"Gen J – Génération Innovation Made in Morocco" est le titre d'un ouvrage qui a été présenté, samedi à Rabat, dans le cadre de la 28ème édition du Salon international de l'édition et du livre (SIEL-2023). Publié aux éditions « Sochepress » par le spécialiste en capital innovation Tarik Haddi, le livre décrypte le positionnement du Maroc dans les mouvements de fond de l'époque numérique et propose des solutions pour cette nouvelle génération. Interview. - Parlez-nous un peu du concept de votre livre qui investit un domaine d'une actualité brûlante et du positionnement du Maroc dans les mouvements de fond de l'époque numérique. L'ambition est de construire, pour la génération à venir, un véritable projet de société qui se fonde sur la transition vers l'économie de l'innovation, et qui puisse passionner et mobiliser notre jeunesse et nos talents, qui n'aspirent malheureusement aujourd'hui qu'à quitter massivement le pays pour se chercher un avenir ailleurs. L'approche est de développer des principes pour inspirer une démarche entrepreneuriale qui peut devenir innovante, puis décomplexer et acculturer notre approche, s'adosser sur notre agilité naturelle, et surtout s'entourer de gens qui revendiquent un besoin de responsabilité et de mission. Il faudra également agir sur le contexte, puisque le triangle « marché –pouvoirs publics - société civile » est incontournable au bon fonctionnement d'une économie d'innovation. Pour ce qui est du «Gen J», il s'agit de la « génération J », la génération innovation made in Morocco. Le J a plusieurs origines. D'abord, il y a une référence à la « Joutia » marocaine, le mot Joutia vient de « jeter » : les Marocains récupéraient les objets abandonnés par les colons, les « customisaient », les adaptant à leurs besoins, et leur esthétique, pour les revendre ensuite dans la Joutia, le marché du recyclé. C'est aujourd'hui la base même de l'économie circulaire. C'est donc l'origine de tout un mouvement d'innovations à faible coût, totalement frugales, et qui se fondent sur les ressources locales. - Cette génération post-moderne est confrontée à une révolution numérique inédite avec l'apparition de l'Antelligence Artificielle qui n'épargne aucun domaine, faut-il s'en réjouir ou s'en inquiéter ? Nous rentrons de plain-pied dans la post-modernité et vivons effectivement des changements majeurs. Il s'agit d'une évolution d'ordre anthropologique, au sens où ce sont les rapports à soi, aux autres et au temps, qui sont questionnés. En investissant les médias et les réseaux sociaux, l'Intelligence Artificielle modifie jusqu'à notre perception de la réalité, au point où l'on ne peut même plus discerner le vrai du faux. Ce ne sont pas les seuls processus de production industrielle qui sont automatisés, mais les processus intellectuels eux-mêmes grâce à l'IA. Si, avec les smartphones, les ordinateurs, puis Google et les moteurs de recherche, nous avions remplacé la mémoire RAM des humains, (la mémoire de stockage des données), avec l'Intelligence Artificielle, on risque de remplacer la mémoire ROM des humains, et donc leur capacité à traiter les données et donc à réfléchir. Nous sommes, certes, encore loin de ce qu'on appelle une IA forte (l'équivalent d'une conscience artificielle), mais si l'Intelligence silicone (l'IA) remplace définitivement l'intelligence carbone (humaine), on risque d'être dans autre chose qu'une simple révolution industrielle où, à chaque fois, les effets productivité et d'échelles l'emporteront sur les effets substitution et concurrence (éviction)... Mais la bonne nouvelle, c'est qu'il s'agit d'une opportunité pour nous, Africains, et particulièrement nous Marocains, qui avons des prédispositions pour ce nouvel équilibre. Je suis donc convaincu que nous sommes capables d'instrumentaliser l'IA (comme avant elle les calculettes, les ordinateurs, les smartphones et autres logiciels), d'en faire un outil et non pas un concurrent ... vous n'avez qu'à voir avec quelle agilité nos jeunes ont domestiqué CHAT GBT. - Le concept d'économie d'innovation a été au cœur de la problématique que vous analysez, parlez nous-en ? Durant la première décennie de ce millénaire, notre pays a connu une croissance solide (+ de 5 % annuelle), puis celle-ci a ralenti, pour se stabiliser autour de 3 % en moyenne durant la deuxième décennie, et il semble que c'est un palier difficile à franchir. Il est donc insuffisant pour réaliser les objectifs de notre Nouveau Modèle de Développement. Ce qu'il faut retenir, c'est que plus un pays se rapproche de la frontière technologique, et plus l'innovation devient le moteur de la croissance.Toutes les études démontrent une corrélation positive entre innovation (mesurée par le nombre de brevets déposés par le pays) et croissance du PIB par habitant (c-à-d la productivité). Plus important encore, il est clairement démontré que c'est l'innovation cumulative qui est la source première de croissance : l'innovation permet l'amélioration globale du savoir (externalités technologiques positives) et surtout le fait que les innovateurs pourront s'appuyer sur d'autres innovations pour innover eux-mêmes. Ceci crée un phénomène cumulatif de l'innovation dont les effets multiplicateurs sont puissants sur la croissance économique. L'innovation réduit aussi les inégalités, en générant de la mobilité sociale, puisqu'elle permet à de nouveaux talents d'entrer sur le marché du fait de leurs innovations. Elle va aussi permettre de réduire nos émissions de CO2 grâce aux ENR, à l'hydrogène vert, à la fusion nucléaire demain, mais également de capter le CO2 (une expérience pilote est menée dans nos Provinces du Sud pour développer une technologie à base d'algues avec Brillant Planet) et de changer radicalement de mode de production pour utiliser moins de ressources naturelles. - En tant que spécialiste du capital innovation, quelles formes d'action le Maroc doit-il déployer pour s'inscrire dans l'économie d'innovation ? Et dans quelle mesure il a accompli des avancées sur le terrain ? Des avancées très importantes ont été réalisées par notre pays, notamment grâce à des politiques industrielles de plus en plus intégrées, dans des secteurs stratégiques : l'initiative Innov Invest portée par Tamwilcom, des mécanismes d'appui à l'innovation industrielle qui intègrent désormais nos startups industrielles, et surtout la Charte des Investissements et le Fonds Mohammed VI pour l'investissement, fer de lance de la politique de relance économique de notre pays, qui mettent l'innovation au cœur de la politique investissement de l'Etat. - Quelles sont les pistes que vous préconisez afin de préparer les générations montantes au nouveau monde qui se dessine ? Le livre consacre toute la troisième partie à ces pistes. Elles concernent essentiellement l'école, mais aussi l'enseignement supérieur, la recherche fondamentale, et surtout l'apprentissage et la formation durant toute la vie. Aujourd'hui, on parle de « mobication », c'est-à-dire d'une mobilité professionnelle, rendue nécessaire par l'accélération de l'obsolescence des savoirs et des métiers, et basée sur l'éducation durant toute la vie, notamment grâce aux technologies de production et de diffusion de la connaissance et des idées. - De nombreuses propositions sont présentées dans l'ouvrage, pour concrétiser une économie d'innovation au Maroc et en Afrique, quelles perspectives entrevoyez-vous pour les traduire en décisions et résolutions finales ? Je suis très confiant sur les perspectives et, comme vous le savez, tous mes droits d'auteur iront à une fondation Gen J qui aura pour mission d'accompagner et de faciliter la traduction de ces propositions en actions concrètes. Cette fondation va travailler sur la sensibilisation, la vulgarisation et la pédagogie de l'économie d'innovation, avec pour but essentiel de susciter des vocations d'innovation 100% marocaine.