L'enquête de PISA a dévoilé à quel point le niveau des élèves marocains s'est dégradé par rapport à 2018. Un constat amer qui ne doit pas surprendre compte tenu du marasme du système éducatif. Décryptage. Le déclin scolaire continue et le niveau des élèves marocains ne fait qu'empirer d'année en année. En témoigne la nouvelle enquête PISA qui a corroboré ce constat amer. Pis encore, nos élèves se sont montrés moins instruits dans les fondamentaux de l'apprentissage qu'il y a cinq ans. A l'échelon international, le Maroc s'est vu relégué par rapport à 2018, date de la dernière enquête. Le constat est sans appel : les élèves marocains ont fait preuve d'un piètre niveau dans les mathématiques, la lecture et les sciences.
La dégringolade ! 6867 élèves provenant de 177 écoles ont participé à l'enquête. Leur niveau reste en-deçà de la moyenne des pays de l'OCDE, c'est-à-dire les pays développés. Sur 81 pays, le Maroc est classé au 71ème rang en mathématiques avec un score de 365 points, soit 3 points de moins qu'en 2018. Idem pour la compréhension où notre pays a récolté 339 points, contre 359 en 2018. Concernant le bagage scientifique, les élèves marocains ont eu 365 points contre 377 il y a cinq ans. Ces scores signifient que les élèves peinent à lire un texte et en comprendre le contenu. Jusqu'à l'âge de 15 ans, un adolescent est incapable de lire correctement. Les résultats de l'enquête font savoir que seuls 19% des élèves participants à l'enquête ont pu atteindre le niveau minimum par rapport aux normes de l'OCDE. A ce stade, l'élève est censé déceler l'idée principale d'un texte et y trouver des informations précises. Ne parlons même pas des longs textes qui relèvent du niveau 5, auquel aucun élève marocain parmi les participants n'a pu accéder. Cela dit, des apprenants marocains de 15 ans peinent à lire un long texte et sont incapables de distinguer, par exemple, une opinion d'un fait. Pour ce qui est des sciences, 25% seulement des participants ont atteint le niveau 2 qui leur permet de maîtriser les phénomènes scientifiques et comprendre leur signification, alors que 76% des élèves de l'OCDE en sont capables. C'est ce qui explique que nos apprenants ne sont pas en mesure de se servir de leurs connaissances scientifiques dans leur vie quotidienne. Force est de rappeler ici qu'aucun élève marocain n'est parvenu au niveau 6.
Connaissances fondamentales : des lacunes abyssales En mathématiques, seuls 18% des élèves ont pu passer le niveau 2, contre 69% pour les pays de l'OCDE. Cela dit, peu sont capables de représenter mathématiquement une situation ou de convertir les prix en devises étrangères. On reste très loin des pays asiatiques dont les élèves excellent en mathématiques au point d'atteindre le niveau 5 ou 6 qui est synonyme de capacité à faire face à des situations complexes. Tout cela montre à quel point l'apprentissage dans les écoles publiques est en constant recul. Quelle conclusion peut-on tirer ? L'enquête PISA, qui se focalise sur les élèves âgés de 15 ans, nous montre que leurs connaissances ne sont pas à la hauteur de ce qui est requis à cet âge, selon la logique du Conseil supérieur de l'Education nationale. D'où la question du marasme de l'école publique qui ne parvient toujours pas à fournir un apprentissage de qualité.
Comment est-on arrivé là ? Le dernier rapport du Conseil des sages donne plusieurs raisons explicatives de la décrépitude de l'école, qui sabote l'apprentissage. Elles sont nombreuses. En plus du manque de ressources éducatives et d'infrastructures, il existe une forte inadéquation des ressources humaines qui s'ajoute à des phénomènes pernicieux aux conséquences irréversibles, tels que l'indiscipline qui règne dans les classes et qui affecte visiblement l'apprentissage. Dès 2018, le Conseil supérieur a mis en garde contre la dégradation du climat de discipline. Près de 40% des élèves interrogés avaient reconnu que les problèmes de discipline sont très fréquents. L'école publique demeure plus vulnérable que les établissements privés où la rigueur est plus respectée. Pis encore, les élèves, surtout dans le secteur public, restent privés d'un temps scolaire considérable. En plus du retard des élèves qui manquent souvent des heures précieuses, l'absentéisme des enseignants exacerbe l'hémorragie, comme on le constate amèrement ces jours-ci avec la grève liée au nouveau Statut unifié des Fonctionnaires de l'Education nationale, qui a fait perdre aux élèves quasiment tout le premier trimestre de l'année scolaire.
L'urgence d'en finir avec le gaspillage du temps scolaire Ce scénario est loin d'être un cas isolé puisque les grèves sont une pratique courante dans le secteur de l'enseignement, et devient parfois un moyen souvent utilisé dans les bras de fer avec le ministère de tutelle. Force est de constater que 12.000 établissements et 7 millions d'élèves du secteur public ont été pris en otage depuis début octobre. Combien d'heures, combien de cours, combien de connaissances ont été sacrifiés inutilement ! C'est ce qui crée les lacunes qui, au fil du temps, deviennent insurmontables. Dès 2018, les chiffres du Conseil supérieur ont fait état d'une proportion importante d'établissements où l'apprentissage est affecté par l'absentéisme des professeurs.
Nouvelles techniques d'apprentissage : le salut ? La déchéance de l'école se poursuit au moment où le ministre de tutelle, Chakib Benmoussa, tente de rafistoler un système délabré avec la feuille de route 2022-2026. Conscient de l'immense fossé qu'il faut combler, le ministre place tous ses espoirs dans les nouvelles méthodes d'apprentissage, telles que le système TaRL. Il s'agit d'investir dans les nouvelles générations dès le primaire pour arrêter l'hémorragie et juguler la transmission des lacunes vers le secondaire. Une méthode qui a commencé à donner ses fruits selon un dernier bilan dévoilé par le ministère de tutelle (voir repère). 17.000 élèves en ont bénéficié et 400.000 sont ciblés durant l'année scolaire en cours. Outre cela, 890 écoles primaires ont bénéficié de l'expérience pilote des rituels scolaires. En gros, le ministère semble parier sur les nouvelles méthodes d'enseignement jugées plus efficaces pour la rénovation des méthodes d'enseignement de l'arabe, du français et des maths, là où le niveau de nos élèves régresse de façon inquiétante. Certes, le changement des techniques d'enseignement et la généralisation progressive des écoles pionnières sont une lueur d'espoir dans l'obscurité du déclin éducatif, toutefois, leur réussite dépend de la capacité des enseignants à s'en approprier. Elle demeure également tributaire d'une bonne gouvernance des établissements scolaires, et de l'amélioration du climat de déroulement des cours. Tel est le constat de Hamid Bouchikhi, membre du Conseil supérieur de l'Education, de la Formation et de la Recherche scientifique, qui livre sa vision sur la réforme de l'enseignement.
Trois questions à Hamid Bouchikhi : "La réussite des nouvelles méthodes dépend d'un grand travail d'identification des lacunes" * On a introduit les méthodes TaRL dans l'espoir de combler les lacunes des élèves. Est-ce la baguette magique comme on l'a souvent présentée ?
- C'est une baguette en effet. Mais je ne peux vous dire si elle est magique. C'est une approche par laquelle on se met au niveau de l'élève. Mais, sa réussite dépend d'un grand travail d'identification des lacunes. Encore faut-il que les conditions matérielles nécessaires existent. Les classes ne doivent pas être encombrées. D'où la nécessité d'un environnement propice. Là, je me demande comment nous pourrons appliquer ces méthodes dans les régions éloignées. Par ailleurs, ne contentons-nous pas uniquement des méthodes importées. Je suis pour que les enseignants marocains eux-mêmes puissent inventer leurs propres méthodes et trouver des moyens d'aider leurs élèves en fonction de leur vécu et de leur propre expérience. On peut trouver des initiatives latentes et les mettre en valeur.
* Concernant l'architecture linguistique, quelle est la meilleurs formule à vos yeux ?
- Permettez-moi de rappeler que la loi-cadre a tranché en faveur de la consécration du pluralisme linguistique. C'est-à-dire le fait que l'enseignement puisse être dispensé à la fois en langues nationales et étrangères. Je trouve embarrassant que nous soyons encore empêtrés dans ce débat, plusieurs décennies après notre indépendance, parce que je vois d'autres pays qui ne se posent pas la question de savoir quelle langue choisir. Les pays asiatiques ne se la posent pas et ils étudient dans leurs langues nationales. En Corée, par exemple, on peut étudier tout au long de son parcours, et jusqu'au doctorat, dans la langue mère sans se préoccuper des langues étrangères. Pour autant, les gens sont hyper bien formés. La qualité de l'enseignement, dans ce genre de cas, n'est pas associée à la langue.
* Le ministère de tutelle a lancé la feuille de route 2022-2026, quelles sont les chances de sa réussite ?
- La réforme est d'autant plus réalisable que l'éducation est l'un des rares secteurs où la volonté de réforme est codifiée par une loi-cadre, contraignante, qui dessine les contours d'une école nouvelle avec la vision stratégique 2015-2030. Il n'est plus question de plans d'urgence. L'objectif est de se réapproprier l'école publique à laquelle la société a tourné le dos. Cette fois-ci, il me semble que nous sommes bien partis et nous plaçons nos espoirs dans la feuille de route 2022-2026 dont nous nous attendons à un saut qualitatif. Comme nous l'avons bien dit dans le dernier avis du Conseil, le projet de loi 59.21 portant sur l'enseignement scolaire doit se hisser au niveau de la loi-cadre. Mais, le chemin est encore long.
Recueillis par Anass MACHLOUKH
Connaissances fondamentales : Les critères PISA L'enquête PISA est une longue évaluation qui se base sur des critères bien définis avec une vision claire de ce que doivent être les acquis d'un élève à un certain âge. PISA évalue la lecture, les sciences et les mathématiques en tant que matières principales indispensables. Prenons l'exemple des mathématiques, il s'agit, selon les critères, d'une chose plus complexe que la simple reproduction de procédures mathématiques de routine. Au contraire, estime le rapport, PISA considère qu'une personne compétente en mathématiques est quelqu'un qui peut raisonner mathématiquement à travers des problèmes complexes de la vie réelle et trouver des solutions en formulant, en utilisant et en interprétant les mathématiques.
L'enquête PISA est parfois taxée d'injuste sous le simple prétexte que les élèves doivent résoudre des problèmes qu'ils n'ont jamais vus à l'école. Le rapport souligne que l'enjeu de cette enquête est de ne pas se contenter de ce que l'on a appris à l'école, mais d'être capable de résoudre des problèmes impossibles d'anticiper. Méthode TaRL : Des résultats préliminaires positifs Un an après l'introduction de la méthode TaRL dans les écoles dites pionnières, les résultats préliminaires sont positifs. Cette méthode, rappelons-le, consiste à orienter l'apprentissage vers les lacunes des élèves de sorte à leur permettre de les combler le plus rapidement possible afin de passer à l'étape suivante. Selon le bilan publié, le 9 novembre, par le ministère de tutelle, la majorité des élèves évalués de la 2ème à la 6ème année du primaire affichent, dans les compétences évaluées, des taux de maîtrise multipliés par 4 en mathématiques, par 3 en français et par 2 en arabe, ce qui correspond à un rattrapage de 1 à 2 années de scolarité au niveau des fondamentaux des matières concernées, en seulement deux mois.
Il s'agit d'une progression palpable si on prend en compte qu'un an avant, 80% des 300.000 élèves des écoles pionnières ne maîtrisaient pas les compétences fondamentales, selon les conclusions d'un test de positionnement réalisé par les enseignants les 7, 8 et 9 septembre 2023 dans l'ensemble des établissements concernés.
Aussi, l'évaluation de 63.000 élèves a permis de conclure que le travail des enseignants dans les écoles pionnières a un impact important sur les savoirs fondamentaux dans les trois matières et pour tous les niveaux scolaires. A titre d'exemple, la proportion des élèves maîtrisant l'addition enseignée en 1ère année du primaire est passée de 9% à 61%. Celle des élèves de 3ème année qui maîtrisent la lecture d'un paragraphe de niveau de 2ème année a culminé à 50% au lieu de 20%. 59% des élèves en 3ème année maîtrisent la lecture de mots simples au lieu de 20% un an plus tôt.