La profession de sage-femme connaît bien quelques développements du côté législatif, mais accuse encore certaines défaillances quant à ses conditions de travail. Depuis l'apparition des premières formes de civilisation, la Sage-femme, communément appelée « Kabla » sous nos cieux, a occupé une place privilégiée dans les sociétés humaines. En effet, grâce à son rôle à la fois médical et social, elle est la première protectrice des mères et des enfants. Sans compter qu'elle intervient dans l'un des événements les plus importants d'une famille. Aussi, au lendemain de la journée internationale de la Sage-femme, célébrée le 5 mai depuis plus de 15 ans, il n'est pas trop donné que de rendre hommage à ces femmes qui exercent l'un des métiers les plus nobles au monde et de rappeler leur importance dans l'amélioration de la santé maternelle et néonatale, comme dans la promotion de la santé sexuelle et reproductive auprès des femmes, des couples, des familles et de la communauté. Le rôle que joue ces « donneuses de vie » comporte bien des facettes et est encore trop méconnu du grand public. Car, « en addition à la planification familiale, la sensibilisation de la femme enceinte, la surveillance de la grossesse, la pratique de l'accouchement, la prévention des complications lors de la grossesse et de l'accouchement, et la participation active dans la prise en charge médicale des mères et des nouveaux nés, les domaines d'intervention des sages-femmes englobent tout le paquet de soins de la santé sexuelle et reproductive », nous explique Rachida Fadil, présidente de l'association nationale des sage-femmes au Maroc (voir les 3 questions). La sage femme marocaine :une professionnelle noble au rôle salvateur Les sages-femmes sont au nombre de 4.371 dans le Royaume. Grâce à leur travail, « notre pays a pu relever le défi de réduire la mortalité maternelle et néonatale et réaliser des avancées considérables dans ce domaine », avance Rachida Fadil. Selon la dernière enquête nationale sur la population et la santé familiale, menée entre 2017 et 2018, le taux de mortalité maternelle est réduit de 35%, passant de 112 pour 100.000 naissances vivantes en 2010 à 72.6 décès pour 100.000 naissances vivantes. La même tendance à la baisse a été constatée pour la mortalité néonatale qui est passé de 21,7 à 13,56 pour 1.000 naissances vivantes. Un autre chiffre pour appuyer leur importance est celui des nombres d'accouchements qui s'est établi à près de 2,5 millions d'accouchements de 2010 à 2015, selon une étude menée par la plateforme de données Statista. Si la vocation de « Kabla » est l'une des plus vieilles et reconnues dans notre pays, son visage a bien changé aujourd'hui. Au Maroc, l'exercice de la profession de sage-femme est régi par la loi n° 44-13, adoptée en septembre 2016, dont les décrets d'application n'ont vu le jour qu'en juillet 2020 et dont « les notes ministérielles accusent toujours d'un retard inexplicable », souligne la présidente de l'ANSFM. La loi en question stipule dans son article premier que « la sage-femme est toute personne qui, en fonction du titre ou du diplôme détenu dans les limites des compétences acquises au cours de la formation de base ou la formation continue, exerce les actes nécessaires au diagnostic et à la surveillance de la grossesse, pratique l'accouchement eutocique, prodigue des conseils, dispense les soins et assure la surveillance postnatale de la mère au nouveau-né et au nourrisson ». Ces donneuses de vie assurent également le dépistage des risques et des complications au cours de la grossesse, l'accouchement et le post partum, contribuent aux activités de la santé reproductive et participent aux actions de sensibilisation, d'éducation et de la communication auprès de la femme et de la famille. Des conditions de travail à améliorer En plus du retard accusé dans l'application de cette récente législation qui cadre le travail des sages-femmes, leurs conditions de travail sont aussi à revoir. Pour Mme Fadil, « l'effectif réduit des sages-femmes au Maroc constitue une des plus grandes défaillances qui affectent la bonne tenue de l'exercice du métier ». Un effectif répondant aux exigences de la profession et des pratiques ainsi qu'aux besoins des femmes et des nouveaux nés est donc de mise, afin d'alimenter plusieurs établissements de santé qui ne répondent pas aux normes. A ce titre, notons qu'en 2019, nous affichions une proportion de 4 sages-femmes pour 1000 naissances au Maroc, alors que la norme définie par l'OMS exige 6 sages-femmes pour 1000 naissances. Un manque d'effectif qui induit des conditions de travail inconvenables, surtout dans les régions reculées, où certaines sages-femmes font l'astreinte toutes seules et assurent en parallèle le service 24h/24. D'autant plus qu'il y a un déphasage entre les sages femmes formées et celles recrutées dans les services de santé. D'ailleurs, l'Association Marocaine des Sages-femmes (AMPSF) ne cesse d'appeler les décideurs à revoir la situation de près de 2200 sages-femmes au chômage. Les sages-femmes revendiquent également le droit de recevoir une meilleure formation pour avoir les compétences et les habilités nécessaires à prodiguer des soins de qualité. Il sied toutefois de noter que leur formation a connu un saut qualitatif indéniable, puisque la formation des sages-femmes répond au système LMD.
3 questions à Rachida Fadil « Aujourd'hui, nous souffrons de pénurie de sages-femmes, de manque de moyens... » Nationale des Sages-Femmes au Maroc (ANSFM), nous expose l'état des lieux de la profession de sage-femme au Maroc. - Depuis l'approbation des décrets d'application de la loi 44.13 en janvier 2020, y a-t-il eu un changement concret dans la profession ? - Pas encore, puisque nous attendons toujours que le ministère de la Santé élabore ses notes pour appliquer la loi. Ces notes devront, entre autres, contenir les tâches des sages-femmes et les limites de leur travail, sans quoi la loi ne peut être appliquée. Pour notre part, nous avons travaillé sur une proposition de ces textes et nous avons eu une réunion avec la Direction de la réglementation du ministère de tutelle en février 2020, lors de laquelle il y a eu un consensus sur tous les points, concernant ces notes et notamment l'Ordre des médecins. Cependant, le travail traîne toujours au ministère. Malheureusement, ce retard n'arrange pas la situation de la santé reproductive au Maroc. Notez que la sage-femme peut effectuer 90% des actes et des soins de la santé sexuelle et reproductive. D'autant plus que nous voulons être des leaders en la matière dans la Région et nous avons tout le potentiel pour l'être. - Est-ce que l'apport de la formation LMD qui a été instituée en 2013 commence à donner ses fruits ? - Il y a toujours des sages-femmes qui avaient des doctorats dans des domaines proches de la profession, notamment en biologie. Cette année, nous avons eu les premières docteurs sages-femmes au Maroc, diplômées de l'institut des sciences de la santé de Settat, affiliée à l'Université Hassan 1er. Pour ce qui est de la formation des sages-femmes, j'aimerai aussi mettre l'accent sur un point très problématique. Aujourd'hui, nous sommes dans la nécessité d'arrêter la formation des sages-femmes pour absorber les 2200 sages-femmes, formées par l'Etat, et qui sont toujours au chômage. Mais ce n'est pas une solution, et notre pays a besoin de sages-femmes. D'ailleurs, le thème de la journée internationale des sages-femmes de cette année est « Investissez dans les sages-femmes ». C'est une profession indispensable qui évite 4.300.000 décès en maternité et en natalité. - Comment sont les conditions de travail des sages-femmes ? - Elles sont loin d'être favorables et nous plaidoyons pour leur amélioration. La sage-femme se sent en insécurité dans son travail, du fait que les conditions ne permettent pas forcément un accouchement sécurisé. Ca devient très stressant, puisqu'on est responsables de deux vies pendant l'accouchement. D'ailleurs, plusieurs sages-femmes se retrouvent en dépression, car elles font un métier où elles sentent que ni elles ni leurs parturientes ne sont en sécurité. Aujourd'hui, nous souffrons de pénurie de sages-femmes, de manque de moyens, le problème de transport quand il y a besoin de transférer une femme d'une unité à un centre hospitalier ... et la liste n'est pas exhaustive