Dans cet entretien, la PGD de Bright & Partners Ltd 1 s'exprime sur le potentiel du secteur de l'industrie pharmaceutique qui prend de plus en plus de poids dans l'économie nationale. - Depuis 2013, trois contrats-programmes sont mis en place pour l'écosystème industriel pharmaceutique marocain. Ces contrats ont-ils atteint leurs objectifs escomptés ? - Aujourd'hui, l'industrie pharmaceutique a 60 ans d'existence, et elle est considérée comme l'une des plus fortes industries pharmaceutiques en Afrique ; elle représente un pilier de la souveraineté sanitaire et compte plus de 60 grossistes répartiteurs, 12.000 pharmacies et 54 établissements pharmaceutiques industriels (EPI), lesquels fabriquent près de 6.000 spécialités pharmaceutiques couvrant toutes les classes thérapeutiques. L'industrie pharmaceutique représente 5,2% du PIB industriel et 1,5% du PIB national. Dotée d'une forte valeur ajoutée d'environ 5 milliards de dirhams, elle est classée dans la zone Europe par l'OMS en termes de qualité. Le contrat-programme 2013-2021 avait pour objectif deux axes stratégiques. Premièrement, développer l'export à travers : la recherche et développement, le renforcement de la production locale et attirer des producteurs étrangers. Deuxièmement, développer le marché intérieur, à travers : l'amélioration de l'accès des citoyens aux médicaments et aux soins de santé ; la réalisation d'un chiffre d'affaires de 16 milliards MAD ; le développement des génériques pour atteindre une part de marché de 50% et la création de 5.000 emplois. Aujourd'hui, grâce à la généralisation de la couverture sanitaire, on assiste à l'amélioration de l'accessibilité aux médicaments et aux soins de santé. 22 millions de citoyens ont rejoint le régime de l'assurance maladie à fin 2022. La généralisation de la couverture médicale va générer une forte demande, qui va booster la croissance du marché pharmaceutique. Cette croissance,vu le potentiel de ce secteur, a attiré de nouveaux investisseurs, ce qui va permettre la disponibilité de larges gammes de produits pharmaceutiques et renforcer la production locale. Toutefois, en ce qui concerne l'axe stratégique qui vise l'extérieur, à savoir l'export et la recherche clinique, même si on assiste à un développement de l'export et une belle représentation de nos acteurs locaux à l'étranger, un cadre règlementaire adéquat est nécessaire pour accompagner leur développement. - Quelles améliorations apporte le récent contrat, signé en septembre dernier ? - Le contrat-programme 2022-2027 a été signé le 27 septembre dernier à Casablanca par le ministère de l'Industrie et du Commerce, le ministère de la Santé et de la Protection sociale, la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM), les Entreprises du Médicament au Maroc (LEMM), l'Association marocaine du médicament générique (AMMG) et la Fédération marocaine de l'industrie et de l'innovation pharmaceutiques (FMIIP). Ce contrat est établi dans la continuité pour capitaliser sur les acquis en tenant compte du rôle primordial que joue ce secteur dans la souveraineté nationale ; il a pour objectifs : la création d'environ 6.000 emplois industriels directs stables et la contribution à la création d'environ 10.000 emplois indirects ; l'augmentation du chiffre d'affaires direct de près de 15 milliards de dirhams ; l'amélioration de la balance commerciale de près de 10 milliards de dirhams ; la création d'une valeur ajoutée directe additionnelle de près 6 milliards de dirhams. - Celui-ci s'assigne également comme objectif le renforcement de la substitution des importations par la fabrication locale, l'amélioration de l'environnement technique des entreprises, notamment à travers la mise à niveau réglementaire, la création d'un institut dédié aux nouveaux métiers de la pharmacie industrielle ainsi que le financement de projets pharmaceutiques. Qu'en est-il jusqu'ici ? Et quels dysfonctionnements observez-vous ? - La fabrication locale couvre 60% du besoin national en médicaments, la règlementation interdit l'enregistrement et la mise sur le marché d'un médicament de l'importation s'il est fabriqué au Maroc. La grande part des importations vient des matières premières et des intrants, sachant que la fabrication de la matière première se fait principalement en Chine et en Inde. Tous les continents restent dépendants de l'approvisionnement de ces deux pays. En 2019, plus de 40% de l'approvisionnement des principes actifs ont été fournis par la Chine. La pandémie de la COVID et la fermeture des frontières ont provoqué la perturbation de l'approvisionnement dans le monde et a causé la rupture de médicaments essentiels dans plusieurs pays. Elle a alerté ainsi sur le risque de cette dépendance. Pour pallier à cette menace, des mesures sont mises en place pour encourager la réallocation de la fabrication des médicaments. En Europe, par exemple, « The Critical medecines act » a pour objectif de réduire la dépendance pour les médicaments essentiels, et aux US le président Biden a demandé au Congrès d'investir 300 milliards de dollars pour renforcer la chaîne de fabrication de l'approvisionnement des produits essentiels. La fabrication de la matière première nécessite de grands volumes pour bénéficier de l'économie d'échelle et rentabiliser l'investissement, je pense que c'est un projet qui doit être abordé à l'échelle du continent sachant que notre continent ne dispose d'aucune usine. Une réglementation adéquate est une mesure clé pour accompagner le secteur ; une relation de partenariat entre les autorités de tutelle et les acteurs est importante pour répondre aux défis présents et futurs, maintenir le dynamisme de cette industrie et garantir un accès équitable aux médicaments pour la population. Je reste confiante quant à la mise en place de la HARIS et de l'agence des médicaments en ce qu'elles représentent une grande avancée dans ce domaine. -Le marché pharmaceutique national a fait récemment l'objet de critiques de la part de la Cour des Comptes, qui a listé, dans son dernier rapport annuel, de nombreux dysfonctionnements et a signalé que les prix des médicaments sont excessifs, notamment en raison des marges bénéficiaires et de taux de TVA particulièrement élevés. Quel commentaire avez-vous à faire ? -Le prix du médicament est réglementé au Maroc par le décret 2-13- 852 relatif à la fixation des prix, publié le 18 décembre 2013. Le prix d'un nouveau médicament est calculé sur la base du prix le plus bas sur sept pays du benchmark, à savoir l'Arabie Saoudite, la France, l'Espagne, la Belgique, la Turquie, le Portugal et le pays d'origine. Ce prix est revu tous les cinq ans lors de la demande du renouvellement de l'autorisation de mise sur le marché. La TVA varie de 0 à 20% selon les spécialités et les marges importateurs, grossistes et pharmacies sont bien définies. - Quels sont les grands contours d'une future souveraineté pharmaceutique que vous esquissez ? - Nous avons une industrie pharmaceutique forte et bien établie. Elle a montré lors de la COVID son engagement à assurer la disponibilité et l'accessibilité des médicaments, alors que d'autres pays souffraient de ruptures. L'usine de vaccins à Benslimane va sécuriser la disponibilité des vaccins pour le pays, comme il est impossible de produire toutes les matières premières et tous les intrants. A mon sens, le meilleur moyen d'aspirer à une souveraineté nationale sera la maîtrise de la chaîne d'approvisionnement, surtout pour les médicaments essentiels, et ce, à travers un stock de sécurité bien contrôlé, que ce soit pour les produits finis ou pour les intrants. - Par ailleurs, à quel point l'industrie pharmaceutique contribue-t-elle au développement de la recherche dans notre pays ? - L'industrie pharmaceutique a un rôle très important à jouer dans la recherche et développement. Les études cliniques qui sont initiées par l'industrie pharmaceutique sont un levier pour le développement de la recherche du pays. La recherche clinique assure l'accès aux innovations thérapeutiques avant leur mise sur les marchés. Elle permet également aux centres d'investigation d'avoir l'accès à des plateaux techniques de pointe. La recherche clinique participe aussi à la montée en compétence du corps médical en ayant l'opportunité d'utiliser les dernières avancées thérapeutiques, ainsi qu'à l'amélioration de la prise en charge thérapeutique grâce à l'application de nouveaux protocoles. Il y a aussi les « Perceptership programs », des programmes qui permettent aux chercheurs et experts marocains de faire une immersion dans un centre hospitalier reconnu pour une expertise donnée et côtoyer des sommités mondiales dans leurs domaines. L'on mise également sur les partenariats public-privé entre Laboratoires et universités à travers des conventions qui portent sur des travaux de recherches et développement.