La tokenisation des actifs réels sur la blockchain promet une disruption majeure dans le secteur financier mondial. Avant sa pleine adoption, une réglementation adéquate s'avère cruciale. C'est peut-être la prochaine innovation technologique qui pourrait "disrupter" les marchés financiers. Il s'agit de la transformation des actifs réels en jetons numériques, ce que l'on appelle "tokenisation des actifs". Cette opération consiste à convertir un droit sur un actif (comme de l'immobilier, des actions ou des œuvres d'art) en un jeton numérique sur une blockchain.
Ces jetons représentent une fraction de propriété de l'actif sous-jacent et peuvent être échangés et négociés sur des plateformes numériques. Le principal avantage de la tokenisation réside dans sa capacité à faciliter la divisibilité, la liquidité, et la transférabilité des actifs traditionnellement illiquides, tout en offrant transparence et sécurité grâce à la technologie blockchain. Elle peut aussi simplifier et accélérer les transactions, réduire les coûts et rendre les investissements accessibles à un plus grand nombre.
Prenons l'exemple d'un bien immobilier d'une valeur de 1 million de dirhams. Avec cette technologie, l'actif pourrait être divisé en des jetons numériques de 100 dirhams, qui seront vendus sur des plateformes dédiées. Au moment de la vente du bien, chaque détenteur de token va recevoir une plus-value selon sa mise initiale. Les opérations d'achat et de vente pourraient être réalisées en quelques heures, avec un coût réduit.
"L'intervention des divers acteurs impliqués dans la transaction (conservation foncière, notaire...) se fera en même temps que le déroulement de l'opération. On passe ainsi d'un processus décisionnel séquentiel à parallèle, ce qui économisera beaucoup de temps", nous explique Badr Bellaj, docteur en Blockchain, et fondateur d'Azakan, le premier réseau de blockchain en Afrique.
Futur du système monétaire
Selon un récent rapport publié par Binance Research, le marché de la tokenisation des actifs pourrait atteindre 16.000 milliards de dollars d'ici 2030. "Cela représenterait 10% du PIB mondial à la fin de la décennie, soit une augmentation significative par rapport aux 310 milliards de dollars enregistrés en 2022", prédit le document. Cette estimation inclut la tokenisation d'actifs sur blockchain ainsi que la fractionnalisation traditionnelle des actifs (par exemple : les fonds négociés en bourse (ETF), et les trusts d'investissement immobilier).
Cependant, l'adoption internationale de cette technologie dépend d'une réglementation appropriée. Fin juin, la Banque des règlements internationaux (BRI), considérée comme la banque des banques centrales mondiales, a avancé dans cette direction, en proposant le projet d'une infrastructure globale centralisée pour les monnaies et actifs numériques permettant l'exécution de contrats intelligents. Ce projet vise à tirer parti des avantages de la tokenisation tout en réaffirmant le rôle des banques centrales.
Pour la BRI, la combinaison de la tokenisation et des banques centrales est donc le futur du système monétaire. «Les avantages de la tokenisation pourraient être pleinement exploités dans un grand livre unifié en raison de la finalité du règlement qui découle du fait que la monnaie de la banque centrale réside au même endroit que les autres créances. En s'appuyant sur la confiance dans la banque centrale, un tel lieu partagé a un grand potentiel pour améliorer le système monétaire et financier», propose la BRI.
Transformation radicale
"Les possibilités sont énormes, mais nous en sommes pour l'instant au stade de l'expérimentation. Cette innovation ne peut pas se concrétiser si le volet juridique ne suit pas. Certaines banques centrales ont mis en place des sandbox (environnements de tests, NDLR) afin d'élaborer un cadre juridique", indique Badr Bellaj. Si, dans l'avenir, la tokenisation des actifs est encadrée par la loi, cela pourrait radicalement transformer des secteurs comme le marché bancaire, le marché boursier, l'immobilier, ou encore le marché de l'art.
Bank Al-Maghrib se montre très prudente envers ces actifs virtuels et désire prendre son temps pour étudier et légiférer concernant les monnaies virtuelles, telles que le Bitcoin. Ce qui est certain, c'est que la tokenisation des actifs pourrait résoudre un problème inhérent à l'économie marocaine, celui du manque de liquidité des actifs et de dynamisme des marchés boursiers et immobiliers.
Trois questions à Badr Bellaj « Avec la tokenisation, les montages financiers à imaginer sont illimités » Comment expliquez-vous l'enthousiasme qui entoure cette technologie ? L'idée de tokenisation des actifs remonte à quelques années. Mais, effectivement, on remarque que cette technologie connaît actuellement un momentum important. L'idée a été remise au-devant de la scène lorsque l'Union Européenne a décidé de se pencher sérieusement sur le sujet. Pour cela, elle a lancé une sandbox (environnement de tests, NDLR) afin d'expérimenter cette technologie et d'en définir un cadre juridique. Il ne faut pas oublier que sans un statut légal et un cadre réglementaire, ce type de transactions ne peut pas se réaliser. Cette technologie est transversale et concerne divers types d'actifs, qu'il s'agisse d'actions, d'obligations ou de biens immobiliers. Comment la tokenisation des actifs peut-elle révolutionner le marché boursier ? La tokenisation, en particulier, et la blockchain, en général, ont le potentiel de transformer la manière avec laquelle on effectue des transactions boursières. Au Maroc, si vous voulez acheter une action X, vous vous présentez chez une société de Bourse qui va faire la transaction. Sauf que l'opération n'est pas instantanée. Elle passe par un dépositaire central, qui est Marcolear, puis atterrit chez BAM qui effectue le dénouement. Tout cela prend en tout trois jours. Ce sont des délais réglementaires et incompressibles. Mais la blockchain permet de résoudre ce problème grâce à son système distribué. Le traitement se fait ainsi en parallèle, et non pas en séquences. En même temps, l'action est achetée, un smart contrat est établi, Maroclear donne son accord et BAM effectue les paiements. Une expérimentation de ce genre en Allemagne a permis de réduire la durée de 3 jours à 4 heures. Quel avenir pour la tokenisation ? Les possibilités sont énormes. N'oublions pas que pour l'instant, nous sommes encore au stade d'expérimentation, donc au niveau 1 du développement de la technologie. Mais si demain elle venait à se concrétiser, on peut imaginer plusieurs innovations. Un token numérique virtuel peut permettre d'effectuer des opérations sur plusieurs plateformes. On peut également innover dans les traitements et les outils financiers qui peuvent venir s'y greffer. Les montages financiers à imaginer sont illimités. Droit de propriété : Fongible, semi-fongible ou non-fongible ? Les biens sont souvent classés en fonction de leur capacité d'interchangeabilité : fongibles, semi-fongibles et non-fongibles. Un bien fongible est celui qui peut être échangé à l'identique sans perdre de valeur. Par exemple, une once d'or ou un billet de 100 dirhams sont considérés comme fongibles car ils maintiennent une valeur constante et peuvent être remplacés par des unités similaires sans distinction. Les biens semi-fongibles, en revanche, possèdent des caractéristiques mixtes. Bien qu'ils appartiennent à une même catégorie générale, chaque unité a des attributs distincts qui peuvent affecter sa valeur. Par exemple, des places de concert pour le même événement mais avec des sièges différents. Les biens non-fongibles sont uniques et ne peuvent être remplacés à l'identique. Chaque unité est distincte. Une peinture originale ou un objet de collection en sont des exemples. Dans le monde numérique, les NFT (tokens non-fongibles) incarnent cette notion, attestant de la singularité d'un actif sur la blockchain. Art numérique : La folie NFT Une révolution dans le monde de l'art ! Le record de 69 millions de dollars atteint, en mars 2021, chez Christie's, par un NFT (Non-FungibleToken) de Beeple, un artiste alors inconnu, a créé un engouement sans précédent chez les spéculateurs. Ce nouvel actif numérique promet des rentabilités astronomiques. Des centaines d'artistes se sont lancés dans l'aventure, soit en créant leurs propres NFT, soit en transformant leurs œuvres en NFT.
Un NFT est un jeton unique, inscrit sur une blockchain, qui certifie qu'une œuvre d'art numérique est originale. Chaque NFT contient des métadonnées détaillées sur l'œuvre, comme l'artiste, la date de création, et toute autre information pertinente. Cette singularité et cette traçabilité rendent chaque NFT distinct, même si l'œuvre d'art qu'il représente peut être dupliquée numériquement.
Pour les artistes, cela représente une opportunité sans précédent. Avant l'ère des NFT, la duplication d'œuvres numériques posait un problème, rendant leur monétisation difficile. Désormais, les artistes peuvent vendre des œuvres numériques tout en conservant des royalties sur les reventes futures grâce à des "smart contracts" intégrés dans la blockchain.
De plus, cette technologie donne aux artistes un accès direct aux marchés. Les galeries traditionnelles et les intermédiaires peuvent être contournés, offrant aux artistes une plus grande part des bénéfices et une autonomie accrue. Les plateformes dédiées aux NFT, telles qu'OpenSea ou Rarible, fournissent des espaces où les créateurs peuvent lister et vendre leurs œuvres.