L'histoire se passe à Rabat. La famille Amezgoune vient d'avoir un fils qu'elle voulait appeler Idir. Sauf qu'elle s'est vu refuser la demande d'inscription du prénom de son nouveau-né dans les registres d'état civil, sous prétexte que ce prénom ne figure pas sur la liste du ministère de l'intérieur. Lorsque les parents exigent de voir la liste de prénoms interdits, les autorités refusent. «L'agent de l'état civil m'a expliqué que les prénoms amazighs n'ont pas de signification, qu'ils sont intrus à notre identité. Mais l'identité marocaine a toujours été composite ! Comment osent-il encore dénigrer la culture amazighe ? C'est aberrant !», se désole le père Amezgoune. Etablie durant l'époque de Driss El Basri, ex-ministre de l'Intérieur, cette liste avait pour objectif d'assurer que les prénoms donnés aux nouveau-nés respectent l'identité marocaine, arabe en particulier. Pourtant, bien que la culture amazighe soit désormais reconnue comme composante à part entière de l'identité marocaine, les prénoms berbères sont toujours interdis malgré la mise à jour périodique de la liste des prénoms. Pour Ahmed Touahri, militant associatif, «même si la langue amazighe est désormais officielle, il est encore tôt pour que le terrain s'en rende enfin compte et l'applique sur tous les volets». Il précise que «même dans le cas des prénoms, on a besoin de temps pour que le ministère de l'Intérieur réactualise la liste des prénoms et que la Haute commission de l'état civil accepte les prénoms amazighs. C'est un travail de longue haleine et ça ne fait que commencer. Le fait d'officialiser la langue amazighe dans la nouvelle constitution ne mettra pas un terme à notre militantisme», explique-t-il. Aujourd'hui, les deux premiers alinéas de l'article 21 de la loi n° 37-99 relative à l'état-civil soulignent que le prénom choisi par la personne faisant la déclaration de naissance en vue de l'inscription sur les registres de l'état civil doit présenter un caractère marocain et ne doit être ni un nom de famille ni un nom composé de plus de deux prénoms, ni un nom de ville, de village ou de tribu, comme il ne doit pas être de nature à porter atteinte aux bonnes mœurs ou à l'ordre public. Le prénom déclaré doit précéder le nom de famille lors de l'inscription sur le registre de l'état civil et ne doit comporter aucun sobriquet ou titre tel que «Moulay», «Sidi» ou «Lalla». «Il est temps de se débarrasser de cette liste de prénoms. A moins qu'un prénom ne soit manifestement offensif ou choquant, ou porte atteinte aux intérêts de l'enfant, pourquoi empêcher une famille de déterminer librement un prénom pour son nouveau-né?», explique Touahri, qui s'est vu refuser le prénom «Titrit» à sa fille, âgée de six ans aujourd'hui. Ahmed a dû faire appel contre le refus en justice auprès de la Haute commission de l'état civil. Il a dû attendre le longues procédures d'appel et subir les délais bureaucratiques avant qu'on accepte enfin le prénom de sa fille. D'ailleurs, la commission a statué ces dernières années sur des dizaines de noms amazighs, européens ou autres prénoms non arabo- musulmans, en acceptant certains et en rejetant d'autres. Touahri reconnaît qu'aujourd'hui le Maroc a pris des mesures pour la reconnaissance des droits culturels des Amazighs mais qu'il faudrait également que le droit des parents à choisir le prénom de leurs enfants soit reconnu. A bon entendeur !