Exercée en été sur le littoral par beaucoup d'amateurs, la pêche à la canne est une activité passionnante qui allie plaisir et méditation. Pour certains, elle demeure encore un véritable métier. La main gauche portant une canne à pêche de plusieurs mètres, la main droite manipulant un gros moulinet argenté, Khalil est à l'affût d'une vibration annonciatrice d'un butin à tirer. Casquette, lunettes de soleil, thermos de café et tout un barda de matériel soigneusement agencé, l'équipement du pêcheur montre qu'il s'est bien préparé pour cette matinée face à l'océan, suspendu sur un gros rocher jouxtant une falaise côtière de Skhirat. « C'est plutôt calme ce matin. Il est sûr qu'avoir une bonne touche est tout l'intérêt de cet exercice, mais là déjà, avec ce paysage, cette brise marine et ces bruits de l'océan, je suis déjà pleinement satisfait », explique notre interlocuteur souriant, coiffeur de son état. À côté, plusieurs pêcheurs à la canne sont installés à intervalles réguliers. Tous ont l'air concentrés bien que leurs mines semblent plus détendues que stressées. « Chacun sa passion, la mienne c'est la pêche à la canne. J'y vais assez régulièrement tout au long de l'année contrairement à ceux-là qui n'apparaissent que durant l'été », ironise Khalil en donnant un coup de menton pour indiquer les autres pêcheurs.
Entre pro et amateur Plus loin, un autre pêcheur s'est installé dans un endroit qui semble plus difficile d'accès. « Lui, en revanche, c'est un pro. Pêcher à la canne est son métier. Être comme ça face à l'océan, est pour lui une routine de travail en hiver comme en été », explique le coiffeur-pêcheur avec une expression plus sérieuse. À scruter le pêcheur « pro », il est facile de constater que son aspect et son matériel sont moins clinquants que les autres pêcheurs du dimanche. « C'est lui qui sort les plus grosses pièces qu'il revend ensuite. Pour y arriver, il utilise des techniques qui ont fait leurs preuves et, surtout, il passe plus de temps à pêcher en prenant parfois des risques que les amateurs ne se hasardent pas à prendre », précise Khalil. La pêche à la canne est aujourd'hui une activité de divertissement, mais à l'origine, il s'agit bel est bien d'un métier à part entière. « Les personnes qui vivent exclusivement de la pêche à la canne existent encore dans plusieurs villes côtières du Maroc. Leurs nombres ont cependant diminué dans certaines villes où le poisson a quasiment déserté le littoral », explique pour sa part Noureddine El Alaoui, fondateur de Marocpechealacanne.ma.
Les risques du métier À Casablanca, ces pêcheurs continuent même d'avoir un « Amine » de la profession au niveau du marché à la criée de Labhira. « C'est une communauté qui est assez restreinte, mais elle se maintient encore à Casablanca même si l'abondance du poisson a considérablement chuté. Quasiment tous vivent et font vivre leurs familles de cette activité », poursuit M. El Alaoui. Que ces pêcheurs arrivent encore à attraper de belles pièces sans quitter Casablanca, soit, mais qu'en est-il des risques de pollution ? « Il est certain que les rejets polluants font partie des causes qui ont entraîné la baisse des stocks de poissons. Mais les pêcheurs professionnels prennent leur métier avec beaucoup de sérieux. Ils ne pêchent jamais dans les sites où sévit une pollution directe et qui sont par ailleurs désertés par les poissons nobles. Chacun d'entre eux s'équipe d'une boîte en polyester isolant qu'il remplit de glace et qu'il utilise pour entreposer le poisson pêché pour le garder au frais afin de le vendre plus tard dans de bonnes conditions », tient à souligner Noureddine El Alaoui.
Un patrimoine ignoré Les diverses générations de professionnels de la pêche qui se sont succédé depuis l'indépendance du Royaume ont forgé des méthodes propres à elles constituant ainsi un véritable patrimoine immatériel. « Si l'utilisation de la « pelota » nous vient à l'origine du Portugal, les professionnels de la pêche à la canne se sont petit à petit approprié et modifié cette méthode pour l'adapter et l'améliorer. Là où les Portugais utilisent des cannes de 5 mètres adaptées à la pêche dans les falaises, les Marocains pêchent mi-immergés et préfèrent ainsi utiliser des cannes de 6,5 mètres. Au lieu d'utiliser des hameçons triples, nos professionnels utilisent un ou deux hameçons - selon le site choisi - et emploient une pâte dont la composition est aussi différente », détaille Noureddine El Alaoui. Un parcours des chaînes YouTube de « Riass » confirme bel et bien l'existence de techniques typiquement marocaines. Les professionnels de la pêche à la canne demeurent cependant des artisans qui ne sont pas constitués en entités commerciales, tombant ainsi sous le giron de l'informel. « C'est un métier noble et honorable qu'il convient d'organiser, car ses praticiens méritent d'être valorisés », conclut la même source.
3 questions à Noureddine El Alaoui « Les pêcheurs à la canne qui vivent de cette activité aspirent à pouvoir exercer leur métier dans de bonnes conditions et à bénéficier de protection sociale » - Les professionnels de la pêche à la canne ont-ils des revendications ou des aspirations concernant leur métier ? - Il existe plusieurs associations qui regroupent les professionnels de la pêche à la canne au niveau de plusieurs villes et régions littorales du Maroc. Ces associations ne se sont cependant jamais regroupées en fédération professionnelle. Les pêcheurs à la canne qui vivent de cette activité aspirent à pouvoir exercer leur métier dans de bonnes conditions et à bénéficier de protection sociale. Autrement, leur principale préoccupation est la raréfaction des poissons au niveau du littoral. Cela, bien évidemment, est causé par la pêche artisanale qui s'active souvent très près de la côte alors qu'elle n'est pas censée le faire. C'est illégal, car ces sites sont souvent des frayères pour le poisson et la pêche au filet y dissémine les groupes de juvéniles, ce qui empêche la reconstitution des stocks. - Pensez-vous que la lutte contre ce genre de pratiques puisse permettre au poisson de revenir aux zones littorales ? - Je pense que c'est, en effet, possible. En témoigne par exemple l'expérience qui avait été menée plus au Sud au niveau de la bande côtière située entre Aglou et Lagzira. Durant plusieurs années, les autorités locales ont fait beaucoup d'efforts pour contrôler et éviter que la pêche artisanale ne s'approche beaucoup trop du littoral. Depuis, le poisson est de retour ! - De quelle manière est-il possible d'aider les professionnels de la pêche à la canne afin de générer plus de revenus ? - Je pense qu'il y a moyen de les soutenir grâce au développement de produits touristiques dans lesquels ils peuvent jouer un rôle de formateurs, d'animateurs et d'accompagnateurs de touristes qui veulent pêcher à la canne en utilisant les méthodes marocaines. Cela pourrait se faire avec des petites embarcations, à l'image des activités qu'on peut parfois voir dans les réseaux sociaux. Plusieurs personnes au Maroc offrent des prestations de ce genre, mais il ne s'agit pas de professionnels de la pêche à la canne et ces activités restent encore informelles. Sélection : Les meilleurs spots de pêche à la canne du Royaume En plus des divers spots de pêche continentale qui existent au Maroc, les deux façades maritimes du Royaume offrent, tout au long des 3500 km de côtes du territoire national, des centaines de sites poissonneux qui font le bonheur de milliers d'adeptes de pêche. Notre infographie illustre un top15 des meilleurs endroits pour taquiner les diverses espèces présentes à travers le littoral marocain. Ce best-of proposé par Noureddine El Alaoui, pêcheur professionnel qui a sillonné les côtes marocaines à travers les années, est une sélection non-limitative. Ces sites n'en demeurent pas moins des spots privilégiés par les amateurs de patience et d'adrénaline. Chaque endroit a ses spécificités et son cortège d'espèces dont les tailles peuvent parfois s'avérer impressionnantes. Si les spots localisés sur la côte atlantique Nord sont moins riches que jadis à cause de la surpêche et de la pollution, ceux qui se situent au Sud d'Essaouira ont la réputation de garder intactes les chances de « touches » mémorables. L'info...Graphie Ecologie : Raréfaction des espèces littorales utilisées comme appâts La pêche à la canne est une activité qui permet aux personnes qui l'exercent dans un cadre professionnel de vivre en vendant le poisson qu'ils attrapent, comme elle permet également de faire vivre un microcosme de commerces spécialisés dans la vente de matériel (cannes, moulinets, flotteurs, hameçons...). Il existe par ailleurs des petites communautés qui vivent du prélèvement et de la vente des appâts vivants (vers marins, couteau de mer, bivalves...). « Ce sont plus les pêcheurs amateurs qui achètent ce genre d'appâts, souvent vendu dans certaines zones bien connues. À Casablanca, on peut par exemple trouver des vendeurs d'appâts au quartier Roches Noires, à proximité de commerces qui vendent du matériel de pêche », explique Noureddine El Alaoui. Les prix des différents types d'appâts vivants ont cependant augmenté ces dernières années. « Pour certains appâts, le prix a quintuplé durant ces trois dernières années. C'est principalement dû au fait que les espèces qui sont prélevées sur le littoral pour servir d'appâts ne sont plus aussi abondantes qu'auparavant », déplore notre interlocuteur qui explique cette raréfaction par l'exploitation intensive, les mauvaises pratiques de prélèvement et la pollution. « Le plus inquiétant, c'est qu'au-delà de permettre à une petite communauté dédiée de générer des revenus, ces appâts sont, à l'origine, des espèces à part entière qui ont un rôle écologique important dans le maintien de la qualité et de la stabilité du littoral », alerte le fondateur de Marocpechealacanne.ma.