Dévoilée la semaine dernière, la feuille de route 2024 du nouveau pôle audiovisuel public annonce une restructuration impulsée par une « vision stratégique et intégrée ». Lundi dernier, les Marocains ont appris que le pôle audiovisuel public se préparait à amorcer un nouveau virage. Accueilli sur le plateau du journal télévisé de 20h de la chaîne publique Al Aoula, le ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, Othman El Ferdaous, a présenté les grandes lignes de la restructuration du pôle audiovisuel public à travers un regroupement de la Société Nationale de Radiodiffusion et de Télévision (SNRT), de « 2M » et de « Medi1 TV », dans le cadre de la feuille de route 2024 de la stratégie du développement du secteur de l'audiovisuel public. Le lendemain, le ministre a réitéré l'exercice devant la Commission de l'Enseignement, de la Culture et de la Communication à la Chambre des Représentants en soulignant une « logique qui permet à l'Etat de gérer ses biens selon une vision stratégique et intégrée ». Cette nouvelle restructuration, qui intervient après plusieurs années de conception et de planification, augure des changements majeurs dans l'espace audiovisuel public marocain. Trois étapes de restructuration La restructuration, dont les fruits ne seront certainement pas visibles à court terme, devra se faire en plusieurs phases. Lors de la première étape, le regroupement s'opérera à travers un processus « coup d'accordéon » qui concernera les capitaux de SOREAD-2M et « Medi1 TV ». La deuxième étape portera, pour sa part, sur l'intégration de « Radio Medi1 » et de « Régie 3 » (sa filiale à 100%) au secteur public après « évaluation par des experts indépendants », a expliqué le ministre, ajoutant que la troisième phase s'opérera à travers la création d'un Holding SNRT avec des sociétés professionnelles. S'agissant des cahiers de charges et du contrat-programme, Othman El Ferdaous a relevé que le contrat entre l'Etat et la SNRT s'effectuera « à travers un contrat-programme équilibré incluant un plan de synergie détaillé en parallèle avec la modernisation des cahiers de charges, l'assouplissement des restrictions économiques lorsque cela s'avère possible et l'adaptation aux évolutions technologiques ». Une zone d'accélération économique Dans sa présentation, Othman El Ferdaous a évoqué la création d'une zone d'accélération audiovisuelle dont la réalisation fait actuellement le sujet d'un appel d'offres. Dans l'objectif de favoriser le rapprochement technologique entre l'audiovisuel, le cinéma et les jeux-vidéos, ce projet agira en zone d'accélération économique centrée sur les établissements de formation et de recherche, « en vue de mettre à la disposition des sociétés un environnement attractif et dynamique et des infrastructures et des équipements conformes aux meilleurs standards et un programme d'incitation spécifique afin d'incuber des projets créatifs et d'améliorer la compétitivité de la production nationale à l'exportation ». El Ferdaous s'est également penché sur les préparatifs afin de promouvoir la capacité à l'innovation du partenariat public-privé, après la réalisation d'une étude sur l'état du marché et les tendances de l'investissement : assimilation des besoins et des prévisions des utilisateurs potentiels de la zone. Vers une meilleure fiscalité du secteur Côté législation, le ministre a annoncé « la présentation d'un projet d'amendement du statut juridique et organique du secteur audiovisuel, en plus de l'encouragement des petites et moyennes sociétés à opter pour les publicités audiovisuelles en vue de renforcer le label commercial national, ainsi que l'instauration de la politique de concurrence et des plateformes numériques (2/3 de l'investissement numérique national) et l'adoption d'une fiscalité sectorielle plus équitable et plus efficace ». À noter que le Rapport sur le Nouveau Modèle de Développement estime « nécessaire d'actualiser la politique publique de la communication pour définir le service public des médias, et en rénover la gouvernance et les modes de financement. Ces derniers doivent permettre un cadre de coopération efficace avec le Gouvernement, et une indépendance dans la gestion qui incite à l'innovation et à la qualité, dans le respect des normes de régulation du secteur et des orientations de la politique publique de la communication ». 3 questions à Jean-Claude Fyon, expert des médias « La qualité ne se gagne pas en supprimant la concurrence » Expert ayant accompagné les médias au Maroc depuis plus d'une décennie, Jean-Claude Fyon a répondu à nos questions sur la refonte du pôle audiovisuel public. - Vous applaudissez à la fusion SNRT-2M ? - C'est pertinent. Par contre, la prise de contrôle de Médi1 TV contrarie l'esprit innovant du décret-loi de 2002 sur la fin du monopole de l'Etat et l'ouverture aux télévisions privées. En 2006, Medi1 avait été la seule TV non publique autorisée. Les autres projets avaient été recalés « faute de visibilité sur le marché ». Médi1 incarnait l'ouverture, à côté des 3 modestes projets thématiques reconnus en 2019 : Chada TV, DIMA Kids et DIMA Doc. Aujourd'hui, la création du mammouth public donne un coup d'arrêt dommageable à l'émergence effective d'un marché audiovisuel équilibré. - Les concentrations ne sont-elles pas tendance dans les médias ? - Pas jusqu'au monopole de fait ! Des garde-fous l'empêchent généralement. En France, par exemple, si la fusion TF1-M6 se fait, le groupe devra céder 3 de ses 10 chaînes pour ne pas franchir le seuil de concentration. Au Maroc, les 10 chaînes publiques seront à peu près seules sur le marché national. Les régulateurs de l'audiovisuel et de la concurrence ont de quoi s'autosaisir pour prévenir l'abus de position dominante. - L'opération est notamment défendue au nom de la qualité... - La satisfaction de l'audience est encore essentiellement mesurée aujourd'hui sur des bases quantitatives. La qualité demande l'introduction d'autres critères d'évaluation, comme la diversité des points de vue exprimés, l'innovation, l'indépendance éditoriale et managériale... En revanche, de manière générale, je ne pense pas que des positions très dominantes soient garantes de qualité. La qualité ne se gagne pas en supprimant la concurrence.