Cette architecture devrait faciliter la cohérence de la nouvelle équipe. En effet, les larges prérogatives accordées au chef du gouvernement doivent se traduire, d'abord, par la cohésion de l'équipe. Il serait dommageable pour la construction démocratique que la nouvelle coalition ne fonctionne pas dans la cohérence. Les messages envoyés à l'opinion publique ne sont pas très clairs. Abdelilah Benkirane a eu tort concernant le ministère des Habous. La constitution ne prévoit aucun monopole Royal sur ce département. En outre, en 1977, feu Hachmi Filali, dirigeant de l'Istiqlal, a dirigé ce ministère alors que le Palais était seul maître à bord. Le désir de Benkirane d'avoir les meilleurs rapports avec l'entourage du Roi est louable. Tant à l'intérieur qu'à l'étranger, l'aura du Souverain est le meilleur appui pour la nouvelle expérience. Le gouvernement a besoin de cohérence, mais aussi de diligence. Plusieurs dossiers sont d'une urgence certaine. Par ailleurs, les attentes populaires doivent faire l'objet de mesures concrètes tendant à démontrer que les promesses seront tenues. Une opposition forte De l'autre côté, les exigences sont les mêmes. La constitution a renforcé le rôle de l'opposition. Il suffit de 20% des voix pour constituer une commission d'enquête. La commission des lois est dévolue à l'opposition, et c'est la commission la plus importante du parlement. L'opposition est constituée de deux pôles : le libéral RNI-PAM, l'UC choisissant le soutien critique, et la gauche autour de l'USFP. Il y aura sans doute des rapprochements ponctuels autour des votes, mais chacun aura à cœur de démontrer sa particularité. Ceci dit, les deux pôles devront assurer une opposition forte, et surtout intelligible pour l'opinion publique. Il ne faut pas oublier que l'enjeu principal dépasse les intérêts partisans, puisqu'il s'agit de crédibiliser les institutions et de mettre en musique le texte très avancé de la nouvelle constitution. Karim Ghellab, probable président du parlement, aura la lourde charge d'animer cette institution, de combattre l'absentéisme, d'améliorer son image auprès des citoyens. C'est le parlement qui doit encadrer le débat public, pour réconcilier les citoyens avec la vie politique. Nouveau gouvernement Benkirane pourra-t-il imposer sa vision ? HAKIM ARIF Au départ, le Parti de la justice et du développement a indiqué quel genre de gouvernement il voulait et avec quel type de ministres il désirait travailler. Le chef du gouvernement avait lui-même parlé de 15 ministres. C'était avant le début des consultations. Le chiffre est passé par la suite à 25, puis à 30. Un élargissement opéré sur le conseil du secrétaire général du PI, Abbas El Fassi, afin de pouvoir satisfaire tout le monde. Il n'en reste pas moins que Benkirane maintient sa conception du gouvernement qu'il scinde en trois grands pôles, selon El Habib Choubani, membre du secrétariat général du PJD, qui intervenait sur les ondes de Med Radio le 13 décembre. Le premier concerne ce qui est encore appelé ministères de souveraineté : l'Intérieur, les Affaires étrangères, la Défense et les Affaires islamiques. Le second regroupe les ministères des Finances, de l'Industrie, du Commerce intérieur et extérieur. Il est appelé pôle productif et financier. Le troisième pôle est réservé aux ministères sociaux, dont l'emploi et le développement social. Bien que Abdelilah Benkirane avait lui-même répété à plusieurs reprises qu'il n'y aurait plus de ministères de souveraineté, il semble que la tendance est plutôt vers une révision du concept. Pour Choubani, il n'y a aucun mal à ce que les ministères de la Défense et de l'Intérieur soient gérés par des personnalités non politiques. Une manière de dire aussi que le PJD n'est pas fermé et qu'il agit en fonction des intérêts du pays. Pour le chef du gouvernement, l'architecture globale du gouvernement ainsi que les ministres qui y participeront sont d'une extrême importance. Il faut que l'architecture soit innovante et que les ministres soient irréprochables. C'est pourquoi il voulait, au départ, des ministres jeunes, ou en tout cas plus jeunes que lui et qui n'auraient pas été ministres auparavant. Là aussi, il a dû prendre en compte les avis des ses alliés et assouplir ses conditions. Il n'en demeure pas moins que le PJD tient à certains départements «liés aux chantiers urgents qui nécessitent l'efficacité et la responsabilité» du premier parti, explique Choubani. Il s'agit de l'Economie, des Finances, l'Energie et les Mines, l'Eau et l'Environnement, l'Agriculture et le monde rural, l'Equipement et les Transports, la Communication et le Secrétariat général du gouvernement. Ce dernier poste constitue en effet un grand challenge pour le chef du gouvernement. Le SG du gouvernement a toujours été un technocrate qui n'avait pas de comptes à rendre au Premier ministre. Or, il s'agit d'un poste crucial puisque de lui dépendra l'efficacité et la réactivité du gouvernement. Une fois que le nombre de postes a été arrêté, le PJD a décidé que ses propres ministres seraient élus par les instances du parti. Ce n'est pas le secrétaire général qui décide. Une pratique pour le moins innovante qui supprime les critères familiaux ou claniques. Le ministre désigné travaillera donc, fort de sa légitimité partisane. La démarche est tout à fait différente dans les autres partis qui ont délégué à leurs secrétaires généraux la prérogative de choisir les ministres. D'où les craintes de certains membres du PJD que les alliés imposent des personnalités déjà connues et qui ne bénéficieraient pas d'une bonne image auprès du public. Mustapha Elkhalfi, le directeur du quotidien Attajdid et membre du bureau exécutif du Mouvement unité et réforme (MUR) a exprimé ses craintes que l'expérience du PJD soit un échec. Or, parmi les promesses les plus importantes du PJD, les citoyens ont retenu un gouvernement neuf et novateur débarrassé des visages qui ont suscité l'ire du peuple. Le jeu devient très serré pour le premier chef du gouvernement de l'histoire du Maroc. Certes Benkirane a déjà donné le ton de ce que sera sa mandature. Il a aussi apporté une fraîcheur bénéfique à la vie politique, mais il lui reste à faire tourner la machine gouvernementale dans le sens des promesses faites par son parti. Ses plus grands ennemis ne sont pas uniquement dans le rang de l'opposition, ceux-ci sont déjà clairement identifiés, mais dans sa propre coalition. Il a certainement entendu Abbas El Fassi insinuer que le programme du PJD est démagogique. Les ambitions du PJD Salaheddine Lemaizi Pouvoir législatif Le SGG, un ministère comme les autres Les mesures promises par le PJD pour une mise à niveau constitutionnelle et législative devraient aboutir à un rééquilibrage des pouvoirs entre le Secrétariat général du gouvernement (SGG), les autres départements ministériels et le Parlement. Le PJD promet de «définir et de délimiter le rôle du SGG et de qualifier et former les services juridiques des différents départements ministériels». Avant l'adoption d'une loi, le parti de la Lampe propose la présentation d'études sur l'impact juridique des ces projets, qui devront être retenues comme base d'actualisation, de révision et d'évolution des lois. Le PJD veut créer au sein du parlement un centre d'expertise législative et d'analyse juridique dans ce sens. Pour une meilleure efficience des lois, le parti promet d'accompagner les textes par leurs décrets d'application. Libertés et droits de l'Homme Une nouvelle ère commence Le Conseil national des droits de l'homme (CNDH) est dans la ligne de mire du PJD. Son programme promet de «réformer le cadre juridique des organismes nationaux œuvrant dans le domaine des droits de l'Homme, selon les critères de bonne gouvernance». Sur ce registre, Benkirane & Co. promettent «l'adoption effective du principe de la non-impunité, la révision des sanctions privatives de liberté pour la presse et la clarification et publication du cadre juridique des services de sécurité et de renseignements». Cette refonte devrait permettre au PJD de sévir contre «les crimes d'enlèvement, de disparition, d'emprisonnement ou d'arrestation arbitraires, pour les actes de tortures physique ou morale, pour les actes de racisme sous toutes ses formes». Planification Le retour du Plan et d'un grand ministère de l'économie» Le PJD va-t-il tourner la page des fameuses stratégies sectorielles (Azur, Emergence ou Plan Maroc Vert) ? Si le parti ne l'annonce pas clairement, le programme du PJD veut lancer une «évaluation et intégration de stratégies par secteurs actualisées, sur la base d'un audit précis et avec la révision objective de leurs priorités, leurs objectifs et leurs sources de financement dans une perspective d'efficacité et de pérennité». À terme, cette évaluation devrait aboutir à l'adoption d'un cadre stratégique intégré pour le développement économique et social 2012-2016, avec les grandes orientations du Maroc d'ici 2025. Si le PJD arrive à établir ce cadre, ce sera le grand retour de la planification économique. Dans la même veine, les islamistes veulent regrouper les ministères «œuvrant dans la sphère économique au sein d'un seul grand département, dans le cadre de la formation de grands pôles gouvernementaux, homogènes et cohérents». Ces pôles sont les suivants : les départements régaliens (Intérieur, Justice….), les départements économiques (Commerces et industrie, Export…) et les départements sociaux (Santé, Education, Emploi…). Finances Un impôt juste et une banque islamique Le PJD promet de maitriser le déficit dans une limite de 3% à travers une stratégie «courageuse» aux problématiques comme la compensation et les retraites. Sur la fiscalité, le parti veut réduire la charge fiscale de l'IR pour les catégories sociales défavorisées et moyennes et augmenter la contribution pour les hauts revenus. Pour l'IS, le PJD promet une réduction jusqu'à un seuil de 25%. Une réforme de la TVA est aussi proposée. Elle se compose d'exonérations des produits et services de première nécessité, de l'application du taux de 30% pour les articles de luxe et de l'adoption d'un taux unique pour les autres produits. La finance islamique, cheval de bataille du PJD, sera introduite dans le circuit financier marocain. L'argument du prochain Exécutif est que cet outil permettra «la diversification de l'économie et la promotion de nouveaux produits sur le marché». Education et santé Pour un meilleur accès à tous les citoyens Dans l'éduction, le PJD veut mettre en place une stratégie nouvelle de réduction du taux d'analphabétisme (à 20% d'ici 2015, et 10% à l'horizon 2020, et suppression totale pour les 15-24ans dans les cinq ans). Pour la santé, le parti veut mettre en œuvre des «politiques efficientes pour une réduction (de moitié) des décès des mères à l'accouchement et des enfants de moins de 5 ans à travers l'amélioration du niveau d'hygiène et de santé de la mère et de l'enfant, et l'élargissement de la base des bénéficiaires des régimes de sécurité sociale en matière de santé, avec la priorisation des catégories actuellement non protégées». Autre stratégie en vue, celle concernant la stratégie nationale dans le secteur pharmaceutique à travers une «politique tarifaire plus juste et la promulgation d'une loi portant organisation de la profession d'aide pharmacien». Famille et solidarité. Renforcement du rôle de la mosquée Le volet social du programme du PJD foisonne d'idées qui éclairent plus sur l'identité de ce parti. Ainsi les islamistes veulent «mettre en place des structures d'accompagnement des familles (Conseil supérieur de la famille) et promouvoir l'institution du mariage, renforcer le rôle de la mosquée dans la sensibilisation aux valeurs de générosité, de bienveillance et de solidarité au sein de la famille et de la société, adopter une politique efficace à l'égard de la femme, prenant en considération ses responsabilités familiales». L'INDH doit être optimisée vers plus d'efficacité et de précisions pour sa seconde phase. L'Agence nationale de supervision de tous les programmes de lutte contre la pauvreté et la précarité devrait assurer ce rôle.