Depuis le 21 décembre, la galerie tangéroise Mohamed Drissi reçoit des œuvres récentes, et pas seulement, d'un artiste qui ne cesse de faire grand son attachement à une expression plastique intrigante et difficilement définissable. A travers « The Forest Dreams Worlds », l'éclat s'éteint sournoisement pour mieux jaillir. Que dire davantage de cet homme à la production débordante, de cet artiste ciselant et ciseleur ? Un amas d'âmes habite un corps connecté à des esprits qui taisent leurs noms, foudroyant l'inconvenance. Est-il né ou l'a-t-on déconstruit pour qu'il choisisse, à sa multiple guise, une destinée constructive ? Fort en thèmes, il se laisse vivre en se battant contre lui-même, en convenance avec ses convictions. Lui qui habite et fréquente des cités aseptisées jusqu'à révulsions, continue à convoquer des espaces forestiers, fruités et animaliers à outrance. Cette nouvelle « collection », agrémentée d'œuvres aînées, bouleverse le regard en l'émaillant. Peintures et sculptures massives s'entrechoquent avec respect par moments, avec invective le reste du temps. Ilias Selfati crée en avançant : « Une œuvre arrive seule à moi. Je ne fais que la laisser déambuler », dit-il. Ensuite, elle prend vie ailleurs, là où l'univers de l'artiste jaillit comme cette lumière chargée d'une obscurité éclairante : fil noir-fil blanc, la levée du jour restant suspendue. A la galerie Mohamed Drissi, une œuvre troublante gagne l'attention (notre illustration). Elle est aussi pleine que dépourvue de volume. Seulement, l'un dans l'autre, elle flamboie d'une résonance bouillante. En fait, l'ensemble relève d'une haute couture que la mode et les tendances ne sauraient décoder.
Etonnements, interrogations... La naissance de Ilias Selfati est un concept. Cela devient une construction avant que ne s'éclairent en troubles les caresses d'un monde où l'odeur se mêle à la sueur, où l'homme se tient petit face à l'immensité d'un espace que seule la forêt fore. Ilias vouvoie avec délicatesse une vie qui ne songe qu'à le tutoyer. Il n'est rien avant d'être, voilà la force du devenant. Selfati est un créateur-créatif dont le débit ne connait pas de répit. Qu'on évoque ce qu'il produit actuellement, ce qu'il montre depuis qu'il fait exister son art, ce qu'il compte déployer le temps à venir, il ne manque pas de nous étouffer de bonheur à la clarté d'une obscurité rayonnante. Ilias Selfati craque une allumette et la flamme ravale son arrogance, gardant pour lui la fluidité de la lumière. Avec « The Forest Dreams Worlds », cet artiste bloqué dans l'ouverture frappe à mains nues, le cœur en suspens. Lorsqu'il s'en va, on attend son retour. Quand il revient, on ne pèse pas réellement sa frappe jusqu'à ce que cela prenne forme, jusqu'à ce qu'on le remercie. Ilias Selfati a encore bien des choses à proposer, saluant un futur qu'il mâche sans l'avaler. A la galerie Mohamed Drissi de Tanger, la ville où il pousse son premier cri en 1967, l'actuelle exposition cristallise un parcours fait d'apports, d'étonnements, d'interrogations. Si la forêt continue à joncher une carrière juste et paradoxalement appliquée, elle ne repousse pas quelques autres pendants créatifs qui viennent rappeler à cette belle forêt que la Terre ne lui est pas exclusive, que d'autres espaces lui tiennent tête, parfois lui subtilisent la vedette. Ilias Selfati est ainsi multi, cogneur avec un cœur grand comme ça. Les pièces qu'il propose sont faites pour éblouir, sinon rendre la vue aux malvoyants. Et cela ne s'écarquille que dans les cœurs aimants, chez les amateurs des réalisations qui font mouche, qui retiennent l'attention jusqu'à immobilisation. L'art n'est pas forcément que joie, il est également souffrance. Dans les deux cas, l'engagement émotionnel est là, à jamais. Et si la douleur est temporelle, l'image est éternelle.