Les répercussions de la guerre en Ukraine et la sécheresse ont fortement impacté le Maroc qui doit faire face à la hausse de la facture d'importation. Dans une nouvelle étude, le Policy Center for the New South (PCNS) en évalue le coût. Détails. À peine le Maroc a-t-il commencé à se remettre des effets de la récession due au Covid-19 qu'il s'est trouvé face à un défi de plus grande ampleur. La guerre en Ukraine a des conséquences tellement dures sur le marché mondial des matières premières que le Royaume, à l'instar de plusieurs pays, doit désormais gérer le risque de l'insécurité alimentaire après la montée vertigineuse des prix du blé tendre et des céréales. Encore faut-il évaluer d'abord à quel point le conflit entre la Russie et l'Ukraine, l'un des plus grands exportateurs du blé au monde, a affecté notre pays, qui importe une grande partie de ses besoins de l'étranger. Ce sur quoi se sont penchés quatre chercheurs du Policy Center for the New South dans une étude collective intitulée "La guerre russo-ukrainienne et la sécurité alimentaire au Maroc". Il en ressort que les conséquences de cette guerre, qui semble durer encore pour longtemps, sont extrêmement et particulièrement dures pour les pays africains. "Les pays d'Afrique du Nord sont parmi les plus exposés aux effets de l'invasion sur les prix alimentaires, et plus encore aux ruptures d'approvisionnement puisqu'ils importent plus de 25% de leurs céréales d'Ukraine et de Russie", expliquent les auteurs du rapport. Le Maroc n'échappe pas à cette réalité du moment qu'il importe environ la moitié de sa consommation céréalière au cours d'une année. La situation est d'autant plus difficile que la sécheresse a fortement diminué les capacités productives du Maroc en céréales. Il est incontestable que le pays s'attend à une piètre récolte cette année. La campagne céréalière devrait chuter de 70% en 2023, selon les estimations du Département américain de l'Agriculture dans son rapport annuel. Ainsi, la production devrait baisser de 7,25 à 2,25 millions de tonnes. Un chiffre qui contraste clairement avec les hypothèses de la Loi des Finances 2022 qui s'attendaient à 8 millions de tonnes. Cela est dû à la chute palpable des précipitations. Pourtant, les récentes pluies du printemps ont laissé entrevoir une lueur d'espoir au point de penser que la campagne n'est pas totalement perdue. La facture augmente Compte tenu de tout ce qui précède, le Maroc est dans l'obligation d'augmenter ses importations de blé. "Celles-ci devraient être beaucoup plus élevées en 2022", estiment les auteurs du rapport, qui tablent sur un potentiel maintien des prix du blé et des céréales à des niveaux élevés vu la pénurie du maïs, du blé et des céréales suite à la suspension de la production en Ukraine et à l'arrêt des exportations russes. "L'Ukraine, où de nombreux ouvriers agricoles ont pris les armes et dont les ports et les infrastructures de transport sont effectivement bloqués, produit 3% du maïs mondial et 29 % de l'huile de tournesol mondiale. La saison des semis de printemps en Ukraine pour le maïs est menacée, ce qui signifie que les pénuries pourraient se prolonger jusqu'en 2023, même si la guerre se termine bientôt. Les dernières prévisions du marché et du gouvernement concernant le prix du pétrole en 2022 et 2023 font état d'une demande élevée, de faibles stocks et d'une rupture de l'approvisionnement en provenance de Russie", souligne le rapport qui donne une idée claire sur l'impact de la guerre sur l'approvisionnement mondial en céréales. Affaibli par la sécheresse et fortement vulnérable face aux chocs externes, le Maroc est dans l'obligation d'augmenter ses importations de blé à 87 millions quintaux pour satisfaire ses besoins. Cette hausse ne manquera pas d'impacter les finances du pays qui devrait payer une facture additionnelle de 2,9 milliards de dirhams, selon le rapport. En plus de ça, le Royaume est également confronté au défi de diversification de ses fournisseurs sachant qu'il importe près de la moitié de ses besoins de l'Ukraine et de la Russie dont les parts respectives dans les importations marocaines du blé s'élèvent à 32% et 17%. La France exporte au Maroc 33% de ses besoins et les Etats-Unis 14%. Les 4% restants proviennent d'autres pays. Au-delà de la hausse des prix, la crise russo-ukrainienne pourrait entraîner même des ruptures d'approvisionnement. Ce qui a poussé le gouvernement à augmenter le stock national dès le mois de janvier. Par ailleurs, les rédacteurs du rapport jugent le Maroc trop dépendant des importations des produits alimentaires, dont il importe 6,5 millions de dollars et en exporte en moyenne 4,2 millions (chiffres de 2020). Impact sur les finances publiques La hausse de la facture du blé et des produits alimentaires de base s'ajoute à celle des autres matières premières telles que le sucre et le gaz. De quoi menacer clairement le pouvoir d'achat des ménages qui, selon la même source, consacrent 50% de leurs revenus à l'achat de blé tendre et d'autres articles de consommation essentiels. Seule l'intervention gouvernementale peut en atténuer les effets, quitte à déstabiliser les équilibres macroéconomiques. Le gouvernement, rappelons-le, a agi par le biais des dépenses de compensation, dont le total pourrait atteindre plus de 3,7% du PIB en 2022, suite au double effet de la crise ukrainienne et de l'inflation mondiale actuelle. Ce double effet est susceptible de creuser le déficit budgétaire de 2%, selon le PCNS. L'effort de compensation demeure insuffisant pour assurer une sécurité alimentaire durable, d'où l'utilité d'investir plus massivement dans l'industrie agroalimentaire (voir repères). Anass MACHLOUKH L'info...Graphie Repères Blé : le prix du pain à l'abri des fluctuations Pour compenser la multiplication des prix du blé tendre et dur sur le marché international, le gouvernement a tâché de stabiliser les prix sur le marché local au cours des trois derniers mois de 2022, en allouant trois milliards de dirhams à titre de subvention. C'est ce qu'a fait savoir le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, lors de sa dernière conférence de presse hebdomadaire. Selon ce dernier, pour que le prix du pain reste tel qu'il est, il faut que le blé soit acheté par le moulin à 270 dirhams la tonne. En gros, le Royaume importe annuellement 3 à 4 millions de tonnes de blé tendre et environ 900.000 tonnes de blé dur.
Pour un changement de paradigme Selon le rapport, le cas du Maroc montre que sans l'intervention du gouvernement par les mesures de compensation, il aurait été difficile de stabiliser les prix des aliments de base pendant la crise. Pourtant, celles-ci restent insuffisantes aux yeux des rédacteurs de l'étude. "Pour assainir la sécurité alimentaire au Maroc comme dans les autres économies africaines importatrices de denrées alimentaires, des réformes structurelles et des investissements agroalimentaires doivent redevenir prioritaires", recommandent ces derniers.
Sécurité alimentaire : la vision du NMD Le Nouveau Modèle de Développement du Maroc marque un nouveau départ pour mettre le pays sur la bonne voie, précise le rapport, ajoutant que le NMD donne la priorité à l'augmentation de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de valeur agro-industrielle, de la production à la consommation. Dans les plans précédents, la priorité était d'augmenter la production de céréales et d'autres produits dits stratégiques et de promouvoir l'agriculture commerciale de préférence à l'agriculture familiale. "Cette stratégie s'est avérée décevante", juge le document qui appelle à favoriser l'agriculture familiale «qui doit être davantage intégrée à une plate-forme logistique alimentaire efficace... et aux chaînes de valeur agro-industrielles en aval».