Dans une conférence de presse donnée au lendemain de sa rencontre avec le président Tebboune, Louiza Hannoune, la Secrétaire Générale du Parti des Travailleurs, a longuement fustigé la Ligue arabe allant jusqu'à suggérer le gel de l'adhésion de l'Algérie à cette organisation. Beaucoup de non-dits dans la bouche de l'inamovible leader du parti trotskiste algérien. « Belle et rebelle » disait-on de Louiza Hannoune lorsqu'elle se révéla à l'opinion publique algérienne au lendemain de l'ouverture politique au début des années 90. Secrétaire générale du Parti des Travailleurs, seule formation trotskiste dans le monde arabe, cette juriste de formation, née en 1954 dans une famille paysanne de Jijel (Nord-Est de l'Algérie), a grandi dans la ville d'Annaba à 600 km à l'Est d'Alger qu'elle quitte après avoir décroché une licence en droit à l'université Badji Mokhtar. Louiza Hannoune s'établit à Alger où elle adhère à l'Organisation Socialiste des Travailleurs (OST) avant de participer à la création du Parti des Travailleurs qu'elle présidera depuis sa date de création à ce jour. Farouche opposante au régime, elle fait partie de la vague des détenus de toutes tendances politiques que feu Chadli Benjedid, alors président de la République, envoya en prison. Elle passera 6 mois en détention. C'était en 1986. Trois années plus tard, l'Algérie s'ouvre au pluralisme et Louiza Hannoune se révèle au public qui a beaucoup aimé son discours tranchant, ses positions fermes contre le régime en place et son intégrité morale. Un capital suffisant pour faire de sa formation politique le seul parti trotskiste à accéder au parlement dans le monde arabe. « On votait pour elle, pas pour le trotskisme » totalement inconnu dans l'Algérie profonde. D'ailleurs, les candidats du Parti des Travailleurs, pour se faire convaincants et attirer la sympathie des électeurs, insistaient pour dire qu'ils étaient du parti de Louiza Hannoune. Elle sera la première et seule femme candidate à la magistrature suprême en 2004 et 2009 en opposition à la candidature d'Abdelaziz Bouteflika. Si en 2009 elle récolta 1% des suffrages avec 101.630 voix, cinq ans plus tard, elle se classe en seconde position derrière le président élu avec 4,22%.
Depuis lors, Louiza afficha de la sympathie pour Bouteflika et surtout pour son frère cadet Saïd, un ancien syndicaliste (quand il était enseignant à l'université Houari Boumediene d'Alger), avec qui elle partageait certaines affinités idéologiques. Ce rapprochement, selon des habitants de la ville d'Annaba, lui aurait permis de prendre sa « part du gâteau ». Ainsi, elle aurait investi dans une promotion immobilière de 4 ou 5 immeubles dans la région de Sidi Aïssa vers les hauteurs de Seraïdi du temps du général Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée et vice-ministre de la défense nationale sous Bouteflika. Son incursion dans le monde des affaires et des promotions immobilières l'a éloigné des masses populaires qui l'avaient adoptée. Son discours est devenu plus édulcoré, ses positions moins tranchantes et durant le Hirak, on ne l'a pas beaucoup vue pour ne pas dire qu'elle était invisible. Elle était plutôt du côté d'El-Mouradia à chercher une issue à la crise provoquée en concertation avec Saïd Bouteflika et le général Mohamed Mediene - alias Toufik - l'ancien patron du DRS. Ce conclave lui a coûté cher. Elle est discréditée aux yeux de l'opinion publique pour avoir fricoté avec deux personnages honnis par le peuple. Le 9 mai 2019, elle est placée en détention provisoire à la prison civile de Blida après avoir été entendue par le procureur militaire en qualité de témoin dans l'affaire dite « atteinte à l'autorité de l'armée » et « complot contre l'autorité de l'Etat » ouverte contre Saïd Bouteflika, frère de l'ancien président, et deux anciens hauts responsables des services de renseignement, Mohamed Mediène et Athmane Tartag ». Le 26 septembre, elle est condamnée à 15 ans d'emprisonnement pour « complot avec des réunions » visant à « porter atteinte à l'autorité de l'Etat et de l'armée ». Le procès en appel se tient devant la Cour d'appel militaire de Blida à partir du 9 février 2020. Elle est condamnée à trois ans de prison, dont neuf mois fermes, et est donc libérée, ayant purgé cette peine. Depuis cette date, Louiza Hannoune se fait discrète. On ne l'entend pas dénoncer la vague de répression qui s'abat sur le peuple algérien. Pas un mot sur les centaines de détenus d'opinion. Pas un mot, non plus, sur l'aliénation de la presse au pouvoir ni sur la dégradation des conditions de vie des Algériens. Ce n'est que depuis deux jours qu'apparaît Louiza Hannoune reçue par le président Tebboune au siège de la présidence de la République. A l'issue de l'audience, elle fait un speech qui s'apparente à une plaidoirie au profit du pouvoir dans laquelle elle concentre ses propos sur le sujet préféré du régime : la menace extérieure. 48 heures après l'audience que lui avait accordée Tebboune, L'inamovible Secrétaire générale du Parti des Travailleurs donne une conférence de presse. Bien qu'elle tînt à préciser d'emblée « qu'elle n'étai pas là pour s'exprimer au nom du chef de l'Etat », elle a fait beaucoup mieux. Elle s'est érigée en bonne avocate du régime et a crié tout haut ce que Tebboune et son entourage pensent tout bas. Son discours était une attaque en règle contre la Ligue arabe et les Etats qui ont normalisé leurs relations avec Israël. Louiza Hannoune a pratiquement repris tout ce que lui avait dit Tebboune durant les 3 heures de l'audience qu'il lui avait accordée. Il lui avait tenu, selon une source bien informée, les mêmes propos qu'il avait prononcés en présence des 14 responsables de la presse nationale le 3 octobre dernier. Des propos par lesquels il s'était attaqué à de nombreux pays arabes, à la Russie et à des pays africains. Tebboune était encore sous le choc du refus des BRICS de la candidature algérienne. Il avait exprimé une amertume qui avait rendu le contenu de sa réunion impossible à diffuser comme il l'était, initialement, prévu. Il a fallu attendre Louiza Hannoune pour que les intentions du régime algérien soient, enfin, révélées et répercutées de manière insidieuse. Les articles hostiles aux Emirats Arabes Unis, publiés par quelques titres de la presse sous la dictée des services secrets, se confirment et enregistrent l'adhésion du chef de l'Etat. Ce dernier n'étant pas au courant du plan, qui se tramait dans les coulisses du ministère de la Défense nationale, avait limogé en pleine nuit son ministre de la Communication pour une brève information publiée par le quotidien An-Nahar annonçant « le renvoi de quatre diplomates émiratis arrêtés pour intelligence avec le Mossad israélien ». Cette fois, Louiza Hannoune parle d'un complot ourdi contre l'Algérie par le Maroc, les Emirats Arabes Unis et Israël. Pourquoi ce complot ? Quels sont ses indices ? Quelles sont les preuves qui confortent cette accusation ? Aucun des nombreux journalistes présents n'osait poser ce genre de questions qui fâchent. C'est le journalisme à l'algérienne. Boostée par l'audience que lui a accordée Tebboune, la passionaria algérienne, toute heureuse de son retour sur la scène politique, fait du rentre-dedans. Elle appelle à la sacro-sainte mobilisation autour du régime pour contrer les visées marocaines et émiraties. Tous les problèmes de l'Algérie viennent de là. Au diable les longues files d'attente pour se procurer les produits alimentaires de premières nécessité, les centaines de détenus d'opinion, les violations des droits fondamentaux du citoyens. L'heure est à la mobilisation contre l'ennemi extérieur, ne cesse-t-elle de clamer. Quelle aubaine pour Tebboune et son régime ! Une Louiza Hannoune qui retrouve un second souffle s'avère leur meilleure avocate jusqu'ici ignorée. Avec sa verve coutumière, elle met en avant « la volonté du président à faire respecter la liberté de la presse ». Sur le plan social, elle estime que « la hausse des salaires, confinés aux fonctionnaires, devrait être étendue à l'ensemble des secteurs d'activité, tant privé que public ». Elle trouve que « le président annonce de bonnes nouvelles pour cette année à venir. » Le plus urgent pour les Algériens, si l'on comprend bien Louiza Hannoune, c'est la Palestine et cette satanée Ligue arabe. D'ailleurs, elle ne manquera pas de suggérer le gel de l'adhésion de l'Algérie à cette organisation panarabiste infestée par « les régimes arabes traîtres à la cause palestinienne ». Elle appelle à la constitution d'un front constitué de l'Algérie, la Tunisie, le Liban, la Syrie et l'Irak « pour contrer les normalisateurs ». Comme si ces pays allaient suivre l'Algérie dans cette démarche. Comme si l'Algérie avait suffisamment de crédit pour fédérer autour d'elle ces pays qui tiennent à avoir de bonnes relations avec les pays du Golfe ciblés par une Algérie incapable d'assurer la satisfaction alimentaire de sa population.