Le versement de la pension de chaque retraité marocain est actuellement assuré grâce aux cotisations de sept actifs employés. C'est le principe de la solidarité entre les générations. Ce système a bien fonctionné jusqu'à présent du fait que la croissance démographique faisait que le nombre de salariés actifs était de loin plus important que le nombre de retraités. Seulement, le Maroc a connu une transition démographique, ce qui veut dire que les taux de natalité et de mortalité ont baissé. L'indice de fécondité des Marocaines sera de 2 enfants par femme en 2014. A titre de comparaison, ce taux a été de 7 enfants par femme au début des années 60 et de 3,1 à la fin des années 90. Les moins de 15 ans se feront de moins en moins nombreux et l'espérance de vie est passée à 69 ans pour les hommes et 76 ans pour les femmes. En d'autres termes, le nombre des actifs va cesser de s'accroître, alors que les retraités vivront plus longtemps. Si c'est une bonne nouvelle pour le Maroc, ça l'est moins pour les caisses de retraites, qui fonctionnent selon le régime de la répartition. Car cette évolution démographique va se traduire par une régression du nombre de cotisants au moment où les retraités toucheront leurs pensions plus longtemps. Et pour couronner le tout, plus il y a de chômage, moins il y a de cotisations versées aux caisses de retraites. L'avenir ne s'annonce donc pas des plus réjouissants. Trois caisses de retraites s'accaparent au Maroc 90% des cotisants. Il s'agit de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale, la CNSS, de la Caisse Marocaine de Retraite, la CMR, et de la Caisse Interprofessionnelle Marocaine de Retraite, la CIMR. La CNSS, qui regroupe les salariés du secteur privé, compte plus de 800 000 cotisants. La CMR, qui compte plus de 700 000 fonctionnaires, dont elle recueille les cotisations ainsi que les contributions de l'Etat et des collectivités locales, en application de l'article 46 de la constitution du Royaume, occupe la 2éme position du classement. La CIMR, qui encaisse les cotisations volontaires de 200 000 salariés du secteur privé pour des retraites complémentaires, a dû adopter un régime mixte, alliant répartition et capitalisation, pour que cette dernière formule puisse atténuer les déficits de la première. Si la situation financière de la CIMR est satisfaisante, du fait d'une meilleure gestion de ses fonds, même si elle n'est pas pour autant à l'abri des difficultés, celle de la CNSS et de la CMR est beaucoup plus inquiétante à terme. Et des deux régimes de retraites, c'est celui des fonctionnaires qui devrait poser problème dans pas très longtemps. Selon les experts de la cour des comptes, c'est dès l'année prochaine que la CMR aurait dû se trouver confrontée à de périlleuses difficultés de trésorerie. Ses réserves auraient également été entièrement consommées à l'horizon 2019. Grâce à la mesure prise en 2004, qui a consisté à augmenter le taux de cotisation de 2% par an jusqu'en 2006, l'échéance des difficultés de trésorerie de la CMR a été reportée de deux ans. En 2012, ce sera immanquablement l'entrée en phase rouge pour la CMR. En 2021, ce sera la faillite. Il n'y a pas que l'évolution démographique pour expliquer cet état de fait. Les départs volontaires à la retraite qui n'ont pas été remplacés ont réduit encore plus le nombre des cotisants. Mais il y a également cette question des cotisations des fonctionnaires de l'Etat collectés par la CMR qui ont été très mal gérés. Outre des dépenses des plus douteuses, parmi lesquelles la construction d'un nouveau siége pour cet organisme, dont la livraison a connu plus de trois ans de retard, certains placements effectués ont été des plus hasardeux. L'acquisition de titres de la BNDE et de Managem a généré des pertes, ce qui fait moins d'argent pour les futurs retraités. Cette question des placements des fonds des caisses des retraites est des plus révélatrices de la manière dont elles étaient perçues par l'Etat marocain pendant longtemps. Selon la législation marocaine, la CNSS et la CMR doivent placer leurs fonds dans des valeurs de l'Etat. Une source de financement bon marché pour l'Etat, mais de biens mauvais placements pour les cotisations des travailleurs. Le seul régime de retraite qui s'en sort assez bien sur le plan de sa situation financière est la CIMR, car justement, elle n'est pas tenue de placer ses fonds en valeurs de l'Etat. Cette obligation de placer les réserves de la CNSS et de la CMR dans des valeurs de l'Etat pose donc un problème de rentabilité, ce qui se traduit par un impact négatif sur leur marge de reconstitution. La CNSS est la plus mal placée à ce sujet. En application d'un décret datant de 1974, cette caisse de retraite pour les salariés du secteur privé est tenue de placer tous ses fonds auprès de la Caisse de Dépôt et de Gestion, la CDG. Suite à un accord conclu entre la CNSS et la CDG en 2003, quand il est devenu évident que ce mode de placement lésait énormément les cotisants, la rémunération des fonds placés a été indexée sur celle des bons du trésor de 10 à 15 ans. Ce qui ne fait pas plus que 4%. Risible ! La CMR est juste un peu mieux placée. Selon un arrêté du ministère des finances, 75% des réserves de ce régime de retraite, estimées à plus de 40 milliards de dirhams, doivent être placées en bons du trésor et en émissions garanties par l'Etat. Ce qui lui laisse une faible marge de manœuvre de l'ordre de 25%. 15% peuvent servir à l'acquisition de titres négociables sur un marché réglementé comme les OPCVM, dans la catégorie des actions. A ce sujet, il est à noter que la CMR a été autorisée par une circulaire de l'Office des changes à effectuer des placements à l'étranger à concurrence de 5% de la part réservée aux actions, après aval du ministre des finances. D'autre part, 7% des réserves de la CMR peuvent être placés dans les bons des sociétés de financement, les certificats de dépôts, les obligations privées cotées en bourse, et les OPCVM, dans la catégorie des obligations. Seuls les 3% restants peuvent être placés par les gestionnaires financiers de la CMR sur le marché de l'immobilier, encore une fois à condition de recevoir l'approbation du département des finances. Si les actions acquises par la CMR ont rapporté 20%, les placements en bons du trésor ont à peine engrangé 3,5%. Conséquence, le rendement de ses placements a été de 6,5 % en moyenne au cours de la période 2001-2006. Alors que la CIMR encaisse un rendement de 15% pour ses fonds placés au mieux sur le marché. L'argument selon lequel les placements en bons du trésor sont plus sûrs que ceux des titres négociables sur le marché est des plus fallacieux. Si les placements en bourse comportent une certaine part de risques, c'est surtout à court terme. Le rendement moyen du marché boursier au cours des dix dernières années a été de quelques 13%, malgré la volatilité des cours. Tous les traders de la bourse de Casablanca vous le diront, le risque n'existe que pour les placements spéculatifs à court terme. L'acquisition d'actions cotées sur la place financière de Casablanca s'apparente à un placement de bon père de famille à partir du moment où c'est le profit à long terme qui est escompté. Dans une quarantaine d'années, le Maroc devra connaître un vieillissement de la population. Et les régimes de retraites risquent de ne plus pouvoir remplir leurs obligations envers leurs cotisants dans beaucoup moins de temps. Ce sont là des faits indéniables. Pour parer à cette situation, les experts du domaine commencent par dénoncer les prestations jugées trop généreuses des caisses de retraites. Que ce soit à propos du salaire de référence, calculé sur la base de la moyenne des trois derniers salaires ou du dernier salaire, de l'anticipation des pensions sans application des coefficients d'abattement, de la revalorisation des pensions qui se fait sur le salaire moyen des affiliés, ou des majorations familiales qui augmentent les charges des caisses de retraites, les régimes de retraites marocains se sont engagés envers leurs affiliés au-delà de ce qu'ils peuvent réellement leur offrir. La solution du régime mixte, répartition/capitalisation, tel que déjà appliquée par la CIMR, est présentée comme une panacée. La capitalisation, c'est le chacun pour soi, les pensions à obtenir découlant des cotisations de chacun à son régime de retraite. Contrairement à la répartition, qui est un régime de solidarité entre les générations, les salariés actifs d'aujourd'hui versent les pensions des retraités en sachant qu'ils vont aussi bénéficier du même systéme en devenant eux-mêmes par la suite aussi des retraités. Au vu des perspectives démographiques du Maroc, il est évident que le régime de répartition ne peut plus être viable et une certaine dose de capitalisation à introduire dans le systéme serait effectivement des plus indiquées. Mais serait-ce suffisant? Pas aussi sûr. En fait, aux dires de plusieurs experts, ce serait insuffisant pour parer aux conséquences de l'évolution démographique. L'avenir des régimes de retraite dépend aussi et surtout de la bonne tenue de l'économie nationale dans l'avenir et de la modification des modes de placement des réserves. Il faudrait une croissance économique soutenue et un élargissement des possibilités légales de placement pour rentabiliser les fonds des caisses de retraites. Et l'Etat marocain devra se trouver d'autres sources de financement bon marché. Ce qui est d'ores et déjà certain, c'est que les travailleurs devront, soit cotiser plus, soit plus longtemps pour des pensions moindre que promis jusqu'à présent. Quel choix l'emportera ?