Le Royaume ambitionne d'explorer ses potentialités géothermiques et d'utiliser la chaleur de l'intérieur de la Terre pour une utilisation optimale et rationnelle. À cet effet, une mission d'exploration géophysique est en cours dans le Nord, une région jugée à fort potentiel géothermique. Après le solaire, l'éolien et l'hydraulique, le Maroc s'apprête à intégrer une nouvelle source d'énergie renouvelable à son mix énergétique. Il s'agit de la géothermie, une technique visant à exploiter la chaleur naturelle provenant de l'intérieur de la Terre pour des utilisations directes (chauffage, agriculture, aquaculture, séchage...), et aussi pour des utilisations indirectes telles que la production d'électricité. Selon nos informations, une mission d'exploration géophysique est en cours dans la région Nord du Royaume dans le but de modéliser en 2D et 3D la structure du sous-sol à des profondeurs de plus de 20 km, et de localiser les zones hautement potentielles. Cette mission est menée par une équipe d'experts mixte relevant de l'UM6P et de l'Office National des Hydrocarbures et des Mines (ONHYM), sous la coordination du Professeur en Géosciences à l'UM6P, Khalid Amrouch, avec la participation du Professeur Graham Heinson de l'Université d'Adélaïde en Australie. À l'issue de ce projet, les résultats obtenus permettront de déterminer la viabilité économique d'une future production d'énergie.
Expérience pilote Ce travail servira également d'expérience pilote à dupliquer dans d'autres endroits, permettant au Royaume de se positionner comme une destination d'investissements dans la géothermie. À terme, le Maroc compte sur cette énergie verte, renouvelable et stable (en opposition aux énergies intermittentes) pour atteindre l'objectif de 52% d'énergies renouvelables dans le mix électrique d'ici 2030. En effet, le sous-sol marocain présente de véritables opportunités dans ce domaine. Elles nécessitent des analyses approfondies avant exploitation. Depuis 2012, l'ONHYM réalise des études sur les potentialités géothermiques au Maroc, ce qui a permis de définir les zones les plus prometteuses du pays. Ces zones jugées à fort potentiel requièrent encore des études plus approfondies, notamment des modélisations géophysiques en 3D à de grandes profondeurs, afin d'acquérir une compréhension approfondie de la structure géologique du sous-sol, d'identifier les ressources géothermiques potentielles, de concevoir de manière optimale les puits géothermiques et de gérer les risques géologiques. Conditions de réussite Si les conditions d'exploitation sont réunies, la production de chaleur ou d'électricité peut être réalisée par le biais de centrales géothermiques. Ce type de centrales utilise la vapeur d'eau ou un autre fluide organique intermédiaire qui fera tourner une turbine. L'énergie mécanique est ensuite transformée en électricité à l'aide d'un générateur. Les eaux chaudes extraites sont ensuite réinjectées dans le réservoir. Le rendement de ces centrales dépend de plusieurs éléments, dont le gradient géothermique qui détermine la variation de la température en fonction de la profondeur. Un gradient élevé signifie qu'on peut atteindre rapidement des températures élevées, ce qui est essentiel pour produire de la chaleur ou de l'électricité géothermique de manière rentable et viable. La température du réservoir géothermique est aussi un facteur critique. Les centrales géothermiques à haute température produisent généralement un rendement plus élevé, car la vapeur à haute température peut faire tourner plus efficacement les turbines. L'autre condition est la présence de l'eau en profondeur. "La présence d'eau souterraine est essentielle pour des projets hydro-géothermiques standards, ce qui signifie qu'il faut passer par une phase d'exploration, par exemple avec de la sismique 2D ou 3D ou d'autres méthodes géophysiques. Ensuite, un forage d'exploration peut être utile pour mieux cibler les ressources en eau souterraines", nous explique Jérôme Faessler, co-directeur de Géothermie Suisse, association œuvrant pour accélérer l'utilisation des différentes formes de géothermie en Suisse. "En l'absence d'eau, il reste possible de créer des systèmes stimulés de type EGS (Enhanced Geothermal System)", poursuit notre interlocuteur. Plus complexe et coûteuse, cette technique consiste à créer artificiellement un réservoir géothermique en injectant de l'eau dans des formations géologiques profondes, généralement dans des roches chaudes, fissurées et imperméables. Enfin, le rendement d'une centrale dépend de la gestion du fluide géothermal. Le taux de production, c'est-à-dire la quantité de fluide géothermal extraite, et le taux de réinjection, c'est-à-dire la quantité de fluide réinjectée dans le réservoir, doivent être équilibrés pour maintenir la pression et la durabilité du réservoir. De lourds investissements Si l'énergie géothermique semble prometteuse sur le plan environnemental et énergétique, le montant de l'investissement initial pourrait cependant être dissuasif. Selon les professionnels du secteur consultés par « L'Opinion », les forages profonds à eux seuls coûteraient entre 100 et 150 millions de dirhams, en fonction du type de forage (vertical, incliné, multilatéral...). Pour l'installation complète d'une centrale géothermique, l'investissement pourrait dépasser le milliard de dirhams (la centrale d'Olkaria IV au Kenya a coûté 126,5 millions de dollars). "Les principaux coûts de la géothermie sont liés aux importants investissements, avec les forages et le chauffage à distance lors de l'utilisation pour de la chaleur. Ensuite, les coûts d'exploitation sont très faibles en regard des autres énergies (juste de l'entretien et un peu d'électricité pour des pompes). C'est une technologie « capital-cost » (CAPEX) et non pas « operational-cost » (OPEX) comme le pétrole ou le gaz", détaille Jérôme Faessler. L'autre limite réside dans l'absence d'un cadre légal dédié à ce type d'énergie au Maroc. Pour remédier à cela, le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable a intégré la géothermie dans la nouvelle loi minière 33-13 en 2015 et travaille à l'élaboration de textes régulant les activités d'exploration et d'exploitation des ressources géothermiques. Ce texte facilitera les investissements et encouragera la recherche et le développement dans ce domaine. 3 questions à Jérôme Faessler "Les séismes liés à des projets de géothermie sont rares" Comment la géothermie peut-elle être utilisée pour la production d'électricité, ainsi que dans le chauffage et la climatisation des bâtiments ?
Il existe plusieurs types de géothermie de faible, moyenne et grande profondeur. En Suisse, nous n'avons pas de gradient géothermique spécifique lié à du volcanisme, ce qui veut dire que nous avons grosso modo 3°C de plus tous les 100 m : à 1.000 m, environ 40°C, à 2.000 m, environ 70°C, à 3.000 m, environ 100°C et à 4.000 m environ 130°C.
En général, la géothermie de faible profondeur permet de faire du chauffage à l'aide de pompe à chaleur et/ou de la climatisation des bâtiments (geocooling ou climatisation active). La géothermie de moyenne profondeur permet de faire de la chaleur directe via des réseaux de chauffage à distance dans des villes ou grands quartiers.
La géothermie profonde permet de faire de l'électricité et de la chaleur. En Suisse, il faut aller au-delà de 3.000 m de profondeur pour avoir des températures suffisantes pour espérer produire de l'électricité.
- Quelles sont les méthodes de mesure pour l'exploration de potentiels géothermiques ?
Une méthode simple, rapide, rentable et fréquemment utilisée est par exemple la géoélectricité, dans laquelle le sous-sol peu profond (jusqu'à 100m) est cartographié sur la base de sa résistance électrique. Une autre méthode peu coûteuse est la sismique passive, qui enregistre l'oscillation naturelle du sous-sol et permet de comprendre la forme et la profondeur des corps rocheux.
Afin de représenter les structures profondes du sous-sol et les structure en couches aussi précisément que possible, la sismique par réflexion 2D ou 3D à l'aide de camions vibreurs est généralement utilisée mais plus complexe à mettre en œuvre.
Lorsqu'un forage exploratoire est réalisé, il est possible de mesurer les propriétés physiques de la paroi du forage, afin de déterminer le type de roche, la densité, la porosité, les écoulements d'eau possibles, les structures de fracture ou les anomalies de température. . Comment les risques sismiques peuvent-ils affecter la stabilité et la sécurité des projets géothermiques ? Les séismes liés à des projets de géothermie sont rares et généralement liés à des opérations de stimulation. Pour maîtriser la sismicité induite, les opérateurs doivent mettre en place un processus de surveillance et de contrôle fin de leurs forages et de la mise en charge du réservoir. Les risques sismiques dépendent également des conditions géologiques locales et du niveau d'aléa sismique
Recueillis par Soufiane CHAHID
Dans le monde : L'Islande, paradis géothermique Au niveau international, l'Islande se distingue comme le pays qui exploite le plus largement ses ressources géothermiques. En effet, la géothermie représente plus de 90% de la fourniture de chauffage et 27% de la production électrique de l'île de glace. Cette situation découle de la localisation géologique exceptionnelle de l'Islande sur la dorsale médio-atlantique, une région caractérisée par une activité tectonique intense où les plaques terrestres se séparent. Cette configuration crée un environnement idéal pour l'ascension de la chaleur géothermique depuis le manteau terrestre jusqu'à la surface.
De ce fait, l'Islande dispose d'un accès privilégié à une grande variété de sources géothermiques, comprenant les geysers, les volcans, les sources chaudes et les réservoirs souterrains d'eau chaude. Le pays a su exploiter cette abondance de chaleur géothermique de manière diversifiée, en l'utilisant pour le chauffage domestique, le chauffage urbain, les serres agricoles, les piscines publiques et, bien entendu, la production d'électricité. En conséquence, l'Islande se classe parmi les pays les moins émetteurs de CO2 pour sa production électrique. Prouesse technique : Bientôt des forages ultra-profonds ? Selon les travaux de l'ingénieur Paul Woskov, il suffirait d'exploiter 0,1% de la chaleur interne de la Terre pour combler les besoins énergétiques de la planète entière pendant plus de 20 millions d'années. Si cette ambition paraît séduisante, la démocratisation de l'accès à l'énergie géothermique se heurte à des limites techniques. En effet, les outils de forage actuels deviennent inutilisables en raison des conditions extrêmes de chaleur et de pression au-delà d'un certain cap.
Pour dépasser cette limite, des start-ups explorent de nouvelles techniques de forage. La start-up américaine Petra veut ainsi s'appuyer sur des faisceaux d'énergie dirigée, capables de fracturer la roche sans la toucher. Pour l'instant, cette méthode est considérée trop coûteuse et pas assez puissante dans un contexte de géothermie profonde.
Une autre start-up américaine préconise une autre approche plus prometteuse. Il s'agit de Quaise Energy, qui veut utiliser le gyrotron, un tube électronique générant des ondes millimétriques à haute fréquence. Développé en URSS au milieu des années 1960, ce dispositif servait à chauffer considérablement le plasma, mais parviendrait également à faire fondre la roche de manière optimale.
Avec un gyrotron d'une puissance d'un mégawatt purgé à l'aide de gaz argon, la start-up envisage d'atteindre les 20 kilomètres de profondeur en seulement 100 jours. Quaise Energy prévoit de mettre au point un démonstrateur en 2024 et de capter de l'énergie géothermique via un premier puits pilote dès 2026.