Le Maroc est un pays aux acquis démocratiques certains qu'il est question de multiplier et de renforcer. Les dérapages médiatiques sont de nature à fragiliser ce processus démocratique évolutif auquel tiennent les Marocains et pour lequel des citoyens engagés ont longtemps milité. Il n'est donc pas question de laisser quelques troubles fêtes venir tout remettre en cause par quête de profit et de prestige personnels. Le souci de préserver ces acquis, qui ne sont pas aussi définitivement irréversibles que l'on aurait tendance à le croire, interdit de se murer dans un silence complice. On ne joue pas avec la liberté d'expression en multipliant les attaques frontales contre la culture politique des citoyens, sans attenter d'une manière ou d'une autre aux dits acquis démocratiques, voire à la stabilité du pays. La liberté d'expression est garantie par l'article 9 de la Constitution du Royaume. L'article 23 de cette même Constitution stipule clairement que: «La personne du Roi est inviolable et sacrée». Cela veut dire que l'on doit à SM le Roi un respect absolu. Ces deux articles ne se contredisent pas. Ils tracent tout simplement une ligne de démarcation entre ce qui est soumis au débat public et ce qui ne l'est pas. C'est ainsi qu'en a décidé le peuple marocain, qui a adopté cette constitution par référendum. La question particulière de la liberté d'expression est devenue l'objet d'un si âpre débat au sein de l'opinion publique marocaine, que l'arbre a fini par cacher la forêt. S'il n'y avait pas de liberté d'expression au Maroc, un tel débat n'aurait jamais eu lieu. Il reste maintenant à en rappeler les règles. Etrangement et alors que des voix s'élèvent au Maroc pour dénoncer certains textes de loi, qualifiés de «copier coller» de législations étrangères, et invoquent les «spécificités» marocaines, d'autres, par contre, affirment l'universalité d'autres lois, telles qu'élaborées dans d'autres pays, et veulent les voir appliquées, sans considération aucune dans ce cas pour les «spécificités» marocaines. Schizophrénie ? Nullement. La démocratie marocaine est entrain de tracer son propre chemin, s'inspirant des principes universellement admis, traduits toutefois dans les faits en fonction du contexte socioculturel national, c'est-à-dire avec quelques différences avec le mode de fonctionnement de la démocratie en Occident. L'esprit demeure cependant le même: la participation des citoyens au processus de prise de décisions concernant les affaires de la nation. Le Maroc est une monarchie constitutionnelle où le Roi règne et gouverne et les Marocains sont unanimement d'accord à ce sujet. Son gouvernement, émanation de tout un processus électoral est sous le contrôle du parlement. Tout le monde assume ses responsabilités telles que définies par la Constitution. Et ça marche, puisque le Maroc progresse. Les grandes orientations stratégiques sont tracées par le Roi qui donne ses directives à son gouvernement pour exécution. Mais il faut bien entendu relativiser cette assertion, dans le sens où c'est tout un processus de conception de ces orientationsqui implique dans sa mise en œuvre tous les acteurs politiques, économiques et sociaux concernés. L'immense avantage du système monarchique, non soumis aux aléas électoraux qui enferment les hommes politiques dans le piège du court terme, ni aux virages idéologiques brusques, c'est sa pérennité, garante de la stabilité, des orientations prises et des grands choix opérés. Il est communément admis que la continuité monarchique a assuré au Maroc une stabilité politique qui a évité au pays des luttes sanguinaires pour le pouvoir, comme en ont connu et connaissent aujourd'hui encore, bien d'autres pays de l'hémisphère sud. C'est un système ancré dans la culture politique marocaine, qui a résisté à nombre de séismes, et ce depuis la dynastie des Idrissides, instaurée il y a douze siècles, et à travers les quatre siècles d'Histoire de la dynastie chérifienne. Plus récemment, ni le protectorat, ni les aventuriers politiques n'ont pu briser ces liens si particuliers entre les Marocains et leurs Sultans, puis Rois. Il n'y a de meilleures preuves de la solidité de ces liens. Autre vérité communément admise, depuis l'accession de SM le Roi Mohammed VI au trône, le Maroc a non seulement progressé sur le plan économique, mais également sur le plan socioculturel et démocratique. En un mot, le Maroc se développe, dans le sens complet du terme. De la «victimisation» de coupables Qu'arrive t-il quand l'espace de liberté d'expression est élargi, après de très longues années de silence de plomb? L'euphorie qui découle de l'exercice de cette liberté incite à demander qu'elle soit encore plus étendue, ce qui est on ne peut plus compréhensible et normal. Mais les plus hautes autorités politiques responsables sont elles tenues de se plier à ces demandes, sans tenir compte de l'état d'avancement de la culture politique de la population? Le bon sens voudrait que l'élargissement de cet espace de liberté évolue parallèlement avec la société. Le faire de manière tardive mettrait le système sociopolitique sous une pression grandissante menaçant explosion. De manière prématurée, ça peut donner lieu à des dérapages, dont l'accumulation débouche sur un désordre sociopolitique qui n'est pas dans l'intérêt de la nation. Et peut aboutir, en fin de compte, à un rétrécissement réactionnel/réactionnaire de cet espace de liberté. Les médias ont-ils un impact sur les perceptions et représentations que se font les citoyens/lecteurs de la vie publique? Assurément. Sans pour autant tomber dans des exagérations du genre «quatrième pouvoir» ou «contrepouvoir» -tout le monde sait que ce n'est pas aussi vrai- il est indéniable que les médias façonnent d'une certaine manière la nature des relations entre les citoyens et les responsables politiques. Les médias transmettent des idées au sein de l'opinion publique, dont ils ne peuvent ignorer la culture politique et les repères socio symboliques qui s'y rattachent. D'où la notion de responsabilité des médias vis-à-vis de leur mission d'information. Si les journalistes ont l'intime conviction que leur mission est d'intérêt public, ils se savent dès lors détenteurs d'une responsabilité qui exige un niveau élevé de conscience professionnelle, citoyenne et patriotique. Qu'en est-il en fait, dans la réalité quotidienne? Au journalisme militant s'est joint au Maroc un journalisme à la limite du libertaire, au sein duquel les médias dits «indépendants», propriétés de groupes privés, se sont frayés une place grandissante. A la bonne heure dira-t-on, il n'y a de véritable rôle démocratique des médias qu'à travers l'expression de la pluralité. Toutefois, la soumission consciente et assumée de ces médias aux règles du marché a imposé ses propres objectifs, donc ses propres règles. Faut-il désormais mesurer l'information à l'aune de sa valeur démocratique ou marchande? C'est face à ce dilemme que les médias indépendants se sont trouvés confrontés. «Vendre» de l'information, dans la conception marchande du terme, faire du chiffre et dégager des profits entraîne immanquablement une soumission aux attentes, pas forcément les plus honorables, de clients/lecteurs. Certains médias n'ont pas pu ou su résister à la tentation. Place au spectaculaire, au sensationnel, à l'émotionnel et à la “peopleisation” du politique. La déontologie, l'éthique, la responsabilité démocratique? Ce n'est malheureusement pas très “vendeur”. Ainsi, la conscience citoyenne de quelques professionnels de la plume prit son chemin en pente vers le mercantile. Ainsi fût ouverte la voie à bien des dérapages. Exercer un pouvoir, aussi relatif soit-il, suppose que l'on a à rendre des comptes quand il y a abus. Quand on a commencé réagir à propos d'affaires relatives à des délits de presse, plus exactement celles se rapportant à des écrits diffamatoires ou attentatoires aux constantes, et sacralités, on a commencé à assister à une «victimisation» des coupables. Les journalistes incriminés pour avoir porté atteinte à la vie privée des gens ou aux valeurs sacrées des Marocains sont ainsi devenus des “stars”, objet de manifestations de solidarité et enchaînant interviews et apparitions sur les plateaux de télévisions étrangères, passant du jour au lendemain de l'anonymat à la notoriété internationale. Il y a de quoi susciter bien des “vocations”. A quoi sert au fait la liberté d'expression, quand on l'utilise dans un dessein d'autodestruction? Sachons raison garder...