À l'occasion de la Saint-Valentin, « Merendina » a modifié son packaging en exploitant des messages d'amour. Sur les nouveaux emballages, des messages d'amour en darija scandalisent la Toile. Pourquoi l'expression des émotions est traduite par une « dégénérescence morale » ? Les Marocains ont-ils honte de dire « je t'aime » ? Explications. « Kanbghik » (je t'aime), « Twahachtek » (tu me manques), « Manqdarch nsak » (je ne peux pas t'oublier), « Rak dima fqalbi » (tu es toujours dans mon coeur) ou encore « Ana wiak wahed » (toi et moi, nous ne faisons qu'un)... Autant de sentiments exprimés sur le nouveau packaging de la génoise chocolatée « Merendina » n'ont pas du tout été au goût de certains Marocains. La cause ? Les inscriptions ont été jugées immorales par certains consommateurs, notamment ceux qui considèrent que fêter l'amour va à l'encontre de leurs préceptes religieux. La campagne a tellement choqué les plus conservateurs que certains épiciers sont allés jusqu'à retirer le produit de leur boutique, tout en appelant au boycott de la marque. En un rien de temps, ce qui au départ amusait la Toile s'est finalement transformé en sujet de débat autour d'une « nécessaire protection des moeurs » pour certains, d'une « hypocrisie ambiante » pour d'autres. Une réaction que d'aucuns qualifient d'aberration, quand d'autres appuient ce soulèvement contre la marque. Selon leurs dires, la marque encourage la dépravation des moeurs, pousse le public à la débauche et sont fermement décidés à faire de cette campagne une atteinte générale à la pudeur. « Cette polémique autour des mots d'amour inscrits sur l'emballage de la génoise dénote d'une persistance de l'ancrage, aussi profond soit-il, des interdits qui entourent la question de l'amour charnel et donc de la sexualité », témoigne Dr Rokia Benbrahim, psychologue. « Notre contexte socio-culturel marocain, et ce malgré des mutations de plus en plus perceptibles et une avancée dans les libertés individuelles notamment chez les jeunes, reste muré dans le tabou de la sexualité et en particulier de la sexualité préconjugale. Même si les avis divergent, signe d'ouverture, cette polémique vient finalement confirmer et rappeler en quelque sorte cette réalité sociétale profondément ancrée dans les mentalités », ajoute la spécialiste. L'introversion collective : source de frustration ? Des Marocains ont des émotions, mais ne savent pas les exprimer. Entre l'oppression des sentiments, véritable synonyme démonique de vulnérabilité, et la culture de la « Hchouma » synonyme d'une pudeur maladive, les battements de coeur de nombre de Marocains sont enfermés dans leur cage thoracique et ne risquent pas de résonner avant bien longtemps. « La répression ou le refoulement des affects peut bien évidemment générer un mal être qui se manifeste sur le plan individuel soit par de la frustration, de la colère ou encore de la honte. Lorsque ces émotions atteignent des niveaux élevés, cela peut entraîner une souffrance, voire même des troubles psychopathologiques divers », explique Dr Rokia Benbrahim. « Sur le plan collectif, l'intériorisation des émotions peut générer quant à elle un appauvrissement de la qualité relationnelle aux autres et/ou des inhibitions dans les relations sociales notamment entre pairs ou au sein du couple », souligne-t-elle. Sauf que la nouvelle génération a soif d'amour, l'exprime haut et fort et ne semble pas trainer les boulets de plusieurs siècles de sentiments enfouis. Exprimer ses émotions : Ça fait du bien ! Pour Dr Rokia Benbrahim, le langage et les mots jouent un rôle très important dans la vie affective et émotionnelle des individus. Ce rôle a bien été mis en exergue par Freud qui fut l'un des premiers à s'en servir pour des fins thérapeutiques. En effet, la thérapie par la parole, telle que la psychanalyse, nous a bien démontré la puissance de l'expression verbale sur le fonctionnement psychique. La parole n'est pas d'ailleurs la seule à avoir un effet bénéfique sur notre santé mentale, l'expression écrite et même la lecture ont des bienfaits certains. Des Marocains n'ont pas appris à exprimer leurs sentiments et par conséquent ils ne peuvent rien transmettre aux enfants. Dans la majorité des familles, on ne donne pas à nos enfants la possibilité d'exprimer leurs sentiments, ni leurs émotions. C'est valable pour l'amour, pour la peur, pour l'anxiété, pour la tristesse, la colère... « Pour les enfants, le fait de verbaliser leurs éprouvés les aident à se développer harmonieusement. En effet, identifier de façon précise son ressenti en mettant des mots sur celui-ci lui permet de mieux se connaître. Parler de ses peurs et de ses angoisses par exemple, va même agir sur le cerveau. Cette opération dite « d'élaboration psychique » aide alors l'enfant à mieux comprendre et à affronter ses difficultés psychologiques », conclut la psychologue. Meryem EL BARHRASSI Pourquoi ne faut-il pas cacher ses émotions ?
D'après les chercheurs en neurosciences, les émotions sont vouées à l'expression, et non au refoulement. Pour les étouffer, notre esprit et notre corps utilisent des techniques très créatives, y compris la constriction musculaire et le fait de retenir notre souffle. Le fait de refouler ses émotions pendant un certain temps peut avoir un effet soupape comme sur une ancienne cocotte-minute. Des symptômes comme l'anxiété et la dépression, de plus en plus courants, peuvent d'ailleurs découler de la façon dont nous gérons ces émotions à ne pas ignorer. Le stress émotionnel, comme celui provoqué par les émotions bloquées, n'est pas seulement lié aux troubles mentaux, mais aussi à des problèmes physiques comme les maladies cardiaques, les troubles intestinaux, les maux de tête, l'insomnie et les troubles auto-immunes.