Depuis quelques mois, des voix s'élèvent sur les réseaux sociaux pour s'insurger contre le devenir de la Place Maréchal de Casablanca, à la mémoire du résident général Lyautey. Retour sur les premières années de ce que, pour les nationaux, est le symbole de l'après-colonialisme au Maroc. Il fut un temps où Casablanca se limitait aux confins de ce que nous appelons aujourd'hui Bab Marrakech. Ce fut au tout début du XXème siècle, lorsque les nationaux l'appelaient encore Anfa. Au gré du temps, au lendemain de la construction de son port épique et la venue du Protectorat français, l'on pouvait découvrir une nouvelle ville en plein essor, à la sortie de ses murailles et son portail enclosant avec majesté les ruelles et raidillons de l'actuelle M'dina.
Selon moult récits largement relayés dans l'historiographie, dès que le Maréchal Louis-Hubert Lyautey a posé ses valises à quelques enjambées du Port, il a décidé d'en faire sa ville de cœur et sa bataille engagée à bras le corps. C'est ainsi qu'il se mit à déployer son empreinte de garant et instigateur de l'occidentalisation du Maroc, au travers de sa ville économique, dans l'architecture, l'urbanisme, l'administration et les moindres facettes de la vie citadine.
De ce fait, la Cité antique au sort chaotique aux débuts du siècle dernier, à cause des émeutes sanglantes qui ont marqué le débarquement étranger, s'est vue s'agrandir et s'élargir au gré des décennies qui passent jusqu'à atteindre sa taille actuelle : celle de la plus grande ville du Royaume. Mais avant d'en arriver là, il a fallu que Louis-Hubert Lyautey, LHL pour les intimes, soit le défricheur du « Maroc utile », le Maroc qui se modernise, qui s'occidentalise et se plie aux fantasmes de grandeur du colonisateur.
La Place il y a environ un siècle
Avant sa construction, la Place du Maréchal faisait office d'un immense carrefour à la croisée des chemins entre Bab Marrakech et les banques, l'office de la poste, les bureaux de change et les autres commodités administratives du centre-ville qui commençaient déjà à se voir voler la vedette par quelques quartiers limitrophes, dits « pour bourgeois ».
Symbole de la « Casablanca française », ces bureaux et offices rappelant à quelques détails près le centre-ville parisien, ont tout naturellement porté le nom du Maréchal qui a vu la ville prospérer à tous les niveaux, au cœur même de ce tronçon sud-est qui s'étend de Sidi Belyout à la tour sud et de ce Boulevard qui porte aujourd'hui le nom du défunt Sultan Mohammed V.
De manière plus détaillée, la superficie du Centre-ville, tel qu'imaginée par les architectes du Maréchal, est d'environ 50 hectares, d'une forme plus au moins triangulaire, lovée de part et d'autre de remparts. La Casablanca de Lyautey borde l'océan et les rochers et s'appuie sur des remparts, épais et hauts, allant de 6 à 8 mètres de hauteur, servant à la défense de la cité.
Contactés par nos soins, plusieurs historiens s'accordent à dire qu'à partir de 1916, la tâche était de structurer la construction. C'est le célèbre plan d'urbanisme de Prost. Le développement de la ville débute aux abords de la médina: au sud et à l'ouest pour l'habitat populaire, à l'est et au sud pour les quartiers administratifs, commerciaux et bourgeois. La bourgeoisie et les Européens ont fui la médina surpeuplée, emmenant avec eux leurs commerces et leurs placements. En effet, la population de Casablanca passe de 25.000 habitants en 1907 à 160.000 en 1931. La M'dina ne s'est pas éteinte pour autant, bien au contraire. Beaucoup de nouvelles familles vinrent y habiter. De nombreuses familles emménagent, les habitations sont rehaussées et de nouvelles pièces sont construites dans les logements d'origine. La population se prolétarise à partir du milieu du vingtième siècle. Au cours des années 1950, Ecochard, directeur de l'urbanisme, applique son plan de logements sociaux dans le cadre de sa théorie du « logement pour le plus grand nombre ». Pour assurer le lien entre la ville ancienne et la ville nouvelle, il fait construire le grand boulevard des Forces Armées Royales. De nos jours, la population de la médina a largement diminué du fait de la percée du boulevard d'Anfa, et sa superficie s'est aussi rétrécie. Et force est de constater que la Place du Maréchal ne ressemble plus à ce qu'elle était, depuis sa reconfiguration, au lendemain de l'arrivée du tramway de la ville. Houda BELABD Zoom-arrière : Casablanca d'avant le Maréchal Au début du XIXème siècle Dar El Beida (Casablanca), rebâtie sur le site de l'ancienne Anfa, sous le règne du Sultan Sidi Mohamed Benabdallah, commençait à se positionner en tant que centre économique florissant. Mais ce n'est qu'en 1907, avec l'édification de son port, que ce progrès devient plus palpable car le centre reçoit, très vite une réelle impulsion, jusqu'alors jamais connue au Maroc. Mais le début de cette nouvelle ère a été sanglant. Les émeutes de la population locale, indignée par l'empiètement sur un cimetière par des opérateurs français du chantier portuaire, ont instigué l'intervention militaire de la France et déclenché l'intervention coloniale au Maroc qui a amené à la promulgation du protectorat. Le mouvement migratoire s'accélère ipso facto. Dans la médina casablancaise, devenue, aujourd'hui, l'ancienne médina, toutes les voies et tous les terrains ont été urbanisés pour satisfaire les besoins d'une ville en pleine ouverture au reste du monde. L'extension urbaine se fait à l'extérieur des remparts de Dar El Beida, jusqu'alors empêtrée dans une conjoncture de spéculation dans un premier temps. Elle se fait, plus exactement à partir des portes de ce que nous appelons aujourd'hui Bab Marrakech, plutôt vers le sud mais aussi vers l'ouest pour l'habitat populaire, vers l'est et le sud pour les quartiers administratifs, commerciaux dits pour « bobos » ou « bourgeois ». Aux débuts des années 20 du siècle dernier, 40% des habitants de la Cité blanche étaient des Français et des Européens, majoritairement espagnols et italiens. La valse démographique à mille temps est alors lancée ! Flashback : Aux origines de la Place Maréchal Le Maréchal Louis-Hubert Lyautey a fait appel aux architectes « modernes » et aux « courants nouveaux » pour construire « la Casablanca française ». Ce fut en 1912, le début de la course contre la montre pour l'urbanisation de la ville. La propagande de la Résidence, qui avait pour but de faire du « Maroc utile », le «Maroc français », sur les pas du modèle de l'Algérie française, a fortement influencé le plan d'urbanisme de la ville, cette année-là, où les médias français annonçaient sur leurs colonnes la naissance d'une «nouvelle ville française outre-mer ». Dans cette démarche colonialiste aux airs modernistes, moult architectes français de l'acabit de Marius Boyer, Alexandre Courtois, d'Edmond Brion et Georges Candilis ont réussi, faudrait-il l'avouer, leur challenge de grande envergure : celui de faire de la ville blanche un véritable laboratoire d'architecture à ciel ouvert. De ce fait, le Maréchal Lyautey instaure le service d'architecture et des plans de la ville. L'urbaniste Henri Prost se voit confier la lourde tâche de mettre sur pieds les toutes premières extensions de la ville, aux confins de la «M'dina ». Ce fut entre 1917 et 1922. Pour leur part, les frères Perret préparaient les premières voûtes de béton armé dans l'optique de construire les fameux immeubles du Centre-ville. Dans les allées, impasses, rues et boulevards de Casablanca, des bâtiments commencent, petit à petit, à refléter le confort et la magnificence de la modernité escomptés par Lyautey. Bien évidemment, ces années-là, le style architectural généralisé au Maroc était arabo-islamique. Cependant, dès 1920, des courants architecturaux d'Europe commençaient à déteindre sur le Maroc «nouveau », à fortiori à Casablanca. Mais le style arabo-andalou reste à l'honneur, car il n'est pas facile de balayer d'un revers de main l'architecture arabo-andalouse qui plonge ses racines loin dans le passé des grandes dynasties du Royaume, depuis le IXème siècle. Aussi, convient-il de faire un arrêt historique sur un style qui a révolutionné l'architecture de la ville. Ce fut le style néoclassique qui remonte au XIXe siècle européen. Ce sont ces immeubles du centre-ville représentés par des colonnes, balcons, ornés de décorations florales et de médaillons sculptés. Le centre-ville casablancais était aussi connu pour et par son style néo-mauresque. C'est-à-dire les tout premiers bâtiments bâtis à l'extérieur de la vieille médina, fortement inspirés par des constructions d'Afrique du Nord au XIXe siècle. On retrouve l'hôtel Excelsior, symbolisé par l'utilisation des arcs brisés et des azulejos (zellij).
En bref : Les Casablancais nostalgiques s'insurgent ! Aux dernières nouvelles, un grand nombre de Casablancais s'est indigné du devenir de la grande Place du Maréchal, tant elle est considérée comme un symbole et repère de la Cité blanche du Royaume. Emblème d'une page révolue de l'Histoire du pays, mais marque-page de la n du protectorat, « Sahat El Maréchal » était, depuis il y a un peu moins d'un siècle, le quartier général de l'intelligentsia marocaine de par ses cafés « pour intellos », sa proximité d'un grand palace et des sièges des grandes entreprises du Maroc contemporain. Sur les réseaux sociaux, des photos montrant des marchands ambulants, devenus les maîtres des lieux par les temps qui courent, sont largement diffusées. Aussi, pourrait-on remarquer la forte présence des charrettes à traction animale, de sans-abris, de personnes faisant de la manche leur principal fonds de commerce et d'autres métiers peu avouables. A tout point de vue, la place Maréchal est devenue, à quelques détails près, un grand bazar populaire. Jadis pris d'assaut par les touristes venus de part et d'autre pour n'avoir d'yeux que pour les mille et une merveilles touristiques de la ville, aujourd'hui, les lieux sont occupés par des vendeurs à la sauvette hurlant à tue-tête les prix de leurs produits, achetés au gros quelques quartiers plus loin. Mais puisqu'il s'agit de l'image de Casablanca, considérée la vitrine du Maroc moderne, les élus locaux devraient en toute urgence agir pour en redorer le blason, en commençant par mettre n à l'insalubrité qui sévit dans les lieux depuis plusieurs années. Le Maréchal, maître d'œuvre du Protectorat Ministre français de la Guerre entre 1916 et 1917, académicien et Maréchal de France, Louis-Hubert Lyautey a fait ses preuves en Indochine et à Madagascar, avant de prendre les devants dans l'entreprise coloniale au Maroc où il fut chargé, de 1912 à 1925, des opérations de guerre contre les tribus insurgées, ou ce qui est appelé par euphémisme « pacification ». Véritable maître d'œuvre du système de Protectorat français au Maroc, il l'a bâti en partant de l'idée qu'il avait affaire à un Etat séculaire dont il s'agit de respecter des traditions et les conventions coutumières. Les historiens marocains de l'après-protectorat lui ont esquissé un portrait mi-ange, mi-démon, eu égard à ses innombrables qualités humaines dans la sphère personnelle, telle que sa philanthropie notoire déclinée en actions humanitaires et caritatives, et sa rigueur intransigeante, parfois poussée à son paroxysme, au sein de l'administration du colonialisme.