Le Maroc a franchi plusieurs étapes pour augmenter le taux de l'alphabétisation et mitiger les disparités territoriales dans ce domaine. Zoom sur l'un des plus grands enjeux de développement humain de notre temps. Célébrée le 8 septembre de chaque année depuis 1967, la Journée internationale de l'alphabétisation a pour objectif de rappeler au public l'importance de cet enjeu en tant que « facteur de dignité et de droits humains ». C'est également une occasion pour faire progresser l'agenda mondial de l'alphabétisation « pour une société plus instruite et durable ». Au Maroc, ce chantier entamé depuis plusieurs décennies a pris un virage important depuis la création en 2016 de l'Agence Nationale de Lutte Contre l'Analphabétisme (ANLCA), laquelle a pour mission d'orienter et de coordonner les activités des différents acteurs dans le domaine de la lutte contre l'analphabétisme à travers une « approche inclusive des programmes d'alphabétisation et leur adaptation continue en fonction des besoins des apprenants ». La première feuille de route 2017-2021, mise en place par l'ANLCA, a permis à cet égard de totaliser quelque 5.481.788 personnes bénéficiaires à travers les divers programmes mis en place. Avancées notables Les résultats positifs issus des efforts déployés au niveau national dans ce domaine peuvent être constatés notamment à travers les chiffres et statistiques du Haut-Commissariat au Plan. Ainsi, le taux global national d'alphabétisation est passé de 52,3% en 2004 à près de 64,1% en 2019. Pour les hommes, le taux d'alphabétisation a atteint 74,6% en 2019 (contre 65,6% en 2004), alors que celui des femmes a atteint 53,9% en 2019 (contre 39,6% en 2004). Dans son rapport intitulé «La femme marocaine en chiffres : 20 ans de progrès», le Haut-Commissariat au Plan avait par ailleurs mis en évidence des avancées non-négligeables en matière d'accès à l'éducation : le taux de scolarisation des filles âgées de 15 à 17 ans en 2020 a atteint 90,5% en milieu urbain (contre 56,3% en 2000) et 39,2% en milieu rural (contre 6,1% en 2020). Pour les garçons de la même tranche d'âge, ces taux ont atteint 85,7% en milieu urbain (contre 70,3% en 2000) et 50,5% en milieu rural (contre 14,7% en 2000). Au Maroc, comme dans le reste du monde, les chantiers d'alphabétisation ont cependant été grandement impactés par la crise sanitaire à partir de 2021. Impact de la pandémie Dans ce sens, l'UNESCO a alerté dans un communiqué publié il y a quelques jours qu'au « lendemain de la pandémie, près de 24 millions d'apprenants (dans le monde, NDLR) pourraient ne jamais retourner à l'éducation formelle, dont 11 millions devraient être des filles et des jeunes femmes ». Un constat qui au niveau national avait été confirmé lors de la 7ème session du Conseil d'administration de l'Agence nationale de lutte contre l'analphabétisme (ANLCA). L'ancien chef du gouvernement qui était présent à cet évènement avait alors concédé que « la conjoncture exceptionnelle a affecté divers aspects de la gestion des programmes d'alphabétisation, comme c'est le cas pour le reste des composantes du système de l'éducation-formation ». Face à cette problématique, l'UNESCO recommande d'enrichir et de transformer les espaces d'apprentissage existants grâce à une approche intégrée afin de « permettre l'apprentissage de l'alphabétisation dans une perspective d'apprentissage tout au long de la vie ». Perspective 2026 La crise sanitaire a cependant représenté une opportunité en termes d'innovation puisque le Maroc, comme d'autres pays à travers le globe, en est ressorti avec de nouveaux outils digitaux d'apprentissage. Entre amélioration de l'accès à la scolarisation, mitigation des disparités entre milieu urbain et milieu rural, optimisation du cadre et moyens d'apprentissage des adultes, les divers projets et activités d'alphabétisation dans notre pays ambitionnent de réduire le taux global d'analphabétisme au niveau national à moins de 10% à l'horizon 2026. « Il y a évidemment beaucoup de défis liés à la réalisation de cet objectif. La réforme de l'école est un chantier prioritaire dans notre pays qui connaît des avancées significatives, mais qui fait face également à beaucoup d'obstacles. L'accès à l'éducation dans le milieu rural reste l'un des plus gros enjeux pour le gouvernement », estime à cet égard Abdelmajid Fassi Fihri, membre de la Chambre des Représentants et membre de la Commission Enseignement, Culture et Communication. Omar ASSIF Repères Célébration mondiale Pour célébrer la Journée internationale de l'alphabétisation, un événement hybride de deux jours sera organisé par l'UNESCO les 8 et 9 septembre 2022, en Côte d'Ivoire. Selon l'organisation, « la célébration mondiale de la Journée internationale de l'alphabétisation se déroule au niveau régional, national et local. Ainsi, les programmes et pratiques d'alphabétisation exceptionnels de cette année seront annoncés lors de la cérémonie de remise des Prix internationaux d'alphabétisation 2022 de l'UNESCO ».
Disparités internationales Le taux d'alphabétisation de la population mondiale n'était que de 12% en 1820. En 1900, il dépassait à peine 20%, et ce n'est qu'à partir des années 1950 qu'il a véritablement commencé à exploser grâce aux progrès réalisés par plusieurs pays et régions au niveau mondial. De nos jours, le taux d'alphabétisation atteint plus de 85%. De fortes inégalités régionales persistent cependant puisque certains pays d'Afrique et d'Asie occidentale accusent toujours un retard important en la matière. L'info...Graphie Habous Les mosquées mises à profit en tant qu'espaces d'alphabétisation
Les espaces d'apprentissage et de lutte contre l'analphabétisme prennent plusieurs formes au Maroc. Aux espaces éducatifs classiques, s'ajoutent les locaux des associations et même les mosquées. Selon le ministère des Habous et des Affaires islamiques, 136.621 personnes ont bénéficié du programme dans le monde rural au cours de l'année scolaire 2021-2022, soit 45,96% du total des inscrits. Lancé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI il y a plus de deux décennies, le programme d'alphabétisation dans les mosquées a profité à près de 4.08.668 de personnes dont 70% sont des femmes. En milieu rural, le nombre de bénéficiaires de ce programme depuis son lancement a atteint 1.737.786. Ces bénéficiaires ont été supervisés par 3709 encadrants dans 3538 mosquées, dont 494 ont été ouvertes dans le cadre du programme « 1000 points de lecture ». A noter que l'enveloppe budgétaire allouée à ce programme au titre de l'année 2022 est d'environ 180 millions de dirhams, dont 81,7 MDH destinés au monde rural.
Formation Un nouvel institut dédié à la formation aux métiers de l'alphabétisation
Nouvelle pierre à l'édifice de la lutte contre l'analphabétisme au Maroc, le projet d'Institut de formation aux métiers de l'alphabétisation (IFMA), initiative portée par l'Agence nationale de lutte contre l'analphabétisme (ANCLA), est mis en oeuvre par le bureau de l'UNESCO pour le Maghreb. Le projet qui bénéficie d'un financement de l'Union Européenne est opéré à travers deux grandes phases, à savoir celle de développement et de mise en place du dispositif et celle d'expérimentation et de capitalisation au niveau des régions de Tanger-Tétouan-Al Hoceima et de Beni Mellal-Khénifra, en vue de la généralisation aux autres régions du Royaume. L'IFMA s'articule autour de quatre corps de métier, à savoir : les alphabétiseurs, les encadrants des alphabétiseurs, les formateurs des alphabétiseurs et des encadrants et, enfin, les managers. Il servira ainsi à professionnaliser ces métiers qui interviennent dans la chaîne de valeurs de la politique d'alphabétisation des adultes. Conçu pour être une plateforme de formation hybride pour le développement des compétences, l'IFMA est par ailleurs destiné à « offrir une réponse pérenne au besoin structurel de qualification et de professionnalisation de tous les métiers de la chaine de valeurs de l'alphabétisation ». « L'IFMA va permettre de mettre en place une solution adaptée et de qualité pour renforcer le parcours et la professionnalisation de tous ceux qui oeuvrent à l'alphabétisation au Maroc », avait commenté à ce sujet Mme Hélène Guiol, responsable du programme Education, au Bureau de l'UNESCO pour le Maghreb.
3 questions à Abdelmajid Fassi Fihri « L'un des facteurs majeurs qui freinent l'avancée de ce chantier est l'abandon scolaire »
Membre de la Chambre des Représentants et membre de la Commission Enseignement, Culture et Communication, Abdelmajid Fassi Fihri répond à nos questions. -Quelles sont, selon vous, les différentes retombées positives qui peuvent être engendrées par l'augmentation du taux d'alphabétisation dans le contexte national ? -Aujourd'hui ce qu'apporte le capital humain à la croissance économique est d'une grande importance. En effet, le développement des connaissances et des compétences doit être une priorité nationale, car l'alphabétisation peut avoir des effets positifs sur beaucoup de secteurs tels que la santé ou l'éducation, et sur les plans personnel, social et économique. Elle a un impact sur le taux de chômage qui est beaucoup plus élevé parmi les personnes peu scolarisées que parmi celles qui ont un baccalauréat ou des études supérieures. Elle permet ainsi d'avoir des revenus supérieurs, un emploi de meilleure qualité et donc moins de précarité financière. Elle permet également d'accéder plus facilement à la formation continue et au perfectionnement de ses capacités. Enfin, sur le plan personnel, l'alphabétisation octroie une meilleure estime et une plus grande confiance en soi. -Le Maroc vise à ramener le taux d'analphabétisme à moins de 10% à l'horizon 2026. Pensez-vous que les efforts entamés nous permettrons d'atteindre cet objectif assigné ? -Il y a une volonté politique claire et assumée de la part du gouvernement d'atteindre cet objectif. Le ministère de l'Education nationale travaille sans relâche pour développer la qualité de l'éducation, améliorer les contenus pédagogiques, mieux sélectionner les instituteurs qui sont en première ligne et qui sont les acteurs réels de ce changement, pour réduire le taux d'analphabétisme qui est un frein au développement économique, social et personnel. -Quels sont, selon vous, les principaux défis qui conditionnent l'avancée de la lutte contre l'analphabétisme au Maroc? -A mon sens l'un des facteurs majeurs qui freinent l'avancée de ce chantier est l'abandon scolaire qui concerne environ 300.000 élèves par an. L'addition de ce chiffre année sur année nous donne une idée de l'ampleur de ce phénomène. Bien entendu, il y a d'autres défis à relever tels que la levée des lourdeurs des procédures administratives, la faible adhésion de certains acteurs concernés, ou encore des rémunérations des instituteurs malheureusement beaucoup trop faibles. Recueillis par O. A.