Les femmes chefs de ménages ont rencontré plus de difficultés pour accéder aux services médicaux que les hommes pendant le confinement, selon le HCP et l'ONU La crise sanitaire liée au Covid-19 a eu un impact significatif sur l'accès aux services médicaux au Maroc, mais les femmes chefs de famille ont vécu beaucoup plus de difficultés que leurs homologues masculins. Tel est, du moins, le constat d'une nouvelle étude réalisée par le HautCommissariat au Plan (HCP) en partenariat avec l'ONU-Femmes. Intitulée : « Analyse genre de l'impact du Coronavirus sur la situation économique, sociale et psychologique des ménages », l'étude, de 68 pages, a couvert 2.350 ménages à travers le pays et a été menée en deux phases. Entre les 14 et 23 avril 2020, elle a étudié l'impact du Covid-19 pendant la période de confinement. Quant à la deuxième phase, du 15 au 24 juin, elle s'est concentrée sur les répercussions après le confinement. Les résultats de l'étude montrent que l'inégalité entre les sexes est toujours présente au Maroc et se concrétise de diverses manières et dans différents secteurs. « Avant même de naître, les enfants issus de familles dirigées par des femmes vivent une situation d'inégalité des chances aggravée par la crise », prévient le rapport. La plus grande différence d'accès aux services médicaux entre les ménages dirigés par une femme et ceux dirigés par un homme concerne le traitement des maladies courantes et les services de santé reproductive. Pour les maladies courantes, 62,1% des familles dirigées par des hommes avaient accès aux soins médicaux, tandis que seulement 52,2% de leurs homologues dirigées par des femmes jouissaient du même privilège. Pour les services de santé reproductive, le taux d'accès variait entre 66,8% pour les ménages dirigés par un homme et 59,2% pour les familles dirigées par une femme. Le taux d'accès aux services de santé reproductive a montré la différence la plus alarmante dans les zones rurales. Seuls 17,3% des ménages dirigés par des femmes dans les zones rurales ont eu accès à ces services médicaux pendant le confinement, contre 63,4% des ménages dirigés par des hommes. En somme, les familles dirigées par des femmes dans les zones rurales ont eu beaucoup plus de difficultés à accéder aux soins médicaux que leurs homologues dirigés par des hommes. Autre résultat accablant de l'étude : seulement 36,9% avaient accès à un traitement prénatal et postnatal (contre 68,5% des ménages dirigés par des hommes), 38,7% avaient accès à un traitement pour des maladies courantes (contre 58,8%), 39,8% avaient accès à un traitement pour des maladies chroniques (contre 48,5%) et 40,3% avaient accès à la vaccination (contre 57,5%). Traitement des maladies courantes... les hommes en bénéficient le plus « Lorsqu'on classe les ménages selon le niveau scolaire du chef de ménage, les disparités sont plus aggravées. On relève ainsi que dans la catégorie des ménages où tous les membres n'ont aucun niveau d'études, il y a moins de chances d'accès aux services de santé reproductive pour les membres des ménages dirigés par des femmes (49%) par rapport à ceux dirigés par des hommes (65%)», peut-on lire encore dans l'étude. Par exemple, seulement 48,6% des ménages dirigés par des femmes sans éducation formelle ont accès aux services de santé reproductive, contre 64,9% de leurs homologues masculins. L'étude montre, par ailleurs, que le manque de ressources financières est la raison principale de privation des soins de santé des familles marocaines pendant le confinement. Chiffres à l'appui, plus d'un tiers des personnes ayant manifesté le besoin d'être soignées n'ont pas eu accès aux services de santé, soit 35.9% avec des différences selon le genre ou le milieu de résidence. Ainsi, l'étude montre que 34.5% des femmes et 38.2% des hommes déclarent ne pas avoir eu accès à des soins de santé à cause de la crise sanitaire. L'écart est plus important selon les zones de résidence. En milieu rural, 41.2% contre 33.1% en zone urbaine déclarent n'avoir pas eu accès à des soins de santé. «Une variable importante qui influe considérablement sur l'accès au traitement est la possibilité de remboursement des frais financiers. Le manque de moyens [financiers] [...] réduit l'accès au traitement et, inversement, leur disponibilité favorise l'accès », indique le rapport. Outre le manque de ressources financières, deux autres raisons majeures ont eu un impact négatif sur l'accès aux services médicaux au Maroc, à savoir la peur de contracter la Covid-19 et les difficultés d'accès aux hôpitaux et aux centres de santé, comme l'indisponibilité des transports. Souffrance due à la promiscuité Le manque d'accès aux services médicaux et le confinement en général ont eu de graves conséquences psychologiques sur les Marocains. Selon l'étude, les femmes semblent être plus durement touchées par ces deux facteurs que les hommes. Le rapport révèle que 36,8% des femmes marocaines sont «très inquiètes» de l'émergence d'une nouvelle vague Covid-19. Le taux est légèrement inférieur (31,4%) chez les hommes. L'étude a considéré la pression subie par les femmes pendant le confinement comme la principale raison de leurs inquiétudes. Un autre problème majeur dont les femmes ont souffert pendant le confinement est la promiscuité et le manque d'intimité. Ainsi, 21% de femmes contre 16,4% d'hommes affirment avoir souvent souffert de ce problème. L'analyse économétrique a permis de confirmer qu'être un chef de ménage femme accroît la possibilité de déclarer subir des conséquences psychologiques ou encore subir des conflits inhérents à la promiscuité. D'autre part, l'inquiétude est plus forte lorsque dans les ménages seules les femmes sont des actives occupées, est-il souligné. Pour conclure, l'étude estime qu'au courant de la crise sanitaire, les femmes chefs de ménage souffrent le plus de l'anxiété, des troubles du sommeil, des comportements obsessionnels et de la peur. Et elles sont généralement plus inquiètes à propos des retombées potentielles de cette crise sur elles et sur leurs familles. Elle souligne ainsi l'importance de s'assurer que les filles et les femmes au Maroc reçoivent une éducation appropriée qui peut permettre leur autonomisation économique. Offrir aux femmes un tel droit fondamental aurait non seulement un impact positif majeur sur elles en tant qu'individus, mais aussi sur leurs ménages et sur la société marocaine dans son ensemble, estime la même source. Repères Disparités relatives à l'enseignement à distance Lorsque le niveau d'éducation le plus élevé dans le ménage correspond au collège, 33,7% des enfants inscrits au primaire ne suivent pas les cours à distance dans les ménages dirigés par une femme, 22,4% pour ceux dirigés par un homme ; pour les enfants inscrits au collège, les prévalences du non suivi des cours sont respectivement de 31% et de 21%. Dans les ménages où le niveau d'éducation le plus élevé est bas (primaire), les chefs de ménage femmes (CdM-F) sont moins nombreuses (17% contre plus du double - 35,5% - pour les chefs de ménage hommes (CdM-H)) à déclarer que leurs enfants suivent régulièrement les cours. Les difficultés à permettre l'accès aux cours à distance à leurs enfants tiennent au manque de matériel (ordinateur, connexion internet, etc.). Comme on sait qu'au Maroc la proportion d'analphabètes est plus élevée chez les femmes, cette proportion est une cause supplémentaire de difficultés pour suivre et aider les enfants à réviser. Précarité de l'emploi féminin Par catégorie socioprofessionnelle, l'étude relève que 55% et 73% des chefs de ménage femmes occupant respectivement des postes de « cadres moyens » et « commerçants ou artisans qualifiés », déclarent avoir un membre dans leur ménage qui a arrêté de travailler dans le secteur privé, contre 41% et 68% pour les chefs de ménage hommes. Lorsqu'on distingue les secteurs d'activité, les différences sont significatives : ainsi, dans le commerce, 72% des chefs de ménage femmes (contre 66% des hommes) déclarent avoir des membres de leur ménage qui ont arrêté de travailler dans le secteur privé à cause de la pandémie. Dans l'agriculture et les services, le constat est le même, on a respectivement pour les CdM-F et pour les CdM-H 59% contre 47% et 55% contre 48%.