Devant la Cathédrale Sacré-Cœur de Casablanca, à l'entrée du siège de la société Sita El Beida, une trentaine d'éboueurs tiennent leur sit in en silence. Dans cette matinée ensoleillée du mois de décembre, ils discutent en petits groupes et suscitent la curiosité des passants sans pour autant attirer leur intérêt. Vêtu d'un gilet rouge et vert, à l'instar de ses collègues, Said, l'un des éboueurs en grève, n'est plus que l'ombre de lui-même. Du haut de ses 35 ans, il passe la nuit sous la pluie et supporte le froid de ce début d'hiver. Ce père de quatre enfants, dont un est handicapé, habite à Lehjajma et travaille depuis six ans chez Sita El Beida. Toujours pas titularisé, il décide, en compagnie de dix autres employés, d'intégrer le syndicat national des collectivités locales pour faire pression sur l'entreprise en question. Ni une ni deux, ils sont tous licenciés. C'est la goutte qui fait déborder le vase et qui pousse les 135 employés de Sita El Beida à organiser un sit-in, et ce depuis le 16 novembre 2011, pour dénoncer leur situation. Surexploitées, sous-payés ! «Nous n'avons aucune liberté syndicale, sommes exploités et non titularisés. N'avions-nous pas le droit de crier à l'injustice ?» se désole Said qui ne sait plus à quel saint se vouer pour subvenir aux besoins de ses enfants, de sa femme sans emploi et de sa mère âgée. C'est le cas de tous les éboueurs en sit-in qui prennent en charge leur famille, souvent nombreuse. Surexploités et loin d'être respectés, ils sont tous victimes de l'injustice qui continue au vu et au su des médias et des responsables. Ils ont même fait une grève de la faim de 3 jours et ont eu 5 cas d'évanouissement. En vain. «Imaginez que personne n'est venu nous demander pourquoi nous manifestons ou quelles sont nos revendications. On ne demande pas la lune. On exige que nos droits ne soient pas violés», ajoute le trentenaire. S'ils manifestent pour la réintégration des dix éboueurs licenciés, ils exigent également leur titularisation qui tarde à venir, leurs primes d'ancienneté qu'ils n'ont jamais touchées et l'augmentation de leurs misérables salaires… pour arriver au moins au SMIC. «Notre paie mensuelle ne dépasse pas les 1600 DH ! Nous sommes largement sous-payés. Sans parler évidemment de l'exploitation. On bosse de 8h du matin à 20h ! Plus de 10 heures de travail alors que le contrat en stipule sept. On travaille même les jours de fête, de crainte de se faire virer. Et la plupart nettoient de leurs mains, en l'absence de gants et de balais. Même sur nos bulletins de paie, on a un prélèvement de la CNSS et un autre de la Caisse de retraite. En réalité, ils ne payent rien de tout cela. On n'est pas déclarés ! Et dire qu'on est en 2011 ! Où sont les droits de l'homme ? Pourquoi nos droits les plus élémentaires sont-ils bafoués ? Ce conflit social nuit gravement à l'image du pays. C'est dommage», s'insurge Said. Et le code du travail ? Les éboueurs de Sita El Beida souffrent. Et ce n'est pas leurs conditions précaires et leur instabilité professionnelle qui diront le contraire. Ils ont pour la plupart sept ans d'ancienneté et travaillent au sein de l'entreprise depuis ses débuts en 2004. Sans titularisation, ils ont cumulé des contrats de mission temporaire depuis des années. Aujourd'hui, l'entreprise n'est pas disposée à régulariser leur situation vu qu'ils ont travaillé en sous-traitance via plusieurs agences de recrutements comme Tectra, Edeco ou encore Manpower depuis. D'ailleurs, les responsables de Sita El Beida assurent que seul Tectra détient leurs contrats et est apte à gérer leur situation, vu que ces manifestants ne sont pas considérés comme leurs employés et qu'ils ont juste répondu à leurs besoins spécifiques. «Est-il possible de répondre à des besoins spécifiques durant sept ans pour être finalement licencié ? A ma connaissance, le code du travail stipule qu'il est illégal de cumuler plus de deux CDD. Comment peut-on travailler avec des contrats de mission temporaire depuis des années ?» souligne Said. Le même code ajoute dans l'article 17 que «lors de l'ouverture d'une entreprise pour la première fois ou d'un nouvel établissement au sein de l'entreprise ou lors du lancement d'un nouveau produit pour la première fois, dans les secteurs autres que le secteur agricole, il peut être conclu un contrat de travail à durée déterminée pour une période maximum d'une année renouvelable une seule fois. Passée cette période, le contrat devient, dans tous les cas, à durée indéterminée. Toutefois, le contrat conclu pour une durée maximum d'une année devient un contrat à durée indéterminée lorsqu'il est maintenu au-delà de sa durée ». Aujourd'hui, Sita El Beida tourne le dos à la centaine de manifestants qui exigent leurs droits les plus élémentaires. Enfin la solution ? 12 décembre 2011. Les manifestants reçoivent des promesses de dialogue de la part de Sita El Beida. Ils acceptent de mettre fin à leur sit-in en attendant du nouveau. Mais pour Said, c'est perdu d'avance. «Sita El Beida refuse de reconnaitre son erreur dans ce conflit. Comment pourrait-on trouver une solution? Même Tectra nous a tourné le dos. On n'a pas à qui parler», se plaint-il. En attendant le début du dialogue, les collègues de Said ont repris leur emploi sans pour autant lâcher prise. Leurs revendications restent les mêmes… dans l'attente d'un dialogue qui tarde à venir. La surexploitation continue…