En dépit du remarquable travail accompli pour promouvoir l'assistance sociale dans le processus judiciaire, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Le ministère de la Justice et l'UNICEF ont organisé, mardi et mercredi, une conférence nationale pour trouver des pistes d'amélioration pour ce métier qui n'est pas reconnu à sa juste valeur. Durant les cinq dernières années, le Maroc s'est sérieusement penché sur la situation professionnelle des assistants sociaux et judiciaires qui jouent un rôle clé dans la liaison entre l'environnement judiciaire et l'environnement social des enfants, des femmes et des catégories spécifiques. Afin de blinder l'arsenal judiciaire, le gouvernement a promulgué en juin 2022 la loi 38.15 relative à l'organisation judiciaire, qui prévoit l'institutionnalisation de l'assistance sociale auprès des juridictions à travers la création de Bureaux d'assistance sociale dans les tribunaux de première instance et des Cours d'appel. Une initiative qui a permis quelques avancées sur le terrain, mais le chemin à parcourir pour promouvoir la situation dudit métier est encore long. En témoigne le nombre d'assistants sociaux qui ne dépasse pas 337 cadres, répartis sur l'ensemble des tribunaux du Royaume, selon le bilan dressé par le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, lors de la 2ème conférence nationale sur l'Assistance sociale au service de la Justice, qui a débuté mardi à Salé. Selon le ministre, le travail d'assistance sociale doit constituer un trait d'union entre la justice dans son sens le plus large et le citoyen, tout en louant son rôle en matière « de suivi de la condition de la femme et de l'enfant, d'accompagnement du parcours de prise en charge juridique et de sensibilisation à leurs droits ainsi que de soutien psychologique et social ». Dans ce sens, l'UNICEF, qui co-organise la conférence avec la tutelle, précise dans un brief consulté par « L'Opinion » qu'il y a des travailleurs sociaux dans différentes structures de l'Etat comme la santé, l'éducation, la police, la gendarmerie, la justice, mais il y a un manque évident de coordination et de protocoles d'intervention communs. « Nous devons insister qu'avec la mise en œuvre d'un système de protection sociale budgétisé, ce n'est pas suffisant, le système doit être doté aussi de protocoles communs, d'une coordination et de synergies entre tous les acteurs pour donner une réponse plus efficace et assurer que le respect des droits de l'Homme est vraiment garanti », précise l'instance onusienne. Ainsi, le ministre a appelé à ouvrir la voie devant les assistants sociaux pour qu'ils puissent accomplir leurs rôles dans les meilleures conditions. L'idée serait donc de définir ces rôles selon les missions et la nature de la formation, en vue de leur permettre d'avancer dans leur parcours professionnel. D'où l'impératif d'institutionnaliser l'assistance sociale de manière structurelle et promouvoir le métier pour augmenter son attractivité. « L'assistance sociale a franchi plusieurs caps au sein des instances judicaires, notamment en ce qui concerne l'accompagnement des femmes victimes de violence, ainsi que le soutien et l'orientation des enfants et leurs familles dans plusieurs dossiers à dimension sociale », nous déclare Fatima Zahra Barassat, Chef de service au sein de la Direction de la législation relevant du ministère de la Justice, ajoutant que la 2ème conférence organisée à Salé permettra de formuler des recommandations qui hisseront cette filière au rang des autres métiers liés à la Justice. La coordination pour le bien des enfants Par ailleurs, le rôle de l'assistance sociale s'avère crucial pour accompagner les enfants, principalement ceux en friction avec la loi. Selon la représentante du Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF) au Maroc, Speciose Hakizimana, la jonction entre les composantes juridique et judiciaire et celle de la protection sociale permet de renforcer la prévention des situations de risque, garantir l'humanisation des trajectoires judiciaires et assurer le suivi et l'intégration des enfants. Le nouveau cadre législatif ainsi que les échanges organisés par le ministère et l'UNICEF constituent un jalon important dans le processus de l'institutionnalisation de l'assistance sociale auprès des juridictions et dans la facilitation de l'accès à la justice pour les enfants, les femmes et les catégories spécifiques. «Cette institutionnalisation va certainement contribuer à la mise en œuvre des mesures ciblées par la charte de la réforme de la justice au Maroc, en instaurant un statut spécial pour les professionnels de l'assistance sociale, en fixant leurs missions et la force probante de leurs rapports », a déclaré la représentante, soulignant qu'elle permettra également de doter les juridictions pour l'assistance sociale au niveau des sections de la Justice de la famille et des cellules de prise en charge des femmes et des enfants victimes de violence. La même interlocutrice recommande ainsi que le travail social spécifique à la protection de l'enfance devrait se faire avec une approche intégrée et inclusive, qui prend en considération la dimension territoriale et les spécificités culturelles des publics cibles. Cec iimplique, cependant, un niveau élevé de coopération entre les instances judiciaires et les services sociaux et de protection de l'enfance. Une condition sine qua non pour la réussite des missions de l'assistance sociale, qui impliquent le développement de l'enfant et son épanouissement dans le cadre des procédures judiciaires.
3 questions à Abdellatif Ouahbi « Il faut valoriser ce métier à sa juste valeur » Quelle est votre vision pour promouvoir l'assistance sociale au sein de la Justice ? - Le métier des assistants et assistantes sociaux est l'une des plus importantes professions dans l'administration judiciaire. Notre vision est donc d'améliorer leur statut et la nature de leurs relations avec le corps judiciaire, ce qui permettra de faciliter le parcours de prise en charge juridique des enfants en besoin et des personnes en situation de vulnérabilité. Il faut également valoriser ce métier à sa juste valeur, notamment en déterminant son champ d'action et ses prérogatives. Il y a également le développement de carrière que nous souhaitons promouvoir, afin que ces professionnels puissent atteindre des postes de responsabilité dans les institutions concernées par la question. Le système judiciaire compte combien des assistants sociaux pour le moment ? Dans le cadre des efforts déployés par le ministère de la Justice pour renforcer les dimensions juridiques et humanitaires, nos départements ont veillé à la création de la profession d'assistance sociale, que ce soit au niveau des services dédiés à la justice de famille ou en créant des cellules de prise en charge des femmes et des enfants au niveau des tribunaux de première instance et des Cours d'appel. Nous comptons aujourd'hui 337 assistants sociaux et judiciaires répartis sur les différents tribunaux du Royaume. Il convient de noter à cet égard qu'en 2022, 100 assistants et assistantes sociaux ont été admis, qui parlent tous la langue amazighe, afin de faciliter l'accès des citoyens parlant amazigh aux services judiciaires. Quelle est la place de l'assistance sociale dans la réforme du Code pénal ? Le projet de loi n° 43.22 relatif aux peines alternatives comprend un ensemble de dispositions liées à l'intervention des assistants sociaux, telles que la réalisation des recherches et investigations d'ordre social avant que la décision des juges ne soit prononcée. Ceci permet au tribunal d'étudier les possibilités d'usage des peines alternatives au détriment des peines privatives de liberté. Au niveau du projet de loi sur la procédure pénale, un certain nombre de dispositions ont également été incluses afin de renforcer les bureaux et les centres d'assistance sociale, permettant ainsi leur utilisation à toutes les étapes de l'enquête et du procès afin d'identifier les victimes, par exemple, des délits de traite des êtres humains, ainsi que d'autres exigences liées à la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant. Accompagnement des enfants : Approche 360° L'approche du Royaume pour accompagner les enfants est globale, incluant plusieurs aspects, notamment l'accueil des enfants sans protection familiale. Lundi dernier, Son Altesse Royale la Princesse Lalla Zineb, Présidente de la Ligue Marocaine pour la Protection de l'Enfance (LMPE), a présidé, au Centre Lalla Meriem des enfants privés de famille à Rabat, la cérémonie de signature d'une convention de partenariat entre la Ligue et le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, portant sur l'équipement de quatre nouveaux centres d'accueil. Cette convention, signée par SAR Lalla Zineb, et le ministre Mehdi Bensaïd, a pour objet la contribution du ministère à l'équipement de 4 nouveaux centres d'accueil des enfants privés de famille, situés à Oujda, Ouarzazate, Tanger et El Jadida, dont la contribution financière globale s'élève à 15,5 millions de dirhams, indique un communiqué de la LMPE. UNICEF : Nouvelle approche « social-justice » Pour enrichir la nouvelle approche "social-justice", l'UNICEF a listé une série de recommandations : 1. Etablir une définition marocaine du travail social en s'appuyant sur la définition internationale du travail social et apporter les clarifications nécessaires permettant la distinction entre profession et activité ; 2. Fixer les champs d'action, les objectifs et les missions du travail social, définir les différents profils professionnels des travailleurs sociaux et les domaines de l'activité conformément aux normes et aux standards internationaux en lien avec l'intervention et la prise en charge de chaque catégorie de bénéficiaires/usagers : enfants victimes, enfants en conflit avec la loi, femmes, milieu ouvert, milieu ferme... ; 3. Définir une nomenclature des métiers et des référentiels professionnels du travail social ; 4. Réfléchir sur la pertinence des termes utilisés de « bénéficiaire », « client », « usager », « patient ». Comme proposé par le CESE, une appellation adaptée au contexte marocain devrait être proposée, qui s'inspire des bonnes pratiques dans ce domaine, et garantit la dignité des personnes accompagnées par le travail social ; 5. Prévoir des mesures de protection spécifiques des travailleurs sociaux dans le Code du travail, le Code pénal et le Statut général de la Fonction publique, en matière d'indépendance professionnelle, de secret professionnel et de protection d'un ensemble de risques d'agressions, de diffamation et de contaminations liés à l'exercice (justement, seuls les assistants sociaux de de la justice bénéficiennt d'une certaine protection à cet égard) ; 6. Elaborer un statut particulier des travailleurs sociaux dans la Fonction publique, les collectivités territoriales et autres établissements relevant de l'Etat ; 7. Créer un Ordre national pour les travailleurs sociaux, qui serait doté de la personnalité morale et inclurait obligatoirement tous les professionnels, avec notamment pour missions d'élaborer une charte déontologique et éthique de la profession des travailleurs sociaux ; 8. Promouvoir une représentation associative des travailleurs sociaux dans le respect du principe de liberté d'association et de liberté de définition des missions conformément à la loi en vigueur, et des mécanismes de gouvernance territoriale du travail social en cohérence avec le processus de la régionalisation avancée ; 9. Prendre des mesures spécifiques concernant l'amélioration des conditions de travail des travailleurs sociaux.