L'émir du Qatar aura dû se résoudre à téléphoner aux responsables iranien et syrien, pour qu'à Doha, la majorité et l'opposition libanaises s'accordent sur un compromis. Quelle meilleure démonstration de l'inféodation de la classe politique libanaise à ses protecteurs étrangers. Les uns, la majorité, liée au camp occidental, l'opposition à Téhéran et Damas. Dans ces conditions, le compromis de Doha peut-il être viable ? Certes, un président de la république devrait être élu le 25 mai. Ce sera vraisemblablement l'actuel chef d'état-major, le général Michel Sleimane, un chrétien maronite comme le prévoit la constitution. Accepté par la majorité, il avait été élu à son poste avec l'aval de la Syrie. Deuxième fait positif : les cartes politiques vont être rebattues. L'élection d'un nouveau président (le pays était sans chef d'Etat depuis novembre 2007) entraîne ipso facto la démission du gouvernement et du Premier ministre, Fouad Siniora. Un moyen de détendre l'atmosphère, le gouvernement sortant étant vu, par l'opposition, lié aux Américains. Pourtant l'accord est lourd des difficultés futures. A Doha, l'opposition pro-iranienne et pro-syrienne (Hezbollah, parti chrétien du général Michel Aoun et petits partis laïcs) n'a pas obtenu ce qu'elle voulait, en particulier la constitution d'un gouvernement d'union nationale qui lui permettrait de posséder une minorité de blocage de fait. L'accord du Qatar prévoit que le gouvernement comportera 16 ministres de la majorité, 11 de l'opposition et 3 désignés par le Président de la république. Même si ces derniers font cause commune avec l'opposition, la majorité au pouvoir aura encore les moyens de gouverner. De même, l'opposition ne semble pas avoir totalement eu satisfaction sur un nouveau découpage électorales qui lui permettrait d'obtenir plus de sièges au Parlement. Cette situation sera-t-elle acceptée longtemps par l'opposition ? Rien n'est moins sûr. La crise politique libanaise a des causes profondes. Une cause interne : la volonté des chiites, devenue la première communauté du pays, de rééquilibrer en leur faveur un pouvoir politique détenu autrefois par la communauté chrétienne et partagé avec les sunnites depuis la fin de la guerre civile et les accords de Taëf signés en 1990 sous l'égide de l'Arabie Saoudite. Une cause externe : le Liban est la caisse de résonnance des conflits du Moyen-Orient. Au-delà de leurs querelles politiques, la majorité et l'opposition libanaise se déchirent dans des conflits qui ne sont pas les leurs. Deux guerres se mènent au Liban. La première entre l'Iran et les Etats-Unis par Hezbollah et Mouvement du 14 Mars (la majorité) interposés. C'est ainsi que les Etats-Unis ont poussé la majorité à entamer une épreuve de force avec le Parti de Dieu pour qu'il démantèle son réseau de télécommunication. Malgré les conseils d'Hosni Moubarak qui déconseilla vivement à Fouad Siniora de se lancer dans cette bagarre alors qu'il n'avait pas les moyens de sa victoire. L'objectif de Washington ? Pousser le Hezbollah à la faute pour obtenir ensuite son désarmement. Certains en Israël ne cachent pas que l'armée devra intervenir de nouveau pour casser l'aile militaire chiite avant que son protecteur iranien ne soit en possession de l'arme atomique. Deuxième guerre : celle à fleurets mouchetés qui met aux prises l'Iran et l'Arabie Saoudite, les chiites et les sunnites, pour le contrôle des populations arabes du Proche-Orient. C'est la première fois que, par Hezbollah interposé, l'Iran perse s'installe au bord de la Méditerranée et s'attaque directement aux sunnites. Début mai, lors des combats de Beyrouth, le Hezbollah s'en est pris aux seuls sunnites de Saad Hariri, le protégé de l'Arabie Saoudite au Liban. La grande crainte de Ryad et de la Jordanie, est de voir, au pays du Cèdres, se reproduire la guerre entre chiites et sunnites commencée en Irak. Une guerre de mille ans.