«L'agroécologie est une source d'amélioration des revenus des agriculteurs et de la santé des individus», Yousra Abourabi, professeure et chercheuse à l'UIR. - L'agroécologie, le « beldi », l'agriculture biologique, l'agriculture biodynamique... Quelles nuances ? - L'agroécologie est souvent confondue avec les produits dits « beldi ». En réalité, si l'agroécologie repose en partie sur des modes d'agriculture traditionnels, elle est aussi fondée sur un savoir-faire scientifique moderne, permettant d'atteindre différents objectifs. Le premier objectif est la dimension naturelle des cultures, sans produits de synthèse (pesticides, engrais chimiques...). D'ailleurs, c'est le principal point commun entre « l'agroécologie » et « l'agriculture biologique ». Le deuxième objectif concerne la diversité des cultures, c'est le principal point commun entre l'agroécologie et la « permaculture ». A l'inverse, on peut pratiquer l'agriculture biologique selon un modèle de monoculture, en plantant un seul produit sur plusieurs hectares. Dans un espace agroécologique, divers produits peuvent être semés, participant ainsi à l'écosystème global. L'agroécologie se veut également « régénératrice », c'est-à-dire participer à renforcer naturellement la qualité des sols et restaurer leur fertilité, améliorant ainsi la résilience et la productivité des plantes à plus long terme. Il s'agit donc d'un type d'agriculture qui peut englober toutes les autres pratiques durables connues ! - L'agroécologie est contre l'agro-industrie. Est-ce un cliché ? - Il s'agit d'un grand débat. L'agroindustrie est le modèle qui domine notre économie. Celle-ci a des avantages (la grande productivité à court terme et la capacité de participer à la sécurité alimentaire) et des inconvénients (l'usage nocif des sols et de l'eau, la dégradation progressive de l'environnement et parfois aussi celle de la santé). L'agroécologie est souvent critiquée pour sa dimension marginale, et par conséquent sa faible participation à la sécurité alimentaire. On évoque souvent la question des rendements pour comparer les deux modèles. Cependant, il convient de souligner que la qualité des produits agro-écologiques est souvent meilleure, et que si l'agroécologie est marginale, c'est aussi parce qu'elle est faiblement subventionnée et encouragée. Enfin, le rapport au travail et les rapports sociaux sont mieux valorisés dans les exploitations agro-écologistes. De nombreux agro-écologistes critiquent l'agro-industrie pour sa dimension agressive sur les plans socio-économique et environnemental. Cette critique ne signifie pas que les deux modèles ne peuvent cohabiter, mais elle suppose que l'agroécologie soit aussi reconnue et soutenue par des politiques publiques dédiées, de la même façon que l'agro-industrie a été, et continue de faire, l'objet d'incitations. - Quels sont les bénéfices immatériels de l'agroécologie ? - En plus des gains matériels, les agro-écologistes acquièrent aussi des gains immatériels. Premièrement : le savoir et les connaissances acquises par l'échange constant d'informations, à travers les réseaux de professionnalisation qui se créent, dont le Réseau des Initiatives Agroécologiques au Maroc. Deuxièmement : pratiquer l'agroécologie, c'est aussi rendre service à l'environnement, ce qui est un gain à la fois immatériel et matériel. Troisièmement : du fait du rapport au travail, qui n'est pas le même, de nombreux ouvriers agricoles convertis à l'agroécologie renforcent leur estime de soi. C'est la raison pour laquelle on trouve de nombreuses femmes propriétaires ou dirigeantes de projets agroécologistes. - De nombreux Marocains se tournent désormais vers l'agroécologie, représentée comme une façon de protéger la santé des individus. Quelle importance revêt cette approche ? - Effectivement. Au départ, les consommateurs de produits agroécologiques au Maroc étaient majoritairement des résidents étrangers. Aujourd'hui, la part des Marocains est plus importante. Cette nouvelle vague de consommateurs fait le choix conscient d'une augmentation du budget alloué à la nourriture saine et de l'adaptation de leurs repas aux produits de saison, pour des raisons environnementales, mais surtout sanitaires. - L'agroécologie est faite pour des petites exploitations ou des coopératives, de façon à lutter contre la pauvreté au niveau local. Comment peut-on la valoriser ? - Vous avez raison de dire que l'agroécologie permet de lutter contre la pauvreté au niveau local : elle repose sur un système socio-économique plus inclusif et plus équitable. Pour la valoriser, il faut agir au niveau du consommateur et de l'Etat. Un consommateur possède deux pouvoirs : celui de voter ou de participer à la décision politique, et celui de consommer. Plus les citoyens seront sensibilisés à leur rôle en tant que consommateurs, en faveur d'une agriculture durable, plus ce type de modèle sera démocratisé. Le deuxième niveau est étatique. L'agroécologie nécessite un encadrement, une reconnaissance et des aides spécifiques. Depuis 2013, il existe un cadre juridique relatif à la production biologique. L'agriculture biologique marocaine est certifiée depuis 2018. Cependant, il n'est pas aisé d'obtenir cette certification. Il faut répondre à un cahier des charges spécifique et investir dans sa transition. De plus, comme je l'ai souligné tout à l'heure, l'agriculture biologique ne prend pas en compte toutes les dimensions environnementales et socioéconomiques promues par l'agroécologie. Cette dernière fait donc l'objet d'un label participatif par le RIAM, qui n'est pas étatique mais associatif, et qui permet aux producteurs de diffuser leurs paniers auprès des consommateurs. Je suis moi-même consommatrice de paniers agroécologiques et j'en suis très satisfaite ! - Quelles recommandations faitesvous aux décideurs pour valoriser cette approche écologique ? - La première, et la plus importante, est de reconnaître l'agroécologie au niveau étatique comme un modèle pertinent – ce qui n'est pas encore le cas. La deuxième est de ne plus considérer l'agroindustrie et l'agroécologie comme des modèles incompatibles, mais de penser en termes de « mix agricole », de la même façon que l'on pense en termes de « mix énergétique ». La troisième réside dans un ensemble de mesures d'encadrement et d'aides spécifiques aux agroécologistes. Recueillis par Safaa KSAANI Portrait Yousra Abourabi cherche à améliorer les rendements des cultures tout en respectant l'environnement Cette Professeure et chercheuse à l'Université Internationale de Rabat (UIR) s'intéresse particulièrement à l'agroécologie au Maroc et vise à susciter une réflexion élargie sur le sens normatif de l'agroécologie comme modèle agricole, mais aussi comme mode de consommation responsable, modèle économique durable et instrument de revendication d'une identité solidaire et développementaliste. Cette docteure en science politique, de l'université de Lyon Jean Moulin, a soutenu, en 2016, sa thèse qui porte sur la politique africaine du Maroc. Après avoir enseigné à l'Université Lyon 3, elle a rejoint l'UIR. En tant que professeure assistant à Sciences po Rabat, elle enseigne la science politique, les relations internationales et la gouvernance africaine. En tant que chercheure associée au Laboratoire de Sciences Sociales et Humaines (LEPOSHS), elle s'intéresse aux enjeux diplomatiques et de coopération sectorielle (climat, migration, genre) en Afrique. Elle a publié de nombreuses contributions académiques et médiatiques sur le Maroc et l'Afrique. Elle a récemment publié un ouvrage sur le «Maroc» aux éditions De Boeck, avant de réaliser son reportage intitulé "L'importance d'adopter l'agroécologie au Maroc". Par ailleurs, elle travaille en tant que consultante pour plusieurs organismes internationaux. Elle est notamment membre du cluster Affaires Politiques de l'ECOSOCC (Union Africaine) et membre du Conseil académique du Global Campus For Human Rights.
S. K Repères Reportage sur « L'importance d'adopter l'agroécologie au Maroc » Dans le cadre de son programme pluriannuel « Transform Africa – Vers une transformation écologique et sociale en Afrique », la Fondation Heinrich Böll, en collaboration avec le RIAM (Réseau d'Initiatives Agro-écologiques au Maroc), publie sa nouvelle publication en format reportage écrit et réalisé par le Pr Yousra Abourabi. Ce reportage, réalisé à partir d'une série d'entretiens menés auprès des agroécologistes, se propose de bien définir et de faire un point sur l'état de l'agroécologie au Maroc. Le 5 mars, ce reportage a été présenté sur les réseaux sociaux lors de la 14ème édition du Green Salon. Elargir l'agroécologie : un pari réalisable Selon les nombreux agro-écologistes interviewés par le Pr Yousra Abourabi, l'élargissement de l'agroécologie n'est pas difficile, comme le pensent les partisans de l'agro-industrie. "Il s'agit d'un pari réalisable, d'autant plus qu'il existe une portion suffisante de ménages marocains ayant des bourses capables de supporter le surcoût éventuel de la production biologique", nous explique-t-elle, avant de détailler que "pour ne compter que l'agriculture biologique, entre 2010 et 2020, les superficies cultivées sont passées de près de 4000 hectares à près de 10.000 hectares. A cela s'additionnent les parcelles dites "spontanées" (c'est à dire qui n'ont pas été plantées par les humains), certifiées biologiques, estimées en 2020 à 180.000 hectares. Ces chiffres ne prennent pas en compte les parcelles cultivées dans un esprit agroécologiste non certifiées par le Réseau des Initiatives Agroécologiques au Maroc".