Comment inverser une impopularité contestée tant qu'elle émanait des sondages mais transformée en camouflet par le redressement spectaculaire de la gauche lors des élections municipales et cantonales? C'est le casse-tête auquel est confronté Nicolas Sarkozy dix mois après avoir remporté haut la main la présidentielle. Ce dilemme est d'autant plus douloureux qu'il s'agit moins d'une sanction contre sa politique de réforme que du revers personnel d'un homme qui voit contestées sa méthode et son action jugées trop brouillonnes, trop clinquantes, voire même incohérentes alors qu'il les pensait au contraire signe de changement et donc atout. Le dévissage aurait sans doute été moins spectaculaire si, en dépit de ce style personnel qui ne passe plus dans l'opinion, le président français avait pu donner le moindre indice que le pouvoir d'achat, sa principale promesse de campagne, n'avait pas été renvoyé aux calendes grecques. L'étonnant déni de réalité auquel se sont livrés le parti et les ministres du président après les résultats n'y change rien. Ils ont martelé sur toutes les chaînes de télévision le même message/langue de bois infirmant toute défaite et tout vote sanction et insistant sur le caractère «local et non national» du scrutin. Mais le silence inhabituel de Nicolas Sarkozy il a attendu trois jours pour évoquer «une attente, une impatience, une interrogation aussi sur la possibilité que les engagements de la campagne présidentielle puissent être tenus» - en a dit long sur l'inquiétude de l'Elysée face à ce décrochage dans l'opinion. Ou face à une capitale où la gauche semble désormais indétrônable alors que Jacques Chirac y remportait tous les arrondissements il y a seulement quinze ans...Nicolas Sarkozy sait en effet que le gouvernement va devoir mener affaibli les réformes dont il répète qu'il «faut fermement maintenir le cap» et que la base de l'UMP, le parti présidentiel, renâcle sérieusement. En réalité, l'Elysée n'a aujourd'hui qu'un motif de satisfaction : l'effondrement du Front National symbolisé par l'échec cuisant de Marine, la fille de Jean Marie Le Pen. Reste la victoire du Parti Socialiste. Dramatique sur le plan symbolique pour Nicolas Sarkozy la vague rose a déferlé pour l'essentiel dans les villes moyennes faisant du PS un grand parti urbain -, ce succès ne fait pas pour autant des Socialistes une alternative. Le Parti Socialiste a certes fait la preuve qu'il sait gérer des villes, qu'il peut en gagner beaucoup (une bonne trentaine au total, dont Toulouse qui sera administrée par la gauche pour la première fois depuis 37 ans) et arracher des Conseils généraux (huit au final). Mais le plus difficile reste à faire : sa refondation et l'élaboration d'un vrai projet. Il ne l'a pas fait après ses défaites électorales successives et n'avait pas su capitaliser sa victoire écrasante aux régionales de 2004 pour ouvrir la voie à un succès présidentiel. Et aujourd'hui, les sujets qui fâchent demeurent: le leadership et la question des alliances rassemblement des gauches ou avec le Modem de François Bayrou. L'alliance avec le Modem voulue par Ségolène Royal va être d'autant plus contestée que son leader n'a même pas réussi à sauver sa peau et apparaît comme un homme seul après que ses amis l'aient lâché entre les deux tours de la présidentielle pour rejoindre Nicolas Sarkozy. En réalité, l'une des leçons de ce scrutin, c'est qu'il y a de moins en moins d'espace pour la troisième voie que le Modem prétendait incarner. Le système s'oriente en effet vers le bipartisme et le Modem est apparu plus comme un supplétif de la droite que comme une force autonome alternative. La question du leadership socialiste est encore plus problématique en raison du trop plein de candidats: François Hollande conforté par les résultats nationaux, Ségolène Royal plus que jamais décidée à prendre le parti ce qui peut susciter une coalition contre elle et Bertrand Delanoë renforcé par les résultats de Paris et «préféré à Ségolène» selon les plus récents sondages. Ces rivalités risquent une fois de plus de tout neutraliser et donc d'affaiblir l'opposition en la privant d'un chef fort et incontesté. Et ce même si le passage de huit régions à la gauche peut amener celles ci à se positionner en contre- pouvoirs. Face à ce grave revers, la réponse de Nicolas Sarkozy a été pour l'instant a minima : un remaniement à la marge avec l'entrée de six nouveaux secrétaires d'Etat au gouvernement. Une entrée qui marque la fin de «l'ouverture», des gadgets et surtout un resserrement des rangs avec l'arrivée de sarkozystes purs et durs - Nadine Morano, Hubert Falco, Yves Jégo - et une reprise en main de la communication par l'Elysée. Au point qu'un jeune normalien, Nicolas Princen, vient d'être chargé de répertorier les informations, les rumeurs, les attaques contre le Président circulant sur les sites d'information, les forums de discussion et autres blogs ! Quant à Carla, la nouvelle épouse du Président, elle fait désormais partie intégrante de la stratégie de sauvetage de l'image de Nicolas Sarkozy: en passant du total glamour à une présidente chic, sobre et à l'influence modératrice, Cette normalisation vise à rassurer l'UMP et ses cadres, ainsi que son électorat le plus à droite désarçonnés par les couacs inter ministériels et le comportement de Nicolas Sarkozy qui a raté depuis trois mois tout ce qu'il a entrepris. A commencer par le fameux «plan banlieues» qui a fait un flop. Mais cette reprise en main laisse entières les questions de fond : la pratique du pouvoir, le rôle des institutions et l'immense difficulté à réformer réellement une France qui supporte mal le changement. Autant dire que face à ces défis, le vrai combat de Nicolas Sarkozy, animal politique mais qui semble avoir perdu la main, pourrait bien se jouer entre son intelligence et son tempérament. Le New-York Times ne s'y trompe pas qui s'amuse des «bouffonneries qui lui ont valu le sobriquet de «président Bling-Bling»» et lui conseille un peu plus de «discipline» dans la conduite des affaires.