“La justice est le dernier recours face à la corruption; si elle est corrompue, tout le travail par la suite sera inefficace” L'Opinion: Comment évaluez-vous le travail de l'Instance depuis sa création, il y a deux ans ? M. A. Aboudrar: l'Instance a été créée en 2007, mais nous n'avons commencé réellement notre travail qu'au début de 2009. Il faut dire que nous avons réuni plusieurs personnes, à la fois de l'administration, du secteur privé, de la société civile… L'expérience nous a montré après plusieurs réunions qu'il existe un engagement, une responsabilité et une contribution effective de tous les membres pour faire avancer la cause de la prévention de la corruption. Les réunions et les travaux ont été fructueux, ce qui a donné une matrice qui matérialise la stratégie et les plans d'actions. Depuis la création de l'Instance, nous avons tenu à clarifier les choses, nous sommes une Instance de prévention de la corruption, c'est-à-dire que nous sommes chargés de mettre en place une stratégie et des plans d'action. Nous sommes également tenus de travailler avec l'administration et le secteur privé pour superviser la mise en œuvre et coordonner. L'Opinion: L'Instance a donc pour rôle la coopération et la coordination entre les différents partenaires, cela veut dire que vous ne disposer pas de la latitude de prononcer des sanctions... M. A. Aboudrar: Nous n'avons pas qu'un rôle consultatif, nous avons un rôle plein en matière de prévention. Certes, nous n'avons pas un rôle direct dans les sanctions. Ce sont les autorités judicaires qui restent chargées de la sanction, mais il y a un lien entre nous et eux. Lorsque nous sommes saisis de plaintes et que nous avons suffisamment d'éléments, nous pouvons saisir la justice pour qu'elle fasse son travail. Nous avons un rôle fort de supervision de la mise en œuvre, de coordination mais aussi d'évaluation du travail fait. L'Opinion: Parallèlement à votre Instance, il existe d'autres institutions qui luttent, elles aussi, contre la corruption, quelle est donc leur valeur ajoutée ? M. A. Aboudrar: Il y a lieu de signaler ici deux points très importants. D'une part, le Maroc avait besoin de la mise en place d'une stratégie. Jusque là nous n'en avions pas. Nous avons ratifié la Convention des Nations-Unies contre la Corruption, et donc nous sommes tenus de mettre en place une stratégie claire. D'autre part, il existait un besoin de coordination entre les différents partenaires; c'est un rôle que les instances existantes ne pouvaient jouer seules. Ceci dit, leurs valeur avoutée est certaine du fait même de leur utilité établie. L'Opinion: Vous avez évoqué un point important concernant le travail de coordination et de coopération avec d'autres partenaires, qu'en est-il de Transparency Maroc ? M. A. Aboudrar: La Première forme de coopération entre les deux Institutions réside dans le fait que des membres de Transparency Maroc sont aussi membres de l'ICPC. Nous nous réunissons régulièrement avec la direction de Transparency pour échanger les points de vue sur un certain nombre de choses et nous avons l'intention, à la fin de l'année, d'organiser une grande manifestation sur les bilans de l'expérience de la Cour spéciale de justice; c'est une manière de contribuer à clarifier le rôle de la justice. L'Opinion: Dans ce sens, à quel point la réforme de la justice peut-elle aider à la lutte contre la corruption ? M. A. Aboudrar: La justice est le dernier recours face à la corruption. Si elle est corrompue, tout le travail par la suite sera inefficace, c'est pour cette raison que nous avons choisi de travailler dans les deux sens, c'est-à-dire immuniser la justice contre la corruption et faire d'elle un instrument efficace contre cette pratique. C'est dur, mais nous avons bon espoir surtout avec le lancement de ce chantier auquel nous comptons contribuer d'une manière notable. L'Opinion: Certes, il est important de revoir le système judicaire, mais est-ce que vous ne pensez pas qu'il faut aussi investir dans l'éducation, la sensibilisation ?… M. A. Aboudrar: Pour que les mentalités changent, il faut que les lois soient appliquées. Il faut procéder à toutes les réformes que nous avons signalées dans notre rapport, en parallèle avec l'éducation, l'information, la sensibilisation et la communication qui sont des outils très importants. Au sein de notre Instance, nous avons un département qui travaille sur ce volet. L'Opinion: Vous avez évoqué vos partenariats avec les instituions nationales, qu'en est-il au niveau international ? M. A. Aboudrar: Nous considérons que la coopération internationale est l'une des clés de la lutte contre la corruption, parce que c'est un phénomène transfrontière et qu'il faut aussi que la lutte se fasse au niveau international. On bénéficie beaucoup des expériences des uns et des autres. Il existe des pays qui ont évolué et qui ont mis en place des instances avec l'aide de la communauté internationale. Quand on détecte les lacunes par rapport aux standards internationaux, on peut combler ces écarts et donc on peut progresser. L'Opinion: S'achemine-t-on vers un changement concrêt de la situation à votre avis ? M. A. Aboudrar: Bien sûr que les choses vont changer. Dès lors que les acteurs s'engagent et il qu'il y a de la volonté politique, il doit y avoir une avancée. Certes, on ne le fera pas en un tour de main ; il faut beaucoup de temps pour évaluer ce genre de choses. Il est évident qu'on ne supprimera pas la corruption définitivement. Notre objectif c'est qu'elle redevienne considérée comme crime, et non pas comme un acte courant et banal.