuellement). Alors que pour New Delhi, le partenariat bilatéral est un moyen de sécuriser une ressource vitale pour le développement et la stabilité de l'Inde : le phosphate. Pour garantir la sécurité alimentaire de ses 1,38 milliard d'habitants, le "Bharat" a décidé de fortement booster son secteur agricole. Or, ce défi ne peut être relevé sans des importations massives de tous types d'engrais. "L'Inde n'a jamais été un pays autosuffisant en termes de production d'engrais. En fait, le pays est toujours dépendant des importations pour assurer la disponibilité en temps voulu des engrais pour les agriculteurs", nous explique Ajil Mankunnummal, chercheur spécialisé dans le secteur indien des engrais auprès du Center for Development Studies à Thiruvananthapuram (Sud de l'Inde). Selon le rapport annuel (2021-2022) du département des engrais du gouvernement indien, le pays est dépendant des importations à hauteur de 25% pour l'urée, à 90% pour les engrais phosphatés et à 100% pour les engrais potassiques. Pour la catégorie engrais phosphatés, les importations concernent toute la palette des produits commercialisés par l'OCP, à savoir les engrais binaires Di-Ammonium Phosphate (DAP), Mono-Ammonium Phosphate (MAP), et le mélange de phosphate complet Triple Super Phosphate (TSP). Trois questions à Ajil Mankunnummal "L'Inde doit attirer davantage d'investissements dans le secteur des engrais" * Comment expliquer l'augmentation significative des importations d'engrais par l'Inde ?
L'Inde n'a jamais été un pays autosuffisant en matière de production d'engrais. En fait, le pays dépend toujours des importations pour garantir la disponibilité en temps voulu des engrais pour les agriculteurs. Les principales raisons de cette dépendance sont le manque d'investissements dans le secteur de l'azote, la sous-utilisation de la capacité de production du secteur phosphaté et le manque de matières premières indigènes pour la fabrication d'engrais phosphatés et potassiques.
* Comment l'Inde gère-t-elle son marché des engrais ?
L'industrie des engrais est l'une des huit industries de base en Inde. En tant qu'intrant vital pour l'agriculture, l'Inde a identifié les engrais comme un produit de base essentiel pour le secteur agricole, en vertu de la Loi sur les produits essentiels (ECA) de 1955, et a adopté, en 1957, le contrôle sur les engrais (FCO) dans le cadre de l'ECA afin de réglementer le prix, la vente et la qualité des engrais.
Le secteur a été fortement réglementé par le gouvernement, en particulier dans le cas de l'urée, le produit d'engrais le plus utilisé. Le gouvernement travaille main dans la main avec les producteurs et les consommateurs d'engrais pour assurer la disponibilité en temps voulu et à des prix abordables afin d'assurer la sécurité alimentaire. Pour ce faire, le gouvernement a commencé à subventionner les engrais à partir de 1977.
* Selon vous, quelles mesures l'Inde devrait-elle envisager pour réduire sa dépendance envers les fournisseurs étrangers ?
L'Inde peut réduire sa dépendance aux importations en adoptant différentes stratégies dans différents secteurs. En ce qui concerne le secteur des engrais azotés, le taux d'utilisation de la capacité des entreprises avoisine les 96%. Mais dans le cas des engrais phosphatés, il n'est que de 66%.
L'Inde doit attirer davantage d'investissements dans le secteur des engrais azotés, en particulier dans le secteur de l'urée, qui n'a pas reçu d'investissements frais entre 1998 et 2016. Plus d'investissements dans l'industrie permettraient à l'Inde de devenir autosuffisante, en ce qui concerne l'urée. Pour les engrais phosphatés, l'Inde doit encourager l'utilisation de ses capacités avec des incitations d'investissements.
Coopération militaire : Des achats indiens pour les FAR Un des aspects du partenariat entre les deux pays est le volet militaire. Le Maroc a récemment élargi sa gamme d'achats militaires en se rapprochant du marché indien. En 2022, le fabricant indien TATA Advanced Systems a fourni à l'armée marocaine des camions de transport militaire tactique, notamment le modèle LPTA-715, ainsi que 90 camions de transport tactique Tata LPTA 2445 6x6. De plus, la coopération militaire entre le Maroc et l'Inde a pris une forme plus organisée, avec des exercices militaires conjoints en 2021, la participation du Maroc au 2ème dialogue Inde-Afrique sur la défense en octobre 2022, et la présence des forces armées marocaines lors du 2ème exercice d'entraînement sur le terrain Inde-Afrique en mars 2023, axé sur les opérations de maintien de la paix et l'aide humanitaire. Cette diversification des achats militaires du Maroc et son engagement croissant envers l'Inde mettent en lumière les efforts stratégiques du pays pour élargir ses partenariats militaires au-delà de ses alliances traditionnelles. Sahara marocain : L'effet Abderrahman Youssoufi À la lumière de la relation actuelle entre l'Inde et le Maroc, il est difficile d'imaginer qu'il y a quarante ans, ce pays était considéré comme un ennemi du Royaume. Pourtant, l'Inde était un des premiers pays à reconnaître la pseudo-RASD en 1985. Il faut attendre les années 2000 et une visite officielle de feu Abderrahman Youssoufi pour que cela change. Effectivement, le Premier ministre de l'époque, bénéficiant d'une solide réputation au sein du camp socialiste mondial, a utilisé son influence pour persuader plusieurs pays de modifier leur position sur la question du Sahara. "En février 2000, Youssoufi a eu droit à un accueil en Inde encore jamais réservé à un responsable marocain. Les diplomates nationaux, installés à l'époque à New Delhi, restent bouche bée devant un tel spectacle : des portraits de Youssoufi ornent les artères de la capitale du pays de Gandhi. L'ancien Premier ministre ramène de cette visite une grande victoire diplomatique. Il a en effet réussi à convaincre les responsables indiens de retirer leur reconnaissance à la RASD", écrit Mohamed Ettayea dans son livre "Abderrahmane Youssoufi et les dessous de l'alternance". Quinze ans plus tard, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a effectué une visite officielle en Inde, et s'est réuni avec le Premier ministre indien, Narendra Modi. A cette occasion, les deux pays signent un partenariat stratégique. Le Souverain avait également salué la position "constructive" de l'Inde au sujet de la question du Sahara marocain.