Les interventions aériennes et terrestres d'ensemencement des nuages sont actuellement en cours dans diverses régions du pays. Zoom sur des avions qui font la pluie et le beau temps. Vous avez certainement entendu parler des avions Canadairs que notre pays utilise pour éteindre les incendies de forêt, mais connaissez-vous ceux qui sont déployés annuellement pour faire pleuvoir ? Le Royaume dispose en effet d'un programme d'ensemencement des nuages lancé en 1984 avec la collaboration de chercheurs américains et de l'Agence des Etats-Unis pour le Développement International (USAID). Ce projet de « modification artificielle du temps » a vu ses premiers jours dans un contexte national marqué par une vague de sécheresse particulièrement intense. Trente-huit ans plus tard, alors que sévit une année également marquée par la baisse de la pluviométrie, le programme Al-Ghait se retrouve entre les mains de compétences 100% marocaines et fait preuve de résultats plutôt encourageants. Sa mise en oeuvre est pilotée par un haut comité directeur national composé d'un Coordonnateur, de la Gendarmerie Royale, de la Direction Générale de la Météorologie et des Forces Royal Air. Un programme annuel « Depuis 1984, le programme Al-Ghait se décline sous forme d'opérations d'insémination des nuages à travers un vecteur terrestre (des générateurs au sol) et un vecteur aérien (avions King Air 2000 et Alpha Jet », nous explique la Direction Générale de la Météorologie, précisant que les campagnes ont lieu du 1er novembre au 30 avril. Les opérations qui sont en cours actuellement consistent « à inséminer les nuages - qui présentent des conditions favorables - par des produits chimiques comme l'Iodure d'argent pour les nuages froids (-5°C) ou le sel de chlorure de sodium pour les nuages chauds », détaille la même source. Pour garantir des résultats probants, les parties prenantes qui contribuent au programme doivent faire preuve d'une parfaite synchronisation. La section Al-Ghait affiliée à la DGM se charge de suivre l'évolution du climat et développe ses prévisions de précipitation à long et court termes afin de déterminer les fenêtres potentielles d'insémination. S'en suit alors le déploiement des avions qui repèrent les nuages (cumulus) « intéressants ». Au coeur des nuages Durant ces missions de haut vol, les avions doivent pénétrer les nuages identifiés tout en évitant les formations orageuses. Au coeur du cumulus, les pilotes lâchent des cartouches (d'iodure d'argent ou de chlorure de sodium) dont le nombre dépend de la taille du nuage. Les molécules des produits utilisés servent ensuite de catalyseurs pour la formation des gouttes de pluie : l'humidité se condense autour de ces noyaux artificiels, ce qui accélère le processus de grossissement des cristaux ou des gouttelettes et augmente le potentiel pluviométrique du nuage. Ce coup de pouce aérien n'est toutefois efficace que lorsque les nuages sont déjà formés et que les conditions d'humidité sont au rendez-vous. Il n'est donc pas question de provoquer des pluies, mais de favoriser les chances de précipitations lorsque certaines conditions préalables sont déjà réunies. Alors que les interventions étaient localisées, il y a quelques années à certaines régions du Royaume, la DGM nous informe que le périmètre d'action a été élargi à l'ensemble du territoire marocain depuis 2005. Quid de l'impact environnemental ? Seul aspect de cette méthode qui peut paraître comme présentant un risque environnemental est l'utilisation de produits chimiques en haute altitude - ou à travers des générateurs basés au sol - afin de favoriser des précipitations qui se retrouvent ensuite à nourrir les terres agricoles et les retenus de barrages. « Durant la phase de confirmation du projet (qui a duré entre 1990 et 1995, NDLR), une évaluation chimique effectuée sur les concentrations de l'iodure d'Argent dans la neige de la zone cible a démontré qu'elles sont faibles et non-nuisibles à l'environnement », rassure la DGM. À noter qu'il existe un consensus scientifique sur l'absence d'impacts environnementaux négatifs dû aux méthodes d'ensemencement des nuages à condition que les pays qui ont développé des programmes de ce genre se conforment aux directives de l'Organisation Mondiale de la Météorologie (OMM) dans ce domaine. Les données de l'OMM affirment par ailleurs qu'une quarantaine de pays à travers le monde mènent régulièrement des activités de « modification artificielle du temps». Souhail AMRABI Repères Transformer la nature des nuages Les nuages « non-précipitants » et les brouillards sont constitués d'une multitude de gouttelettes d'eau microscopiques ou de cristaux de glace qui ne sont pas suffisamment gros pour tomber et atteindre le sol sous forme de précipitations. L'ensemencement des nuages vise justement à rompre cet équilibre en accélérant la croissance de certaines gouttelettes par introduction dans les nuages de particules artificielles comme des poussières (ayant une forte affinité pour l'eau), des matériaux réfrigérants ou des noyaux « glaçogènes ».
Une technique qui a la cote La pluie artificielle par ensemencement des nuages est une technique qui a été élaborée et appliquée pour la première fois en 1946, aux Etats-Unis, afin de lutter contre la sécheresse qui sévissait dans la région de New York à l'époque. Cette technique s'est répandue depuis pour lutter contre le manque d'eau à travers le monde. En 2004, l'Organisation Météorologique Mondiale a recensé plus de 100 projets de « modification artificielle du temps » dans le monde, mis en oeuvre par une quarantaine de pays. L'info...Graphie Histoire Un programme légué par Feu Sa Majesté Hassan II
Initié sous les Hautes Directives de Feu SM Hassan II, le Programme Al-Ghait est passé par plusieurs phases avant de devenir opérationnel. Entre 1984 et 1989 s'est déployée une phase d'étude et de tests qui a permis de choisir les techniques, les zones-cibles et les zones témoins. Cette phase a également été marquée par l'installation des premiers équipements et la réalisation d'une étude d'impact sur l'environnement et sur l'augmentation des précipitations. Entre 1990 et 1995, s'est ensuite déroulée la phase de confirmation qui a permis d'établir les premières évaluations chiffrées du projet. Cette phase a aussi marqué le début de la prise en charge totale du projet par des profils marocains. Depuis 1996, le projet a entamé sa phase opérationnelle en focalisant les interventions aériennes et terrestres sur le périmètre du bassin Oum Errabiâ. Depuis l'année 2005, les activités du programme Al-Ghait se sont étendues à l'ensemble du territoire marocain avec l'installation de nouveaux rideau de générateurs, dans le Moyen Atlas notamment.
Télédétection Les deux satellites marocains qui veillent au grain
La réussite du programme d'ensemencement des nuages dépend étroitement de la fiabilité des données et prévisions météorologiques qui sont utilisées comme base de décision et de planification des interventions. Ces données sont depuis quelques années de plus en plus précises grâce notamment à deux formidables atouts technologiques du Royaume : les satellites d'observation Mohammed VI « A & B » qui gravitent (depuis novembre 2017 et novembre 2018) autour de la Terre, à quelque 700 kilomètres d'altitude. À raison de plusieurs centaines de photos de très haute résolution chaque jour, les deux satellites fournissent une précieuse ressource qui est aussi bien utilisée dans le domaine de l'environnement que pour l'agriculture, l'urbanisme, la surveillance du littoral et des frontières. Les images envoyées quotidiennement par les deux satellites peuvent servir par exemple à prévenir des catastrophes naturelles en permettant l'identification d'anomalies et d'indicateurs météorologiques d'une manière précoce. La cartographie des cultures ou encore l'évaluation des ressources hydriques sont également grandement facilitées par les images de haute résolution. Idem pour le domaine de l'urbanisme dont les intervenants institutionnels peuvent compter sur les données satellitaires pour le suivi urbanistique et la cartographie de l'évolution urbaine. Rappelons que les deux satellites ont été conçus par Thales Alenia Space (conception de la charge) et Airbus (conception de la plateforme satellitaire) pour le compte du Centre royal de télédétection spatiale.
3 question à Youabd Lhoussaine, chef de service à la DGM « Al-Ghait a contribué à la mise en place d'autres programmes au niveau du continent africain »
Chef de Service Partenariat et Communication à la Direction Générale de la Météorologie, M. Youabd Lhoussaine répond à nos questions sur le programme Al-Ghait. - Quel est l'apport concret du programme Al-Ghait en termes de précipitations? - Une évaluation statistique effectuée durant la phase de confirmation du programme Al-Ghait en coopération avec des experts américains a montré que l'utilisation de cette technique donnait lieu à un taux d'augmentation des précipitations de l'ordre de 14 à 17%. - Cette augmentation vaut-elle l'investissement consenti dans le cadre du programme? - Dans le cadre de l'évaluation économique du programme, le rapport Bénéfice/Coût a été calculé selon deux scénarios d'augmentation des précipitations : 5% et 10%. À ces deux scénarios correspondent respectivement les ratios 1.63 et 3.37. Autrement dit, pour chaque Dirham investi dans le Programme correspond un gain de 1.63 dirhams pour le taux de 5% et un gain de 3.37 dirhams pour le taux de 10%. - Le Maroc a-t-il mis en partage son expérience dans ce domaine avec d'autres pays ? - Al-Ghait a contribué à la mise en place d'autres programmes au niveau du continent africain, dans le cadre de la coopération Sud-Sud. C'est le cas pour le programme SAAGA au Burkina Faso de 1998 à 2005 et pour le programme BAWAAN au Sénégal de 1995 à 2010, grâce notamment à des opérations d'ensemencement des nuages réalisées à l'aide de nos moyens nationaux (générateurs au sol et les deux avions King Air et Alpha Jet). Les résultats atteints par ces programmes ont été très satisfaisants. À noter que plusieurs cadres sénégalais ont également bénéficié de plusieurs stages au sein des entités du Programme Al-Ghait. Recueillis par S. A.