Au moment où la pandémie devient de plus en plus immaîtrisable, le spectre d'un re-confinement plane sur le Maroc. Le gouvernement examine les scénarii possibles en devant trancher entre économie et santé. Dimanche matin, 48 heures après le re-confinement de la France, le Maroc s'est réveillé sur la nouvelle d'un retour généralisé au «lockdown» décidé à l'issue d'un Conseil du gouvernement organisé d'urgence le même jour. L'information s'avérera être une vulgaire fake-news et une enquête sera même ordonnée sous la direction de la BNPJ pour en démasquer les instigateurs. Mais l'affaire ne parviendra pas pour autant à dissiper ce pressentiment généralisé d'un prochain et imminent re-confinement du Royaume. Le Maroc peut-il se permettre un tel passage sous cloche? Serait-ce une décision inévitable ? Au vu de son rythme inquiétant, la propagation du virus devient de plus en plus préoccupante. Et au moment où les contaminations et le nombre des atteignent leur paroxysme avec des bilans quotidiens auxquels nous n'étions pas habitués (4861 cas le 02 octobre et 4320 cas le 30 octobre), ces questions se posent avec acuité. Vers un reconfinement salvateur ? Lors du discours de la Révolution du Roi et du Peuple, SM le Roi a mis tous les citoyens devant leurs responsabilités, les appelant à choisir entre « le respect des mesures préventives et le retour au confinement ». Au moment où la situation semble dégénérer, le basculement vers un nouveau bouclage refait surface comme solution de dernier recours. Cette hypothèse devient d'autant plus crédible que quelques pays, ont déjà reconfiné leurs populations après l'échec des autres mesures restrictives. Compte tenu de notre propension à suivre l'exemple des pays européens, il est clair que l'hypothèse d'un confinement généralisé commence à effleurer l'esprit des décideurs. Nous avons interrogé le ministère de l'Intérieur sur la possibilité d'un «deuxième confinement», quelques sources ne l'ont ni confirmé ni écarté. Elles nous ont prié toutefois de tempérer les ardeurs et attendre les prochains jours pour voir comment les choses vont se développer. En fait, nous ne devons-nous attendre qu'au pire après la sortie de Khalid Aït Taleb qui s'est montré très inquiet lors de son intervention à la Chambre des Représentants en évoquant la situation épidémiologique. Son ministère prévoit 100 décès quotidiens pour les jours à venir. Si le ministère de l'Intérieur ne se presse pas encore à prendre une décision, les représentants de la Nation sont moins indécis. Interrogé en marge de sa participation à un webinaire organisé par le réseau associatif Tariq Ibnou Ziyad Initiative (TIZI), autour de la thématique «faut-il confiner à nouveau», Amine Nejjar, Vice-President de l'Alliance des Economistes Istiqlaliens (AEI), nous a déclaré que «le gouvernement doit avoir l'audace de prendre des décisions courageuses en imposant de nouveau le confinement ». Et d'ajouter que l'Exécutif a échoué dans sa stratégie de prévention et de sensibilisation. « Ceci a provoqué un relâchement qui émane d'un manque de conscience de la gravité de la situation chez quelques citoyens », explique M. Hjira pour qui le retour au confinement est toujours de mise. Confiner, mais pas trop ! De son côté, le corps médical n'a pas l'air réticent quant au bouclage tout en restant nuancé. Intervenant lors du même webinaire, Azzedine Ibrahimi, directeur du laboratoire de biotechnologie de la Faculté de médecine et de pharmacie de Rabat, estime qu'un «confinement intelligent» est la solution qui reste entre nos mains devant l'échec des restrictions improvisées dans des villes comme Casablanca qui n'ont pas été efficaces. «Il faut absolument réduire la mobilité des personnes», a-t-il insisté, ajoutant qu'on «peut imposer un confinement intelligent sans étouffer l'économie en appliquant par exemple un couvre-feu généralisé, un passage au télétravail ainsi que la fermeture des lieux publics comme les cafés, les restaurants et les salles de sport, comme l'a fait l'Allemagne qui a maintenu l'ouverture des écoles», a-t-il conclu. Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé, va plus loin en préconisant de réduire la mobilité inter-villes et interdire les rassemblements, y compris la prière du vendredi. «Il est anormal qu'une personne puisse contacter plus de 30 personnes par jour», nous a-t-il affirmé. Outre cela, «il faut absolument protéger nos enfants en exigeant un passage à l'enseignement à distance, sauf pour les élèves du primaire », a-t-il ajouté. Quant à l'épidémiologiste Jaâfar Heikel, les indicateurs sanitaires sont stables jusqu'à présent, il a appelé à insister davantage sur la prévention en attente de la venue tant attendue du vaccin. Economie et santé : l'équation insoluble D'un point de vue économique, le bouclage est toujours une option indésirable au moment où l'économie nationale peine à renouer avec la croissance. Amine Nejjar, considère qu'il faut parier davantage sur la sensibilisation et une communication plus efficace et réfléchir aux conséquences dramatiques d'un re-confinement, arguant que l'Etat n'a plus les moyens d'indemniser les gens du secteur informel. Le «confinement doux», comme recommandé par quelques médecins, est une manière d'éluder le scénario de la «fermeture totale». Le HCP va dans le même sens en recommandant un jour de confinement par semaine afin de réduire les contaminations de 10%. Encore faut-il garder à l'esprit que l'arrivée du vaccin anti-Covid est prévue en décembre, selon Khalid Aït Taleb. Cela serait en mesure de tempérer les autorités contre la tentation de reconfiner ? Les jours qui viennent nous le diront. Anass MACHLOUKH Trois questions à Allal Amraoui « L'idée d'un confinement plus strict, et cyclique comme le week-end, fait son chemin » Allal Amraoui, chirurgien et député istiqlalien à la Chambre des Représentants, nous a livré sa vision quant à un potentiel reconfinement. - Face à l'aggravation de la situation de la pandémie au Maroc, le scénario d'un reconfinement est-il envisageable ? - Il faut souligner que notre système national de santé est déjà à bout de souffle. Autant les mesures de confinement strict ont fait la preuve de leur efficacité lors de la première phase, autant les mesures prises et adoptées par le gouvernement, après la levée du confinement, se sont avérées malheureusement infructueuses. L'utilisation inhomogène des tests PCR, la politique très discutable de tout miser sur les tests sérologiques et l'échec de la généralisation de l'application de traçage Wiqayatna, basée uniquement sur le volontariat, ont fait que de nombreux experts et membres du personnel de santé ont appelé le gouvernement à réinstaurer un confinement strict. - Peut-on supporter le poids d'un nouveau confinement ? - Des choix difficiles attendent notre pays, parce que prendre la mauvaise direction, dans un sens ou dans l'autre, pourrait nous coûter très cher. Arbitrer entre les avantages d'une reprise de l'activité économique et un confinement strict, dont l'impact économique négatif est désormais évident, est la pire mesure qui puisse être infligée à une économie. Cette situation inhabituelle et difficile certes, doit conduire le gouvernement à innover tout en préservant l'économie. - La solution d'un couvre-feu généralisé comme alternative au confinement est-elle pertinente ? - Un changement de la stratégie de riposte s'impose, nous avons besoin d'une nouvelle approche du confinement, ciblé et à géométrie variable, adapté au contexte de chaque territoire et de ses habitants, et limité dans le temps. L'idée d'un confinement plus strict, et cyclique comme le week-end, fait son chemin. Il faut éviter de prendre les citoyens pour des spectateurs ou des immatures, les mesures prises localement doivent répondre à un minimum de logique. Recueillis par A. M. Repères Covid-19 : La situation se dégrade Depuis des semaines, la situation épidémiologique ne cesse de s'ag- graver à un rythme inquiétant, le Maroc a enregistré plus de 219.084 cas jusqu'à présent. La propagation du virus dans le territoire national est devenue de plus en plus alarmante, vu la hausse des bilans quotidiens qui ont atteint leur paroxysme pendant le mois d'octobre avec des chiffres qui varient entre 1000 et 4861 cas. La mortalité a augmenté aussi de façon effrayante, avec des chiffres quotidiens inquiétants, dont 70 enregistrés le 31 octobre, amenant le bilan total des morts à 3695. Le Maroc recevra le vaccin anti-Covid en décembre Lors de son allocution devant les députés à la Chambre des Représentants, le ministre de la Santé Khalid Aït Taleb a annoncé l'arrivée imminente d'un vaccin anti-Covid-19 en décembre. « Toutes les informations disponibles dont nous disposons, nous indiquent qu'un vaccin prometteur est prévu vers la fin de l'année 2020 après avoir atteint des étapes avancées de développement », a-t-il rassuré. Il s'agit d'un vaccin commandé auprès du laboratoire chinois Sinopharma, dont le Maroc recevra un lot de 10 millions de doses, selon le ministre.